Une incroyable "lettre ouverte" de Nuzzi
L'auteur de "Sua Santità" a le toupet d'écrire au Saint-Père, à travers Le Monde, et le Suddeusche Zeitung, (deux feuilles éminemment "papophiles"!) pour réclamer la grâce de Gabriele... et se paie le luxe d'expliquer au Chef de l'Eglise ce qu'est la miséricorde chrétienne!! (8/10/2012)
En plus des deux journaux cités, la lettre paraît également dans le journal espagnol El Mundo.
Les bornes de la décence (ou de l'indécence) sont pulvérisées, et la mauvaise foi doucereuse du ton cache un but triple (en dehors de l'objectif financier évident, relancer des ventes qui s'essoufflent du livre-scandale):
1. défier l'Eglise, en la mettant face à ses contradictions (est-elle" une institution obscure et conservatrice" ou bien au contraire, "capable de pardonner"?) et en retournant, selon un procédé bien classique, son propre vocabulaire contre elle: allusions à la lutte "séculaire" entre le bien et le mal, "chasser les marchands du Temple", "la miséricorde de l'Evangile", le pardon, etc.. (mais, a dit le Saint-Père, le pardon ne remplace pas la justice, on est là sur deux ordres totalement différents)
2. la diviser, en opposant un pape pur et bon (ce qu'il est, et comment!) aux misérables intrigues et "manoeuvres de couloir" de ceux qui l'entourent (qui restent à prouver),
3. avec pour corollaire extrêmement grave de faire passer Benoît XVI pour faible et manipulé (ce qui est totalement contraire à la vérité, comme le soulignent continuellement les observateurs les plus fiables, notamment Sandro Magister), et donc incapable de gouverner l'Eglise.
Diabolique!
Le grand Diviseur a frappé un grand coup!
Telle quelle, la lettre est digne de figurer dans les mémoires de Berlicche.
Je reproduis le texte (original ici), information oblige.
Les soulignements sont de moi.... ainsi que quelques commentaires en italique, que je n'ai pu retenir.
Le pape doit gracier son ancien majordome, Paolo Gabriele
Le Monde.fr | 08.10.2012
Par Gianluigi Nuzzi, journaliste italien indépendant (!!!), auteur de "Sa Sainteté"
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Condamné à 18 mois de réclusion, Paolo Gabriele, le majordome de Benoît XVI, sera-t-il gracié par le pape ? La miséricorde de l'Evangile et de l'Eglise prévoient (sic) le pardon. J'appelle solennellement le saint père à accorder sa grâce à son ex-collaborateur, puni pour avoir soustrait des documents dont il a fait parvenir des photocopies au journaliste que je suis. Paolo Gabriele n'a violé aucun secret militaire ou diplomatique comme dans le cas de Wikileaks. Son geste est un geste de dénonciation. Il a mis sous les yeux de tous les réalités cachées du Vatican qui nuisent à l'Eglise elle-même.
La grâce, si elle est accordée, prouvera que dans cette affaire, l'Eglise n'est pas une institution obscure et conservatrice (chantage?) mais qu'elle est, au contraire, capable de pardonner celui qui – à tort ou à raison – a risqué son avenir pour son bien. Qui a fait du tort à l'Eglise ? Paolo Gabriele qui, tout en abusant de la confiance du pape, a révélé les jeux de pouvoir au sein de la Curie ou les protagonistes de ces complots ? Il est de mon devoir d'apporter quelques éléments de réflexion afin que tout le monde puisse savoir ce qui s'est passé et surtout qu'elles (sic!) ont été les vraies raisons – à peine évoquées au cours de son procès – qui expliquent le geste de l'ex-majordome.
Durant les mois pendant lesquels j'ai fréquenté ce collaborateur (c'est conforme au langage politiquement correct, mais carrément excessif... mettons que Gabriele connaissait la taille, la pointure et le tour de tête de son patron, mais un abîme intellectuel les sépare) du pape, je l'ai affronté à plusieurs reprises sur le thème de sa responsabilité. Il m'a toujours paru serein et convaincu de faire ce qui était, selon lui, indispensable et juste. Il a souvent insisté sur le fait que le saint père était totalement étranger aux conjurations, aux conflits de pouvoir, aux enjeux financiers que révèlent les documents publiés dans mon livre. Le pape n'a, en effet, aucun rôle dans ces sombres affaires. Il semble, au contraire, en être indirectement la victime.
Mais alors pourquoi ne réagit-il pas ? Pourquoi ne chasse-t-il pas ces marchands du temple ? Selon Paolo Gabriele, le pape est tenu à l'écart de ce qui devrait le concerner. "Parfois, a raconté Paolo Gabriele lors d'une des audiences, lorsque nous étions à table, Benoît XVI posait des questions à propos d'événements dont il aurait dû être informé."
