Messori, Benoît et les lefebvristes

Une interview indispensable par un témoin direct. (25/1/2009)


Benoît et les lefebvristes

Il les a en quelque sorte percés à jour, depuis longtemps, et c'est pourquoi ils le redoutent, et ne lui ont pas pardonné.
Une interview indispensable de Vittorio Messori par Paolo Rodari, ce que j'ai lu de plus intéressant pour comprendre la crise traditionnaliste, et l'attitude du saint-Père.
Messori connaît assez bien l'histoire française, ce qu'il dit n'est pas du tout caricatural, contrairement à ce qu'écrivent souvent les journalistes étrangers, lorsqu'ils parlent de "nous".
Article en italien ici: www.paolorodari.com/2009/01/25/intervista-a-vittorio-messori

Traduction


Une interview de Vittorio Messori :
« Aux juifs, je dis: laissez-nous travailler »
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- Vittorio Messori, le Pape a accepté la demande, arrivée d'Econe, de remettre l'excommunication qui avait sanctionné en 1988 les quatre évêques lefebvristes. Mais le fait que, parmi ces évêques, il y ait Mgr Richard Williamson, qui a récemment fait des déclarations révisionnistes et négationnistes sur l'Holocauste, a déchaîné de féroces polémiques dans le monde juif et international. La dernière, hier, est celle du Rabbin David Rosen. Quel est votre commentaire?
- Je m'en remets aux principes du droit international selon lesquels chaque État est souverain chez lui. La révocation de l'excommunication est un fait interne à l'Église, sur lequel je ne parviens pas à comprendre pourquoi le monde juif se sent en droit d'intervenir. En somme, je demande qu'aux catholiques soit laissée la liberté de travailler en paix, pour mener ses actions. Il ne me semble pas que le Vatican ait jamais ressenti comme son devoir d’intervenir dans la nomination d'un Grand Rabbin ou sur d'autres questions internes au monde juif. Il serait correct, donc, que les hébreux aient la même attitude envers les catholiques.

- Le décret qui annule l'excommunication est-il un premier pas vers la pleine communion ?
- Je ne sais pas si on arrivera jamais à la pleine communion. Les difficultés, à mon avis, plus que théologiques, sont politiques.

- C'est-à-dire ?
- Les lefebvristes sont un phénomène purement français. Derrière les lefebvristes il y a un mélange de religion et de politique que Ratzinger connaît bien mais qu'on a du mal à comprendre pleinement en Italie. Derrière, il y a la révolution française, la nostalgie monarchique, le gallicanisme et le jansénisme. Il y a la législation religieuse de Pétain, point de référence des lefebvristes. En somme, c'est un enchevêtrement auquel on ne peut faire face uniquement au niveau théologique mais aussi et surtout au niveau de la philosophie de l'histoire. De la part des lefebvristes c'est une vision des choses, une Veltanschaung, qui a peu de rapport avec celle des catholiques.

- Pourtant le Pape semble près proche des lefebvristes…
- Le Pape adopte envers eux une sorte d'« oecuménisme patient ». Benoît XVI est bon et patient. Il connaît l'histoire des lefebvristes et sait bien qui ils sont. Il sait que, tout comme la théologie de la libération, leur expérience aussi est nécessaire à l'Église : les ailes extrêmes servent à l'Église parce qu'elles lui permettent de rester au centre, de continuer sur la route de l'« et-et ». Et les lefebvristes aussi connaissent bien Ratzinger et en fait, le craignent.

- Dans quel sens ?
- Je veux vous raconter un épisode digne d'un roman de Dan Brown. Un jour, il y a quelques années, je fus enlevé (évidemment avec mon consentement) de ma maison de Desenzano del Garda par une Mercedes noire avec une plaque suisse et des vitres fumées. On m'a emmené dans un chalet caché dans un bois, dans le canton de Zug. Là, le supérieur général de la Fraternité Saint Pie X, Mgr Bernard Fellay, m'attendait. Il m'avait convoqué parce qu'il voulait en savoir plus sur Ratzinger : qui il était, qu'est-ce qu'il pensait d'eux etc..
En somme, Fellay craignait Ratzinger beaucoup plus qu'il n'aurait pu craindre un cardinal ou un Pape aux positions théologiques diamétralement opposées aux siennes : que sais-je, comme Martini, ou un évêque français. Il le craignait parce qu'il savait que Ratzinger, justement parce qu'il n'était pas ouvertement leur ennemi, connaissait à fond leur histoire. Et, donc, il savait bien que ce qui séparait les lefebvristes de Rome, ce n'était pas et ce n'est pas avant tout la messe en latin ou le décret sur la liberté religieuse du Concile Vatican II, mais plutôt ce mélange religieux-politique tout français qui est derrière l'expérience née avec Marcel Lefebvre.

- Par rapport à Vatican II, quelles sont les différences entre Benoît XVI et les lefebvristes ?
- Malgré les simplifications journalistiques, tout le monde sait que Jean XXIII était un conservateur. Il voulait un Concile de peu de mois, dans lequel on approuverait simplement les décrets préparés par le cardinal Ottaviani. Et le même concile aurait dû se conclure avec la béatification de Pie XII. Mais ce fut justement Ratzinger, comme consultant théologique du cardinal archevêque de Cologne Joseph Frings, qui fit en sorte que le Concile aille dans une autre direction. Et c'est là principalement l'« outrage » que les lefebvristes n'ont jamais pardonné à Ratzinger. Lui était un vrai "conciliarista". Opposé à l'herméneutique de "l'esprit du Concile », mais ouvert aux innovations apportées par le Concile-même. Et cette fidélité de Ratzinger à Vatican II est mal vue des lefebvristes.


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