Articles Images La voix du Pape Lectures, DVD Visiteurs Index Sites reliés Recherche
Page d'accueil La voix du Pape

La voix du Pape


Voyages 2011, en deux collages Liens Le Pape en Espagne Nicolas Sarkozy chez le Pape Synode pour le Moyen-Orient La luce del Mondo

Une lettre du Cardinal Ratzinger

de 1998, à propos de la liturgie. Il s'agit de la réponse adressée au Père Augé, clarétin, reproduite aujourd'hui sur son blog, et citée par Andrea Tornielli (cf. J. Ratzinger et "la créativité sauvage" ). (2/10/2010)

Dans le long entretien accordé à Zenit et traduit ici , Andrea Tornielli revenait sur les attaques internes à l'Eglise "qui sont le fruit de ce que nous appelons un désaccord au sein de l'Eglise : c'est-à-dire des théologiens et même des évêques qui critiquent ouvertement certains aspects de l'enseignement de Benoît XVI.... J'ai été impressionné , par exemple , par certaines réactions fortes contre la décision de Benoît XVI de libéraliser l'ancienne messe. Des réactions publiques, y compris venant d'évêques . Les exemples sont nombreux".

Plus loin, le journaliste qui l'interroge précise:
"Il existe un magistère parallèle également parmi les ecclésiastiques , professeurs de théologie dans les séminaires , prêtres et laïcs qui "mettent en sourdine les enseignements de Benoît XVI , ne lisent pas les documents de son enseignement , écrivent et parlent en affirmant exactement le contraire de ce qu'il dit , donnent vie à des initiatives pastorales et culturelles (...) en désaccord ouvert avec ce qu'il enseigne" .

N'y aurait-il pas un exemple prémonitoire dans cette lettre écrite en 1998 par le Père Augé, et citée par le même Tornielli: cf. J. Ratzinger et "la créativité sauvage" (l'illustration qu'il a choisie pour son article - une de mes photos préférées bien que je reconnaisse qu'elle n'est pas particulièrement flatteuse, mais aussi, tellement humaine - est à cet égard aussi réjouissante qu'éloquente)?

Je découvre à l'instant le Père Augé: l'échange épistolaire qu'il publie maintenant (parce que Joseph Ratzinger est devenu Pape) date certes d'une époque où ce dernier n'était que le préfet de la CDF.
Mais un autre billet , pas de lui, reproduit ces jours-ci sur son blog me laisse soupçonner qu'il n'a pas changé d'avis, et qu'il reste... réservé: l'auteur y met carrément en question la formation liturgique - pour ne pas dire les compétences - du "thélologien Ratzinger" (ici). Sur des questions techniques, qui n'intéressent pas le fidèle de base..

Le caractère mesquin des reproches adressés au cardinal Ratzinger dans la lettre ci-dessous saute aux yeux. Tout à son érudition, n'en oublie-t-il pas les simples croyants?

On perçoit d'ailleurs une certaine irritation dans la réponse du cardinal (j'ai souligné en gras certains passages), qui contraste par sa simplicité avec les arguments ardus et le jargon technique de son correspondant. Et j'aime bien la pointe d'humour finale, très "ratzingérienne": je vous remercie pour votre parresia...!! (1)


La lettre du Père Augé


Source. Ma traduction

Je ne suis pas le premier à publier des lettres reçues par le cardinal Joseph Ratzinger . Cela me semble un moyen de transmettre des documents qui contribuent à la connaissance de la période historique dans laquelle nous vivons . Ma lettre , comme indiqué dans le texte reproduit ci-après , avait pour objet la contestation respectueuses de certaines déclarations que le cardinal avait faites dans un discours à l'occasion du dixième anniversaire du Motu Proprio « Ecclesia Dei » . A mes observations, le cardinal Ratzinger répondit aimablement quelques mois plus tard . En substance, la lettre confirme des positions connues .
------------------
Rome, 16 Novembre 1998

