Homophobie et champions des causes gagnées
En forme de souvenir personnel, le plaidoyer de Messori pour ceux qu'on appelle aujourd'hui "gays" est moins surprenant (seulement pour ceux qui ne le connaissent pas!) que sa dénonciation ironique des "champions des causes gagnés". Une espèce qui sévit malheureusement dans de nombreux autres domaines. (21/8/2012)
Article dans Il Corriere della Sera du 13/8/2012. Ma traduction.
Moi, catholique et le conformisme sur les gays
Quand les champions actuels des causes gagnées n'osaient même pas parler d'homosexuels
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Il y a quelque temps - apparemment à cause d'un incident regrettable, ou par paresse coupable - le rédacteur d'un quelconque document public a fait un copier-coller désastreux. A propos d'homosexuels, il a puisé largement dans un "Manuel pour les Forces de l'ordre" des années cinquante, où il est question de «milieux ambigus», «virées troubles», «sombres passions», «amours inavouables». Et ainsi de suite, sur le ton de l'imprécation et de la dévalorisation.
La chose a été immédiatement relevée et, comme il se doit, ce rappel inattendu d'un point de vue depuis longtemps improposable a été jeté à la corbeille.
Mais ceux qui, comme moi, travaillaient déjà dans les journaux dans les années lointaines, ont lu avec un sourire un peu amer, les réactions indignées, sinon furibondes, de certains collègues, dont beaucoup ne sont plus jeunes. Leurs reproches sans appel pour l'épisode, leurs demandes de licenciement ignominieux des coupables, ils oublient qu'eux-mêmes ou leurs journaux, ont utilisé ces tons et ces épithètes et pas seulement par conformisme au «politiquement correct» de cette époque, mais, probablement pour de réelles convictions.
Eh bien, le climat estival détendu, favorable à l'examen de conscience, me suggère d'évoquer un souvenir, peut-être pas hors de propos.
C'était l'automne 1971, je terminais mon stage de journaliste dans un quotidien de Turin (ndt: Il Corriere, justement? qui ferait ici un mea culpa tardif). Passant par la très centrale Piazza Solferino (la surprise fut grande, de sorte que la mémoire est vive), je fus frappé par une affiche avec le mot F.U.O.R.I. (ndt: en italien, le mot veut dire "dehors"), suivi d'un point d'exclamation. Je me suis approché et j'ai découvert que l'acrostiche était pour «Fronte Unitario Omosessuali Rivoluzionari Italiani» (Front unitaire des homosexuels révolutionnaires Italiens). Le texte qui suivait était signé Angelo Pezzana, un libraire jeune, mais déjà bien connu et respecté: j'étais moi-même client occasionnel, sans me douter de quoi que ce soit. Je ne me souviens pas si d'autres s'étaient exposés en signant l'appel public. Cette affiche était véritablement historique: pour la première fois - mais vraiment la première, du moins en Italie, et justement à Turin - sortait à découvert, revendiquant non seulement le droit à se manifester, mais les droits de l'homme tout court, un monde qui existait depuis toujours, mais encore inconnu, caché, désigné seulement en termes offensants ou condamnants. Je lus, incrédule et, comme un bon journaliste "bleu", je regagnai rapidement le journal. Je racontai d'un seul souffle la nouvelle au chef de rubrique, proposant tout de suite un article, une interviewe de Pezzana.
Entendons-nous, je ne me sentais pas le reporter courageux des films américains, je n'étais pas animé de nobles sentiments comme la recherche de la justice pour ceux qui devaient cacher leur vie privée, toujours dans la crainte de la voir violée. J'y ai souvent pensé, dans les années qui ont suivi, m'interrogeant surtout - ayant été impliqué - sur le silence et l'indifférence aussi de la part des catholiques. Pourtant, pour le croyant, il devrait y avoir ici un motif de profonde réflexion: si l'homosexualité en tout temps et en tous lieux, marque et marquera toujours un pourcentage (qui semble fixe) de l'humanité, pourrait-il s'agir d'une «erreur» du Créateur? Qui sont-ils ces frères en humanité? Sont-ils des «défauts de fabrication»? Puisque Dieu et la Providence ne sont pas offensés, nous devons reconnaître que cela aussi fait partie, de manière énigmatique, du plan voulu par Lui et par Lui mis en œuvre. La théologie ici, a encore un long chemin à parcourir.
