Le style de Benoît XVI

Que cache l'allemand du Professeur Ratzinger? Le Saint-Père est un maître du langage. Un article du Sussidiario étudie son expression dans sa langue maternelle (16/8/2012)

Benoît XVI maîtrise merveilleusement l'italien. Je ne parle pas de son accent, que je ne suis pas en mesure d'évaluer (si j'en juge par son français, il doit être adorable) , mais de son style.
En 2006, Luigi Accattoli titrait "Ratzinger parie sur la force de la parole" (http://beatriceweb.eu), soulignant "une parole chaude, inventive".
Il s'apuyait sur des formules comme celle-ci:
"Dieu n'est pas solitude infinie, mais communion de lumière et d'amour, vie donnée et reçue en un éternel dialogue entre le Père, le Fils et le Saint-Esprit: Amant, Aimé, Amour". (angelus du 11/6/2012)
ou encore
"La Résurrection du Christ est, pour employer exceptionnellement le langage de la théorie de l'évolution, la plus grande mutation, le saut absolument décisif vers une dimension totalement nouvelle..."
Et il concluait:
Benoît "force" le langage. Le fait de ne pas être italien lui donne une liberté supplémentaire, au moins en ce qui concerne la traduction de ses textes dans notre langue. ...

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Dans la belle biographie, "La joie de croire", Chantal et Paul Colonge consacrait un passage au style de Benoît XVI, benoit-et-moi.fr/2011-II (page 493):

Le succès des oeuvres de Joseph Ratzinger est dû évidemment à la solidité de la pensée, mais aussi à leur valeur littéraire : clarté de l'expression, images souvent très personnelles, musicalité de la phrase. Son style se caractérise par des phrases généralement courtes - surtout pour un intellectuel allemand! - par un emploi restreint de mots d'origine étrangère - il veut être compris par le plus grand nombre possible de lecteurs. En revanche, il recourt fréquemment à deux particularités de la syntaxe allemande: l'infinitif substantivé, souvent de sa propre composition (ndlr: cela, je l'ai souvent remarqué!), et la proposition qualificative (l'épithète, adjectif ou participe, est précédé de ses compléments, le nom qualifié se trouvant ainsi séparé de son déterminatif par tout un groupe de mots - ndlr: n'étant pas germaniste, je n'ai pas d'exemples). Prudemment, ou humblement, il a tendance, en particulier dans ses réponses à des interviews, à user de formules du type « Ich glaube » (je crois), « meiner Meinung nach » (à mon avis), « sozusagen » (pour ainsi dire - ndlr: il dit aussi souvent en italien "per cosi dire")).
Son style écrit correspond bien à ce qu'est - et à ce qu'était déjà il y a des décennies - le style oral de ses cours, qui faisait l'admiration de ses étudiants.

Et en 2006, le journaliste allemand F.J. Wagner s'adressait au Pape en ces termes, dans le journal populaire "Bild-Zeitung", au lendemain de la messe à Munich:

Cher Très Saint-Père,

que voici un allemand clair, intelligent, simple et beau que le vôtre.
J´ai écouté votre sermon durant la messe que vous avez célébrée sur le terrain des expositions de Munich. Quelle différence - aussi grande que la distance de la terre à la lune avec les "euh" intelligents des discussions vides en Allemagne. Le parlement, Frau Christiansen (journaliste célèbre de la télévision allemande - Ndr.), Frau Illner (journaliste), le SZ (Süddeutsche Zeitung): ces gens parlent avec mots semblables à des sorbets (littéralement "à la fraise", ndt) - un produit qui se gâte très rapidement comme nous tous, nous le savons.
Avec vous, très Saint-Père, durant votre messe, j´avais le sentiment d'entendre de "vrais" mots. Le sujet de votre sermon parlait du miracle, celui que fit Jésus en guérissant un sourd. Quand il s´agit de miracle, je suis sceptique... Je ne crois pas que l´on puisse marcher sur l'eau ou changer l'eau en vin. Dans votre allemand si simple vous nous avez expliqué qu´avec ce miracle, c´est de la surdité vis-à-vis de Dieu qu'il s´agit. Avec la centaine de milliers de fidèles réunis sur le terrain des expositions de Munich, j'ai ainsi compris ce que vous pensiez. Avec votre langage si beau et si simple, vous avez réduit à néant le charabia des ordinateurs. Il m'a alors semblé voir des anges voler autour de vous - vous-même étiez un ange parlant l´allemand avec l´accent bavarois.
Le point culminant, fut que vous invitiez les anges des autre religions à cette fête eucharistique. Et que nous devions aimer leur sainteté.
Quel bel allemand. (benoit-et-moi.fr/2007, traduction de Michelle H.)

Voici enfin un article paru sur Il Sussidiario.
L'auteur, une germaniste, nous met l'eau à la bouche, en faisant regretter aux non-germanistes de ne pouvoir lire les ouvrages de Benoît XVI en version originale.

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Que cache l'Allemand du professeur Ratzinger?