Éminence

Pardonnez-moi si j'ose vous écrire cette lettre . Je le fais avec simplicité , et avec une grande sincérité . Je suis professeur de liturgie à l'Institut Pontifical Liturgique de Saint- Anselme et à la Faculté de Théologie de l'Université Pontificale du Latran, et consultant auprès de la Congrégation pour le Culte Divin . J'ai lu la conférence que vous avez donnée récemment à l'occasion des dix ans du Motu Proprio « Ecclesia Dei » . J'avoue que son contenu m'a laissé profondément perplexe. J'ai été frappé , en particulier, par les réponses que vous avez données aux objections faites par ceux qui n'approuvent pas "l'attachement à la liturgie antique" . C'est sur cela que je voudrais revenir dans cette lettre que je vous envoie.

L'accusation de désobéissance à Vatican II est repoussée , disant que le Concile n'a pas réformé les livres liturgiques , mais a simplement ordonné leur révision . C'est absolument vrai ! et l'affirmation ne peut pas être contredite. Je vous fais toutefois remarquer que le Concile de Trente n'a pas lui non plus réformé les livres liturgiques , il a seulement donné des principes très généraux à cet égard . La réforme en tant que telle , le Concile l'a demandée au pape , et Pie V et ses successeurs l'ont fidèlement mis en œuvre .

Je ne comprends donc pas comment les principes du Concile Vatican II sur la réforme de la messe, présents dansla constitution Sacrosanctum Concilium, n°47 -58 ( pas seulement n° 34-36. cité par vous ) peuvent s'accorder avec la restauration de la messe dite tridentine. Si nous prenons également pour valable l'affirmation du Cardinal Newman que vous rappelez, à savoir que l'Église n'a jamais aboli ni interdit "des formes liturgiques orthodoxes" , alors je me demande si , par exemple , les changements importants introduits par Pie X dans le Psautier romain ou par Pie XII dans la Semaine Sainte, ont ou non aboli les anciennes dispositions de Trente . Ce principe pourrait conduire certains, par exemple en Espagne , à penser qu'il est permis de célébrer selon l'ancien rite hispano - wisigoth, orthodoxe et rénové après le Concile Vatican II . Et puis, parler du rite tridentin comme d'un rite différent de celui de Vatican II ne me semble pas juste , je dirais même que c'est contraire à la notion même de ce qu'on entend ici par rite . Tant le rite tridentin que celui actuel, sont un seul rite : le rite romain , dans deux phases différentes de son histoire .

La deuxième objection que je fais est que le retour à l'ancienne liturgie risque de rompre l'unité de l'Eglise . Cette objection est traitée par vous en faisant une distinction entre les aspects théologique et pratique du problème . Je peux partager bon nombre des considérations que vous faire à ce sujet , à l'exception de quelques données historiques insoutenables, comme par exemple l'affirmation selon laquelle jusqu'au Concile de Trente , il y avait les rites mozarabiques (?) de Tolède, et d'autres , qu'il a supprimés. Le rite mozarabique avait en fait déjà été supprimé par Grégoire VII , à l'exclusion de Tolède , où il demeure en vigueur . Le rite ambrosien , pour sa part , n'a jamais été supprimé. Ce que je ne peux pas comprendre, c'est qu'on oublie ce que Paul VI a dit dans la Constitution apostolique du 03.04.1969 , par laquelle il promulguait le nouveau Missel , à savoir : " ... nous sommes confiants que ce Missel sera accueilli par les fidèles comme un moyen de témoigner et d'affirmer l'unité de tous , et qu'à travers lui , dans une grande variété de langues , montera vers le Père céleste ... une seule et même prière" . Paul VI veut donc que l'usage du nouveau Missel soit une expression de l'unité de l'Eglise; puis il ajoute en conclusion: " Ce que nous avons établi et ordonné ici , nous voulons que cela reste valable et efficace aujourd'hui et demain , en dépit de ce qui peut être contraire, dans les Constitutions et ordres apostoliques de nos prédécesseurs, et dans d'autres dispositions , également dignes de mention et de dérogation . "

