Le quotidien italien La Stampa consacre une page à la publication prochaine du journal intime de Jean XXIII. J’ignore qui est à l’origine de cette initiative. Le titre laisse présager le pire (la fausseté du mythe du "Bon Pape", l’intention n’est-elle pas de lui opposer la figure d’un simple carriériste ?) et j’hésitais à traduire, me demandant s’il s’agit d’une énième tentative pour mettre l’Eglise dans l’embarras – d’autant plus qu’il est encore question du « silence » de Pie XII. Mais la lecture réserve plutôt de bonnes surprises.
Qui est à l’origine de ce mythe ? Ce pourrait bien être les medias de l’époque qui cherchaient à recruter « le bon Pape Jean » dans leur entreprise de discrédit de l’Eglise, de l’intérieur (ce qui est très fort !) en faisant du Concile Vatican II une profonde fracture interne. Mais les choses ne sont pas aussi simples, et le «brave » homme que l’on regardait avec une certaine condescendance se révéle plus complexe et infiniment plus subtil qu’ils ne l’imaginaient. Le Pape de transition était peut-être un visionnaire, à coup sûr un diplomate… C’est du moins l’impression que l’on retire de la lecture (prudente !) de l’article.
Et surtout, qu’il est très difficile de juger d’une époque avec les yeux d’une autre : c’est l’autre impression que l’on retire de l’article, par exemple de l’oraison funèbre de Mussolini, du jugement sur les bombardements alliés, et même du non-dit sur le personnage présent en ombre dont il est difficile de citer le nom. Je pense à la réplique que l’on prête à Louis XVI, au lendemain du 14 juillet 1789 : « mais c’est une révolte ? ». Ici, comme là, il n’était pas facile de deviner le jugement de l’histoire.
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Le Journal du Pape Jean XXIII sera présenté à Rome, le mardi 16 décembre. http://www.lastampa.it/redazione/cmsSezioni/cultura/200812articoli/38951girata.asp Publication de tous ses journaux intimes : énigmes et secrets démontrent la fausseté du mythe du "Bon Pape" Luigi La Spina ------------------------ La construction, soignée, habile, totalement consciente, d'une carrière ecclésiastique destinée à la plus haute charge, celle de la chaire pontificale. Non, le cardinal Roncalli ne devint pas Pape presque « par hasard », dans la recherche fébrile d'une figure de transition, capable, avec son humanité et sa bonhomie, avec l'humilité d'une culture qui ne se donnait pas en spectacle, de desserrer les tensions laissées par la personnalité grande et controversée de Pie XII.
La publication intégrale et critique de tous les agendas de Jean XXIII réduit définitivement à néant le mythe hagiographique et naïf du « bon Pape », de l'homme simple qui, par la volonté divine, s'éleva au trône de Pierre uniquement pour ses qualités spirituelles et, ensuite, accomplit le miracle d'une révolution imprévisible dans l'Église.
Il est difficile de se soustraire à la tentation d'isoler une phrase, un jugement, un épisode de ce journal interminable, commencé à 18 ans et qui ne s'achève qu'à la veille de la mort de Papa Roncalli, pour d'attribuer à son pontificat une étiquette politique ou, au moins, historiographique et ecclésiale. Plus d'utile apparaît en fait, à cinquante ans de son élection au pontificat, la tentative de cueillir dans cette lecture le profil d'un homme aux multiples facettes de caractère, plus difficile et, même plus mystérieux et allusif, que ce qu'en retient l'opinion commune.
La question initiale s'impose: comment est-il possible que, fait unique dans l'histoire de l'Église, un Pape révèle avoir écrit un journal aussi détaillé de sa vie privée et publique, si long qu'il embrasse ainsi plus que 60 ans de son existence ? Le style de ce journal, par ailleurs, est vraiment spécial, parce qu'il ne correspond pas aux raisons pour lesquelles, en général, on cultive cette habitude. Il ne s'agit pas d'exutoire à des mouvements d'humeur tellement embarrassants qu'ils ne doivent être connus qu'après la mort. Il n'y a jamais de jugements absolument négatifs sur des personnages connus.
Au maximum, l'expression « cependant c'est un homme bon » révèle une opinion modeste sur le protagoniste de la rencontre. Aucune préoccupation de construire un monument posthume à sa personne, de fournir une version édifiante de ses actes et de ses intentions. La caractéristique, en fait, est toujours celle d'une humilité dénuée d'hypocrisie et avec une grande capacité de dédramatiser les problèmes et les affrontements. On pourrait définir ainsi une chronologie des événements, mais très curieuse. Parce qu'elle révèle, d'une part, la prise de conscience d'une série d'expériences importantes, pour arriver à un conclave non pas de cardinal outsider, mais de candidat favori. D'autre part, une constante tentative d'« encerclement de la réalité », dans laquelle les faits autant que les jugements viennent toujours de ses interlocuteurs et semblent se perdre dans le vide de ses allusions, de ses ironies, très souvent, de ses silences.
