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Fils de mineur

Un texte bouleversant d'Antonio Socci, à propos du sauvetage des mineurs chiliens... et de la foi des simples, si chère au coeur de Benoît XVI (23/10/2010)

Nous avons parlé dans ces pages, de l'épopée des mineurs chiliens (http://tinyurl.com/2b3c97d et http://tinyurl.com/25utrxs ).
Un peu seulement, non par manque d'intérêt, mais par respect pour eux, et par méfiance envers le rôle destructeur des medias, auquel je ne veux pas m'associer.
Juste en ce moment, je viens d'entendre sur une station de radio, dans une émission politique qui prétend étudier les rapports qualifiés d'"incestueux" (l'inceste est-il une obssession chez eux?) entre la politique et la presse, une "analyse" réellement indécente, qui ne veut retenir du drame heureusement conclu, que la soi-disant exploitation politicienne par le "Berlusconi chilien", le Président Pinera: ces "fils à papa" (voir ci-dessous) issus de mai 68, vivent dans leur bulle dorée, et de toute évidence ne se rendent pas compte du drame vécu par les hommes prisonniers de la mine, et leurs familles.

Voici donc sur ce sujet un article différent de tous les autres, totalement bouleversant (je pèse mes mots, il ne m'arrive presque jamais de pleurer), écrit par Antonio Socci, un écrivain-journaliste-bloggueur italien, catholique fervent, déjà croisé dans ces pages (1).

Et surtout, FILS DE MINEUR! Il n'a de leçons à recevoir de personne.

Cela n'a pas un rapport direct avec le Saint-Père?
Si, bien sûr, puisqu'on a su, après leur sauvetage, qu'il avait exposé dans son appartement un drapeau avec leurs 33 signatures, et qu'il avait prié quotidiennement pour eux, durant tout le temps de leur ensevelissement.
Puisque l'on retrouve ici l'expression de cette "foi des humbles" dont il parlait dans son monumental discours d'ouverture du Synode (commentant une image de l'Apocalypse, il disait "la terre qui absorbe ces courants est la foi des simples, qui ne se laisse pas emporter par ces fleuves"... http://tinyurl.com/26ax6ej ) et plus récemment dans sa lette aux séminaristes - http://tinyurl.com/2fkug9t .
Mais surtout, parce tout ce qui est beau, pur, vrai, un souffle d'air frais parmi les miasmes de l'info-spectacle, comme ce splendide article qu'on ne risque pas de lire dans la grosse presse, nous ramène forcément à lui.



Dans la foi de ces mineurs, je revois mon père
Du blog d'Antonio Socci, 14 Octobre 2010
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Je connais les hommes de la mine. Pour une fois, le monde s'est aperçu de leur existence, là-bas, au Chili, et immédiatement, la télévision s'en est emparée: "mais je suis un mineur et je veux le rester. Ne nous transformez pas en stars", a déclaré, en un sain réflexe, Mario Sepulveda, l'un des premiers à sortir des entrailles de la terre.
Mario a aussi crié: " Ces accidents ne doivent pas se reproduire".
Enfin un homme authentique.

Je les connais parce que je suis né dans une famille de mineurs, j'ai appris de leur force (y compris dans le drame), de leur foi chrétienne, de leur noblesse. Je connais cette gaieté de naufragés, de camarades qui partagent le pain, la sueur et un peu de subsistance.

Dans la mine au Chili, parmi les enterrés vivants, et au-dessus de la mine, parmi les proches, au camp de Esperança, pendant des semaines, on a vu des images de la Vierge (avec une petite statue de Padre Pio) et des drapeaux du Chili, parce que tout ce pays a prié et tout ce pays sait que les hommes de la mine sont la fierté de la nation, sa dignité et sa force.

J'ai grandi sur les genoux de l'un de ces hommes, mon père, et il a été ma fierté, mon école de vie , ma vraie université, mon "master à Oxford". Il ne m'a pas appris l'anglais, mais il m'a enseigné la dignité, l'amour pour la peinture et la musique du Trecento (XIVe siècle), la foi catholique et la passion pour la liberté. J'ai appris de lui à ne pas tolérer l'injustice, l'oisiveté de ceux qui s'engraissent vicieusement sur la douleur d'autres êtres humains.

C'est grâce à lui que je n'ai pas laissé mon cerveau être entraîné vers le conformisme rouge, durant les années de lycée, et que je ne me suis pas laissé abrutir de parlotes et de drogues. Je ne pouvais même pas me le permettre: je n'avais pas une lire en poche, et je devais étudier (c'étaient les fils à papa qui pouvaient s'offrir le luxe de jouer les révolutionnaires, de ne pas étudier ou de gaspiller l'argent en drogue).

Grâce à mon père, je ne me suis pas embourgeoisé dans l'âme, parce que je sais ce qui a de la valeur dans la vie (et ce n'est pas l'argent) et je sais qu'être soi-même est le véritable trésor.

Heureusement, il m'est resté quelque chose de la rudesse "rustre" des hommes de la mine, et - me trouvant à travailler dans le monde factice des intellectuels, des télévisions, des curies, des salons, et des moralistes pharisiens - il y a toujours un père et un grand-père mineur dans mon sang, qui se rebelle contre le conformisme, l'injustice, l'hypocrisie et qui crie brutalement "allez donc vous faire f.."