Je connais les distinctions subtiles avancées par certains juristes ou considérés comme tels . Je crois toutefois qu'il s'agit juste de "subtilités" qui, en tant que telles , ne méritent pas beaucoup d'attention. On pourrait citer plusieurs documents qui montrent clairement l'intention de Paul VI à cet égard . Je rappelle seulement la lettre du 11 Octobre 1975, que le Cardinal J. Villot écrivit à Mgr Coffy , président de la commission épiscopacale français pour la liturgie et le ministère sacramentel , qui disaitt notamment: "Par la Constitution Missale Romanum, le Pape prescrit, comme vous le savez, que le nouveau Missel doit remplacer l’ancien, nonobstant les Constitutions et Ordonnances apostoliques de ses prédécesseurs, y compris par conséquent toutes les dispostions figurant dans la Constitution Quo Primum et qui permettrait de conserver l’ancien missel [...] Bref, comme dit la Constitution Missale Romanum, c’est dans le nouveau Missel romain et nulle part ailleurs que les catholiques de rite romain doivent chercher le signe et l’instrument de l’unité mutuelle de tous..."

Eminence , comme professeur de liturgie, je me dois d'enseigner des choses qui me semblent différentes de celles exprimés par vous à cette conférence . Et je pense devoir continuer sur cette route, en obéissance à l'enseignement pontifical. Je déplore moi aussi les excès avec lesquels certains , après le Concile, ont célébré ou célèbrent encore la liturgie réformée. Mais je ne peux pas comprendre pourquoi certains Eminentissimes Cardinaux , pas seulement vous , ont cru opportun de remédier à la situation en mettant " de fait " en discussion une réforme approuvée par le Souverain Pontife Paul VI , et en ouvrant toujours plus les portes à l'ancien Missel de Pie V. Avec humilité , mais aussi avec parrêsia (franc-parler, en gros (1)) apostolique, je ressens le besoin d'affirmer ma contrariété face à de telles orientations. J'ai préféré dire ouvertement ce que beaucoup, liturgistes et non , qui se sentent des enfants obéissants de l'Eglise , disent dans les couloirs des universités romaines .

Votre très dévoué dans le Christ
Matias Augé, CMF

La réponse du Cardinal

18 février 1999

Révérend Père ,

J'ai lu avec attention votre lettre du 16 Novembre dernier , dans laquelle vous avez formulé quelques critiques à la Conférence que j'ai tenue le 24 Octobre 1998, à l'occasion du 10e anniversaire du motu proprio «Ecclesia Dei» .

Je comprends (conçois) que vous ne partagiez pas mes opinions sur la réforme liturgique, sa mise en œuvre , et la crise découlant de certaines tendances cachées en elle , comme la désacralisation.

Il me semble , cependant, que votre critique ne tient pas compte de deux points:

1. C'est le Souverain Pontife Jean- Paul II , qui a concédé, avec l'indult de 1984 , l'usage de la liturgie antérieure à la réforme Paulinienne (de Paul VI), sous certaines conditions; après quoi le Pape lui-même a publié , en 1988 , le Motu proprio «Ecclesia Dei» qui manifeste son intention de répondre aux fidèles qui se sentent attachés à certaines formes de la liturgie latine antérieure , et par suite demandent aux évêques d'accorder "de manière ample et généreuse " l'utilisation des livres liturgiques de 1962 .

2. Une partie non négligeable des fidèles catholiques , surtout de langue anglaise , française et allemande, restent fortement attachés à la liturgie ancienne , et le Pape n'a pas l'intention de répéter envers eux ce qui s'était passé en 1970 , où on a imposé la nouvelle liturgie de manière extrêmement brutale, avec un temps de transition de 6 mois seulement , alors que le prestigieux Institut liturgique de Trèves, pour une question qui touche de manière si sensible le nerf de la foi, avait en fait à juste titre pensé à une période de 10 ans , si je ne me trompe.