Lucia Salvato
14 Août 2012

www.ilsussidiario.net
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Comme cela se passe pour tout vrai maître, les discours ou les écrits les plus importants du pape Benoît XVI sont l'expression de l'homme Joseph Ratzinger. Quand en premier, il connaît et comprend quelque chose, il veut le transformer en un don, entièrement tendu à communiquer un bien au destinataire, le faisant participer à un chemin de connaissance pour approfondir la rencontre avec la personne de Jésus-Christ, le Fils de Dieu. Lui-même dans l'introduction au 1er volume de Jesus de Nazareth (2007) souligne l'intention dont naît le livre: il ne veut pas être «un acte magistériel», mais «seulement une expression de ma recherche personnelle du visage du Seigneur», et cela parce qu'il arrive au texte, «après un long chemin intérieur»
A ce chemin personnel de rencontre avec la personne de Jésus, Joseph Ratzinger veut amener celui qui lui témoigne un «présupposé de sympathie».
Mais comment fait-il pour conquérir chaque interlocuteur individuel? Avec quels expédients linguistiques et stylistiques l'entraîne-t-il dans son cheminement personnel de connaissance?
La lecture de ses textes dans la langue originale est vraiment une expérience qui devient encore plus agréable et stimulante pour tous ceux qui désirent apprendre ou enseigner l'allemand à partir de sa forme linguistique stylistique la meilleure: vraiment très large serait le choix dont on pourrait tirer de bons exemples .
Au niveau lexical, les textes sont souvent riches en dérivés, c'est-à-dire ces formes dont la construction dérive d'un autre plus simple, et ainsi souvent facilement reconnaissables (Erneuerung, de neu, "nouveau"). Dans le livre "Welt der Licht" (Lumière du Monde), par exemple, dans une réponse se détache le verbe dérivé du latin extrapolieren, synonyme des termes bien plus "germaniques" herausziehen (tirer, arracher), herausbekommen (réussir à découvrir) , herausfinden (découvrir) ... de même qu'un peu plus loin on est frappé par un énoncé dont les quatre seuls substantifs sont quatre dérivés, l'un après l'autre. L'analyse d'une telle richesse peut donc facilement stimuler le jeu linguistique de reconnaissance ou de formation de nouveaux termes par les étudiants. Si, donc, d'une part les phrases témoignent d'un langage toujours très précis, et parfaitement correct, mais simple dans le choix des termes, de l'autre Ratzinger ne perd jamais une occasion d'impliquer l'interlocuteur par l'utilisation d'exemples et à travers l'utilisation d'un ou plusieurs applications.

Observant l'un des discours les plus célèbres de ces derniers mois, celui au Bundestag allemand (Septembre 2011) (www.vatican.va), on est fasciné par la manière claire et simple avec laquelle Benoît XVI a voulu accompagner dès les premières phrases ses interlocuteurs pas vraiment aussi simples dans le vif du sujet: la requête du roi Salomon de recevoir de Dieu un cœur docile pour savoir comment distinguer le bien du mal est et reste la question cruciale pour n'importe quel politicien. A travers un dialogue continu et stimulé avec les membres du Bundestag, riche de questions et de réponses claires et immédiates, il amène ses auditeurs littéralement par la main du premier pas au dernier, à approfondir le cœur de son message.
Sur six interrogations, formulées pour définir de manière évidente les passages centraux du discours, cinq sont constitués par au moins deux questions (qui deviennent quatre dans l'un des derniers paragraphes) et une seule est constituée par une unique question: celle-ci, toutefois, n'est rien de plus que la synthèse des questions posées dans le paragraphe précédent!
On rencontre ainsi une autre des caractéristiques fascinantes de la langue "Ratzingerienne": en vrai maître, animé par la seule intention d'amener le disciple à comprendre pleinement, Ratzinger n'a pas peur de reprendre le même terme dans les phrases suivantes.

Nombreuses sont les répétitions d'un même terme dans des formes plus ou moins similaires, une chose que n'importe qui d'autre essaie d'éviter, dénichant Dieu sait quels néologismes difficiles ou incompréhensibles, juste pour éviter la honte d'une répétition. Dans le chapitre consacré aux paraboles, dans le livre déjà cité Jésus de Nazareth, par exemple, Ratzinger répète l'adverbe «von innen herr» (littéralement «de l'intérieur») trois fois en quelques lignes, ce que le traducteur italien n'ose pas faire. L'importance de la triple répétition de l'adverbe lui-même, cependant, réside dans la fonction qu'il doit avoir pour l'auteur. Dans le passage où il apparaît le message semble en effet devenir une invitation claire et ferme pour le lecteur à prendre conscience «au plus profond de son âme» de la validité de la thèse proposée. Cet appel - entendu comme libre réponse personnelle - devient pour le lecteur «devoir», c'est-à-dire responsabilité de vérifier personnellement la promesse, dans ce cas l'identification souhaitée avec le protagoniste de la parabole, explorant et expérimentant personnellement ce qui est décrit.
Cependant, la lecture des textes de Joseph Ratzinger dans leur langue originale ne s'avère en rien difficile, exemple du meilleur allemand de ces derniers temps. Il n'est toutefois pas aussi simple d'échapper à l'identification, dans laquelle l'homme Ratzinger, qui, dans ces textes, se révèle toujours lui-même, veut nous impliquer. Le défi reste ouvert avec lui, mais ceux qui le saisissent apprennent beaucoup, et beaucoup reste encore à découvrir.