Ces visages maculés de terre que l'on voit dans les images en provenance du Chili, leur nudité, sous-terre, dans une chaleur suffocante avec 90 pour cent d'humidité, je les connais depuis que je suis petit. Et aussi leur mélancolie.
Mon père me les racontait, avec son visage beau et émacié, avec ses mots rares;il les représentait dans ses tableaux et il les chantait comme des personnages d'Homère dans ses poèmes qui aujourd'hui me viennent à l'esprit - comme c'est étrange - en même temps que des vers de Neruda.

Ma mère, pendant des années et des années, a été l'une de ces filles qui ne savaient jamais si l'amour de sa vie n'allait pas être, ce jour-là, englouti dans les profondes galeries de la mine.
Ma mère a été l'une de ces femmes qui avait immédiatement le coeur sur les lèvres, quand dans le pays le bruit se répandait, qu'"il y avait eu un accident à la mine".

Le monde s'est effondré sur ma mère cette nuit-là, en Février 1953, quand elle apprit qu'il avait eu un accident et que ce n'était que grâce au froid de la nuit d'hiver qu'il n'était pas mort vidé de son sang, parce que le sang s'était congelé (mais le «monstre» lui avait quand même coupé la main). Ils se sont mariés peu de temps après.

Tout le pays où je suis né et où j'ai grandi se souvient des jours où la mine a englouti deux compagnons de mon père. La même angoisse que les pauvres gens du Chili. Parce que les pauvres gens chrétiens, sous toutes les latitudes, se ressemblent.

Avec quelle tendresse ma mère se souvient de la joie et de la fierté de mon père, quand il put s'acheter une moto Iso et n'eut plus besoin de faire cinq ou six kilomètres, à pied ou en vélo, jour et nuit, en toutes saisons, pour se rendre à la mine.
Dans la mine de San Jose, le plus jeune des 33 mineurs s'appelle Jimmy Sanchez, il a 19 ans. Il est sorti du tunnel, rayonnant de joie. En regardant son visage, beau de jeunesse, il est impossible de ne pas être ému. C'est encore un gamin.

J'ai pensé combien j'aurais voulu voir mon père quand, à 14 ans, il a commencé à travailler dans la mine: lui était un enfant. Il avait le même âge que mon fils a maintenant (comme je voudrais qu'il hérite de sa dignité).

Quand mon père a commencé à travailler, mon grand-père Adriano était déjà dans les mines depuis 10 ans. Ils y sont restés longtemps ensemble. Tous deux en ont eu les poumons abîmés.

Les mineurs chiliens eux aussi, qui font la fête aujourd'hui - parce que cette fois ils s'en sont tirés - avec leurs épouses et leurs enfants, savent que chaque sauvetage est toujours précaire et éphémère.

Là, en bas, les corps se mêlent au charbon et à la boue, et la terre les considère désormais comme siens. Parfois, elle "se" les reprend, sans même attendre qu'ils crèvent dans une explosion de grisou. Mais d'autres fois elle les rappelle des années plus tard. Un rappel ruisselant d'injustice.

Les poumons de mon père, à 80 ans, étaient remplis de cette poussière de charbon qu'il avait respirée pendant des décennies; il avait désormais la mine dans la chair, dans le sang, dans les os, dans les fibres. Son meurtrier, il l'avait sur lui depuis une vie. La mine est une marâtre qui ne pardonne pas: elle t'a nourri de quelques pauvres morceaux de pain, mais tôt ou tard elle fait valoir son droit à te tuer. Même après des années.

Alors, elle a enlevé mon père le 21 mai 2007. Je me suis toujours dit "on ne peut pas mourir en mai". Mais la mine ne connaît pas de saisons, elle n'a aucun égard, même pour le printemps: là, en-dessous, c'est toujours le même brutal hiver de feu. La mine a tué mon père, après des années. Mais peut-être que cela lui a épargné le supplice de vivre la tragédie de ma fille Caterina (2).

On apprend cela des hommes de la mine, que la vie est un combat et pas des vacances aux Maldives, qu'il est inévitable de se salir de terre et de charbon, que la vie est fragile et éphémère, qu'il y a un Autre qui nous l'a donnée, et qui a pitié de nous, parce qu'il est Père.

L'un des mineurs a dit: «J'étais entre le diable et Dieu, mais à la fin, c'est Dieu qui m'a empoigné."
C'est cela qui compte: être empoigné par Dieu. Ce qui compte, c'est la dignité avec laquelle on vit.
Des hommes de la mine, on comprend qu'il est beau d'avoir Dieu et d'avoir à ses côtés des frères pour partager le pain, et l'aventure de l'existence.

Notes


(1) Voir ici:
-> Pardon au frère du Pape
-> Une société "incivile" qui hait Ratzinger
-> Spe Salvi: l'espérance contre l'optimisme

(2) Antonio Socci l'a raconté dans un livre, intitulé: "Caterina - Journal d'un père dans la tempête"
Septembre 2009, Catherine, vingt-quatre ans, la fille aînée d' Antonio Socci, est dans le coma après un arrêt cardiaque. Autour d'elle et de sa famille se crée une extraordinaire chaîne de solidarité et de prière, un spectacle de foi et d'amour offert non seulement par des amis, mais aussi des lecteurs du blog de son père. Parmi eux se trouvent beaucoup d'athées et d'agnostiques, mais l'expérience de Catherine pousse ces gens à redécouvrir le sens et la valeur de la prière, à retrouver le sens d'une foi perdue ou abandonnée.
A lire ici: http://www.antoniosocci.com/...

Femme "prêtre" catholique Fin du Synode: tensions avec Israël