Ce sont ces deux points, à savoir l'autorité du Souverain Pontife régnant et son attitude pastorale et respectueuse envers les fidèles traditionalistes , qui seraient à prendre en considération .

Permettez-moi donc d'ajouter quelques réponses à vos critiques à propos de mon exposé.

1. En ce qui concerne le Concile de Trente, je n'ai jamais dit qu'il a réformé les livres liturgiques , au contraire , j'ai toujours souligné que la réforme post-tridentine, se situant en pleine continuité avec l'histoire de la liturgie , n'a pas voulu abolire les autres liturgies latines orthodoxes ( dont les textes existaient depuis plus de 200 ans ) ni même imposer une uniformité liturgique.
Quand j'ai dit que les fidèles qui utilisent l'Indult de 1984 doivent eux aussi suivre les dispositions (ordinamenti) du Concile , je voulais montrer que les décisions fondamentales du Concile Vatican II sont le point de rencontre de toutes les tendances liturgiques et qu'elles sont donc également le pont pour la réconciliation dans le domaine liturgique . L'assistance (ndt: à la Conférence) a en réalité bien compris mes paroles comme une invitation à l' ouverture au Concile, à la rencontre avec la réforme liturgique . Je pense que ceux qui défendent la nécessité et la valeur de la réforme devraient être entièrement d'accord avec cette façon de rapprocher les «traditionalistes» du Concile.

2. La citation de Newman veut signifier que dans son histoire, l'autorité de l'Église n'a jamais aboli une liturgie orthodoxe par un mandat juridique. On a pu constater, au contraire, le phénomène d'une liturgie qui disparaît , puis appartient à l'histoire , et non plus au présent.

3. Je ne rentrerai pas dans tous les détails de votre lettre , même s'il ne serait pas difficile de répondre à vos diverses critiques de mes arguments . Mais ce qui me tient à coeur, c'est ce qui concerne l'unité du rite romain.

Cette unité, aujourd'hui, n'est pas menacé par les petites communautés qui utilisent l'Indult et sont souvent traités comme des lépreux , comme des personnes qui font quelque chose d'inconvenant , voire immoral , non, l'unité du rite romain est menacée par la créativité sauvage, souvent encouragés par des liturgistes ( par exemple en Allemagne, on fait la propagande du "Missel 2000", affirmant que le Missel de Paul VI est déjà dépassé ) . Je répète ce que j'ai dit dans mon discours, que la différence entre le missel de 1962 et la messe célébrée fidèlement selon le Missel de Paul VI est beaucoup plus petite que la différence entre les différentes applications que l'on appelle «créatives» du Missel de Paul VI. Dans cette situation , la présence du Missel précédent peut devenir un rempart contre les altérations
malheureusement fréquentes de la liturgie , et donc être un véritable soutien de la réforme .

S'opposer à l'utilisation de l'indult de 1984 (1988) au nom du rite romain , d'après mon expérience , est une attitude très éloignée de la réalité .
Du reste, je regrette un peu que vous n'ayez pas vu , dans mon discours , l'invitation faite aux "traditionalistes" à s'ouvrir au Concile , à venir au devant de la réconciliation , dans l'espoir de surmonter , avec le temps, le fossé entre les deux missels .

Toutefois , je vous remercie pour votre parresia , qui m'a permis de discuter franchement d'une réalité qui nous tient également à coeur .

Avec des sentiments de gratitude pour le travail que vous accomplissez dans la formation des futurs prêtres , je vous salue

Vôtre, dans le Seigneur
+ cardinal Joseph Ratzinger

Note

(1) Le mot grec parrèsia désigne le franc-parler de l'ami, le dire-vrai du confident, par opposition à la flatterie de l'hypocrite ou du courtisan.
La parrèsia implique le courage de tout dire, au risque de déplaire, voire de fâcher.
Source.

Nouveaux langages pour communiquer avec tous Concert pour le Pape