Ce témoignage pose à nouveau cette question lancinante : Joseph Ratzinger, théologien, chercheur, est-il "un chef d'Etat" informé ou vit-il dans une sorte de solitude ? Combien d'informations reçoit-il qui lui permettraient d'avoir une vision complète des problèmes qui agitent le Vatican ? Et, au contraire, combien d'informations partielles ou tronquées lui sont-elles présentées pour essayer de l'influencer ?
Bénéficiant d'un point d'observation privilégié (ce n'est pas pour 'observer' le Pape, autrement dit, l'espionner, qu'il avait été embauché, et ce job hyper 'sensible' aurait dû requérir de sa part une totale discrétion, qu'il avait d'ailleurs jurée sur l'Evangile: il s'est donc parjuré, ce qui ruine par avance tous ses témoignages ultérieurs), Paolo Gabriele, qui a été pendant six ans une des personnes les plus proches du saint père (répétons-le!! à un niveau ancilliaire), doutait fortement que Benoît XVI ait toujours été tenu au courant de ce qui se passait dans les murs du Vatican. Cette réalité qui émerge des documents qu'il a dérobés ont ajouté l'amertume à sa douleur. Ces complots, ces règlements de comptes sont en contradiction évidente avec les principes de transparence fermement voulus par Benoît XVI lui-même.
Lors de nos rencontres, il a confessé sa profonde perplexité, son malaise. Il a en revanche insisté sur son amour pour le pape, sa vénération pour sa simplicité. Selon lui, Benoît XVI est un homme pur au milieu des loups. Il voyait grandir la distance sidérale entre le pape et les expressions les plus dures et les plus viles du pouvoir, entre le berger de l'Eglise, qui œuvre pour la transparence dans les relations entre les Etats, et ce qui se trame dans son dos : nominations, flux financiers, etc. La dénonciation de Paolo Gabriele rejoint celle que le cardinal Ratzinger lui-même formulait dans les années 70 lorsqu'il affirmait que "l'Eglise est en train de devenir pour beaucoup de fidèles l'obstacle principal à la foi. Ils ne réussissent plus à voir en elle autre chose que l'ambition humaine du pouvoir, le petit théâtre d'hommes qui, sous le prétexte d'administrer le christianisme officiel, semblent plutôt empêcher le véritable esprit du christianisme."
Petit à petit, Paolo Gabriele est devenu le confident de ceux qui, parmi les évêques et les cardinaux, (un valet, confident des cardinaux, là encore, il ne faudrait peut-être pas exagérer!!) étaient, tout comme lui, écartelés entre leur foi, leur admiration sincère pour le pape et les manœuvres de couloir dont ils étaient les témoins. Ils s'adressaient à lui, pensant ainsi avoir une voie d'accès à Benoît XVI (mais Gabriele lui-même avait un accès direct au Pape, et il a agi en douce, sournoisement, vilement). Ce fut pour lui l'occasion de découvrir de nouvelles injustices.
Deux exemples.
La promotion-sanction de monseigneur Carlo Maria Vigano, l'économe de la Curie, promu nonce apostolique à Washington une année après qu'il eut informé le pape de la corruption et les opérations opaques dans l'attribution des marchés publics et des fournitures dans le plus petit Etat du monde. Des documents soustraits par Paolo Gabriele et que j'ai publiés, il ressort que la crèche et l'arbre de Noël installés chaque année place Saint-Pierre coûtait... 250 000 euros ! (et alors? cela m'évoque un article que j'avais traduit à propos de saint-François, sur les "paupéristes"). Cette dénonciation valut à Mgr Vigano un terrible (???) affrontement avec le cardinal Tarcisio Bertone, premier collaborateur de Benoît XVI. Le Vatican a toujours répliqué que les accusations de Vigano étaient fausses. Paolo Gabriele a, au contraire, considéré que Mgr Vigano était victime de sa propre volonté de transparence. Il a cherché à l'aider autant que possible.
Deuxième exemple : le limogeage d'Ettore Gotti Tedeschi, le président de l'Institut pour les œuvres de religion, autrement dit, la "banque du pape". M. Gotti Tedeschi a été écarté après que le conseil d'administration de la banque a voulu rendre moins contraignantes les règles anti-blanchiment. Estimé du Pape, le banquier est entré lui aussi en conflit avec Mgr Bertone. Dans un mémoire confidentiel, remis au pape, il confie sa crainte d'être tué. Ces deux affaires, qui doivent encore être éclaircies, expliquent à elles seules la frustration d'un homme seul face à ces intrigues, conscient de la fragilité du souverain pontife dans cette bataille séculaire (en réalité aussi vieille que l'humanité!!!) entre le bien et le mal (le bouquet final!!!)