La solitude du Pape

Réflexion sur un article de Luigi Accattoli, en opposition apparente avec un autre qui nous disait hier "Le Pape n'est pas seul"! (3/3/2009)





Hier, un article de L'Avvenire disait "il n'est pas seul". Car des millions de gens prient pour lui, Dieu et la Sainte Vierge sont à ses côtés.
C'est vrai.
Aujourd'hui, un article de Luigi Accattoli - décidément très inspiré quand, filant la métaphore musicale, il parle de soliste - évoque la solitude de Benoît XVI.
C'est la solitude du "pouvoir". Mais il la veut, et la maîtrise.
Assumant sa charge avec la plus grande altitude morale, et la plus grande responsabilité, il prend en effet ses décisions seul.
Curieusement, les deux articles ne se contredisent pas, car ils ne parlent pas de la même chose, et les deux sont vrais, et rendent hommage à cette personnalité d'exception.
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La solitude de Papa Ratzinger
Luigi Accattoli [3 mars2009]
http://www.liberal.it/primapagina/accattoli_2009-03-03.aspx

Ma traduction:



C'est le bon moment pour s'interroger sur ce que va faire le Pape Benoît, alors qu'il interrompt pendant une semaine son incessante activité publique, étant absorbé par les "exercices" de Carême.
Son agenda est surchargé: il prépare le voyage en Terre Sainte, réécrit l'encyclique sur la doctrine sociale, et il est extrêmement absorbé par la réintégration des lefebvristes.
Il s'agit de trois entreprises courageuses qu'il affronte en solitaire avec l'audace d'un Pape soliste.

Je l'appelle « soliste» en hommage à sa passion pour la musique mais aussi parce qu'à un Pape, le qualificatif de « solitaire » ne convient pas.
Il est souvent seul à table et passe de longues heures dans la réflexion et dans l'étude. Dans le Vatican d'aujourd'hui, il n'y a plus, servant de tampon entre le Pape et la Curie, cette cour polonaise particulière et amicale qui caractérisa le Pontificat du Pape Wojtyla et l'aida en partie à ne pas ressentir la solitude des Clés Suprêmes. Du point de vue de la journée papale, on est revenu à la sobre coutume de l'admission de rares amis, comme ce fut le cas pour Paul VI, et à l'amour pour la discrétion dans la prière et la méditation de Pie XII.
Évidemment, l'accompagnement curial ne fait pas défaut à Benoît XVI, mais il faut dire que - tout en disposant de la plus longue expérience de Curie qu'un Pape ait jamais cumulé comme cardinal - 23 ans - il ne fait pas beaucoup confiance à l'apport de ses collaborateurs. Au besoin, il les convoque, mais les questions qu'il considère comme décisives, il a tendance à les affronter lui-même.

Nous pouvons donc presque affirmer avec certitude qu'il est vraiment seul, comme sentiment et comme réalité, face à ces trois défis dont nous parlions au début - la mission en Terre Sainte, l'encyclique et les lefebvristes - comme il avait déjà choisi d'être seul dans le passé, lorsqu'il eut à affronter la question de l'Islam, le drame des prêtres pédophiles et celui - très récent - de la négation de la Shoah.
On dirait que dans ces trois cas la solitude institutionnelle et psychologique dans laquelle il eut à œuvrer lui a été bénéfique, et il y a lieu de lui souhaiter qu'il en soit de même avec les nouvelles questions qui l'attendent au tournant.

Nous savons avec certitude qu'aucun de ses collaborateurs n'avait lu la lectio de Regensburg - dans laquelle il posait sans circonlocutions diplomatiques la question de la violence dans l'Islam - avant le jour où il la prononça, le 12 septembre 2006. Il a connu une solitude analogue, lorsqu'il a solennellement affirmé en mai et en Juillet derniers, étant en visite aux USA et en Australie, qu'il « éprouvait de la honte » pour le contre - témoignage des prêtres pédophiles. Seul il a mûri en janvier la décision d'annuler l'excommunication des quatre évêques lefebvristes, devant affronter dans la solitude la tempête externe et interne qui s'en est suivie.

Intrépidement seul, enfin, son choix de fixer le voyage en Terre Sainte à la mi-mai, le faisant annoncer alors qu'il n'y avait pas (et qu'il n'y a toujours pas) de nouveau gouvernement en Israël, avec les territoires palestiniens à la dérive et une situation plus de guerre que de paix dans le Moyen Orient tout entier.
Personne ne doute de Papa Wojtyla qu'il était intrépide - et même irascible -, pourtant il ne se hasarda pas à visiter la Terre Sainte jusqu'à ce qu'il eût - en 2000 - le feu vert d'un gouvernement Barak parfaitement maître de la situation et d'un Arafat qui s'apprêtait, comme tout le monde le croyait, à proclamer un État palestinien.

Mais on perçoit une audace encore plus grande dans l'intention de publier dès que possible - au printemps ou en été - une encyclique sociale : elle était déjà prête l'été dernier, mais aujourd'hui le Pape la réécrit pour tenir compte de la crise économique qui s'étend dans le monde. Sans justes, pas de justice
Là, en vérité, Benoît n'est pas seul, au contraire le projet de l'encyclique n'était au départ même pas le sien, mais il était venu des sollicitations du pré-conclave et il lui avait été par la suite reproposé par les bureaux de la Curie pour honorer le quarantième anniversaire de Populorum progressio de Paul VI (1967).
Le Pape théologien s'est passionné pour l'encyclique qui se préparait en même temps que se profilait la crise de l'économie. Que lui-même, comme théologien, se posait des questions sur cette crise, il le fit savoir le 6 octobre dernier, à l'ouverture du Synode des évêques, lorsque (commentant le Psaume 118 : « Ta parole est stable comme le ciel »), il opposa à la « stabilité » divine l'incertitude des fortunes fondées sur l'argent : « Nous le voyons maintenant dans l'écroulement des grandes banques : cet argent sa disparu, il n'est rien ».
Il est revenu sur l'argument jeudi dernier, en conversant avec les curés de Rome et en confiant la difficulté dans laquelle le place la mise au point - dans l'incertitude de toutes les choses - d'un document sur le magistère social. « Depuis longtemps nous préparons une encyclique sur ce sujet » dit-il, confessant combien il était « difficile » de parler d'une telle question « avec compétence » et en même temps « avec une grande conscience éthique ».

La difficulté réside dans la dénonciation « avec courage mais aussi de façon concrète » des « erreurs fondamentales qui sont maintenant avérées dans l'écroulement des grandes banques américaines » et dans l'indication de ce qu'il faut faire « concrètement » « pour changer la situation ».
Il s'agit donc rien de moins que de dénoncer les erreurs d'une économie fondée sur la « domination de l'égoïsme » - une de ses autres expressions - et d'indiquer la route pour en sortir et de le faire aujourd'hui, alors que personne ne sait où nous mènera la crise et le monde qui en sortira!
Jamais le magistère social de l'Église n'avait couru un risque ainsi grand, de parler au milieu de la tourmente.
Un Pape qui décide tout seul et affronte des grands défis sans rhétorique court ce risque. S'il s'en remettait à des conseillers, ils le dissuaderaient de s'exposer, de même que le mois dernier, ils ont essayé de le dissuader du voyage en Terre Sainte. Jusqu'à présent sa méthode désarmée l'a aidé à marquer des bons points sur différents fronts.
C'est l'avantage du Pape soliste qui affronte des partitions inédites en invitant les fidèles à prier « pour qu'il ne se dérobe pas devant les loups », comme il l'a dit dans la célébration d'ouverture du Pontificat.


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