En tout cas, ce jour-là, au journal, ce qui me préoccupait, c'était juste l'instinct du métier. Si le nôtre, de métier, était d'offrir des nouvelles, quelle nouvelle plus grande que la sortie des catacombes, et en plus sur un ton combatif et revendicatif, d'un peuple depuis toujours caché? Il faut se remuer au plus vite, surtout pour précéder l'autre quotidien local. Mon patron écouta en silence, d'un air ironique, commentant à la fin: «Je suis désolé, je ne savais pas que tu en étais aussi». Je lui rétorquai que justement parce que je n'en étais pas et n'avais pas peur de le devenir, je n'avais pas de complexe, ou peur d'un chantage, donc s'il me donnait le feu vert, j'irais à la librairie avec un photographe pour rencontrer «l'homosexuel révolutionnaire» qui avait enfreint la loi millénaire du silence. À ce point, le patron prit à témoin, à haute voix, les autres journalistes présents dans la grande salle, «Hé, les gars, ce blanc-bec de stagiaire veut aller derrière les 'tantes' (Messori utilise un mot du patois turinois, 'cupio', au pluriel 'cupi'). Voilà qu'ils ont fait un syndicat, un espèce de petit parti, un truc dingue! Et d'après celui-ci, nous devrions aussi les interviewer(...)». A l'alerte moqueuse du chef suivirent de la part des collègues des blagues salaces et des hochements de tête ironiques: «Même lui, qui l'aurait cru».
Ma réputation ne fut sauve que parce que mon intérêt assidu pour le sexe opposé était évident. Toutefois, aucune nouvelle ne fut publiée, ni le jour d'après ni les suivants, mais il n'y eut aucun problème de concurrence: les autres journaux ne publièrent rien non plus. Même la rédaction turinoise de l'Unità (ndt: organe du PCI) garda un silence strict: le côté "comme il faut" des communistes dépassait celui du clergé et pour les «cupi», en URSS, il y avait le Goulag, en Chine, la balle dans la nuque, à Cuba, le travail forcé, en Afrique alignée sur les Russes le «nœud coulant».
Mais passé un certain temps, F.U.O.R.I. publia un mensuel qui rencontra un certain succès en kiosque; il organisa quelques manifestations spectaculaires, en fait, il devint impossible de l'ignorer, parce qu'il parvenait de l'étranger la nouvelle de mouvements similaires, encore plus agressifs. En parler, mais comment? Selon ce qu'a écrit Angelo Pezzana lui-même, une enquête montrerait qu'avant les années soixante-dix, dans les journaux italiens, le mot «homosexuel» n'est jamais apparu, on utilisait - s'il le fallait vraiment - «inverti» ou dans le cas le plus bienveillant, «différent».
Quand finalemen mon journal dut en traiter, j'étais passé à un autre service, je ne m'occupais plus de "chronique", et donc plus de «l'un de ceux-là», comme ils les appelaient. Mais ce fut remarquable d'assister à la recherche de journalistes «volontaires», de casse-cou qui ont accepté de signer un article sur les «cupi». Tous se défilaient, ils disaient clairement qu'ils avaient peur d'être pris pour quelqu'un qui défendait un parti qui était aussi le sien.
Certes: une bonne dose de conformisme marque toujours ceux qui travaillent dans les médias. Mais précisément à cause de cette obéissance de nombreux journaux aux modes culturelles de l'époque, l'indignation de ceux qui, aujourd'hui, voient de l'«homophobie» partout, montent en chaire et appellent à un châtiment exemplaire ceux qui s'en rendraient coupables, est déplaisante; je suis témoin (pour autant que cela ait de l'importance) que, dans la catégorie, beaucoup de conversions ont été très tardives, souvent forcées. Et j'ai personnellement vu de nombreux conformistes actuels, aujourd'hui paladins de causes hyper-gagnantes, se cacher à une certaine époque sous la table, plutôt que de devoir signer des articles sur ceux qu'ils appelaient «invertis».