La citation, rapportée ici, de la page du journal relative à son entretien avec Pie XII à propos de l'attitude à assumer dans les relations avec les nazis, suffit pour éclairer le style d'une écriture qu'on pourrait presque définir comme « énigmatique ». Dans laquelle comptent plus les absences que les présences. La brève note révèle en fait un personnage doué d'une grande estime de soi, comme le pense le Pape Pacelli en 1941 de son nonce apostolique en Turquie capable de le conseiller utilement sur un problème si dramatique. Roncalli saisit tout de suite la question destinée à marquer de façon polémique le pontificat de Pacelli, la met en lumière avec une grande acuité, mais, à l'inverse de ce qu'aurait fait tout diariste, il cache au lecteur sa réponse à la question du Pape.
Il ne faut cependant pas confondre ce style de diplomate accompli relevant davantage d'un rapport de nonciature que d'une confidence destinée à un journal, avec une quelconque ambiguïté de position ou un opportunisme intellectuel. Au contraire, on peut retirer une leçon de grande actualité, aujourd'hui encore, d'une attitude loyale mais sans acquiescement passif, de la part de Roncalli, vis-à-vis de la ligne pontificale. Le futur Jean XXIII, surtout dans sa position de patriarche de Venise, se sent et se montre si fidèle à celui qui sera son prédécesseur, qu'il peut se permettre une large responsabilité de décision.
En fait foi, par exemple, le « cas Dorigo http://it.wikipedia.org/wiki/Wladimiro_Dorigo ». Tout en étant, personnellement et par conviction, opposé aux positions d'ouverture par rapport au communisme de l'intellectuel vénitien, il se refusa à donner suite aux demandes de condamnation en provenance de la Curie. Parce que la défense d'une brebis, bien qu'égarée, de son troupeau passait avant une éventuelle réclamation pastorale de l'évêque. Un choix, de toute façon, qui revenait à son jugement et pas à celui de la lointaine autorité romaine.
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20/7/1940 - Sur Hitler Je commence la lecture du livre de Rauschning « Hitler m’a dit ». Cet Hitler est un anormal d'exception.
24/7/1940 - Audiences diverses A noter cet après-midi celle du sigr. Montgomery, secrétaire de l'Amb. de Gr. Bretagne. La conversation est bien fatigante pour moi. L'amour de sa patrie ne lui fait voir que le diable et l'antéchrist en Hitler, que je n'aime pas et que je plains, mais peut-être est-il plus l’instrument involontaire de la vengeance divine que le triste démolisseur de la civilisation chrétienne.
10/10/1941 - le silence de Pie XII Rome. Audience du S. Père : 45 minutes. Angelus Dni comme à Berlin : j'en ai fait la remarque au S. Père. Lequel fut très aimable. On répand auprès de moi sa largeur de trait avec les allemands qui viennent lui rendre visite. On me demande si son silence envers le nazisme n'est pas mal jugé. Il montre un vif intérêt pour la Grèce et a des mots de sensibilité particulière pour le Métropolite, pour lequel il avait de la reconnaissance, et de la bienveillance. Je notai sa préoccupation pour certaines formes et certaines appellations. A la fin je lui dis: tu omnia nosti, tu scis quia amo te. (Tu sais tout, Tu sais que je t'aime). Il me pria de revenir le voir après mes congés.
26/7/1943 - la chute de Mussolini La nouvelle la plus grave du jour est le retrait de Mussolini du pouvoir. Je l'accueille avec beaucoup de calme. Le geste du Duce est je crois un acte de sagesse qui lui fait honneur. Non, je ne jetterai pas de pierres contre de lui. Pour lui aussi sic transit gloria mundi. Mais le grand bien fait à l'Italie lui reste : se retirer ainsi est une expiation de quelques unes de ses erreurs. Dominus parcat illi.
9/9/1943 - l'armistice de l'Italie Les nouvelles hier soir annonçaient l'armistice!... Certes c'est une grande douleur pour l'Italie, et je la partage : mais conséquence inéluctable de la guerre qui a mal tourné, et de la violence des bombardements qui ne sont pas guerre mais écrasement sauvage.
30/4/1945 - Place Loreto Journée triste, dans la pensée de la fin exécrable réservée par les partisans - soi-disant patriotes - à Mussolini avec Clara Petacci, et à ses fascistes les plus proches. Évangile sanglant et implacable. J'ai invoqué cependant miséricorde et paix.
Impression de dégoût pour le traitement réservé au corps de Mussolini Place Loreto à Milan
20/4/1948 - les élections de 18/4/1948 Tranquille satisfaction pour la bonne issue des élections en Italie. C'est le début d'une reconquête de la conscience chrétienne. Pour l'oeuvre du S. Père une grande revendication ...
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