Aux "catholiques adultes"...

et à leur slogan, "Vatican II, une occasion manquée", la réponse d'un jeune prêtre italien, Antonio Ucciardo (2/11/2012)

Illustration ci-contre: Rembrandt, le reniement de Pierre.

C'est la troisième fois que nous rencontrons le Père Antonio Ucciardo (cf. L'eau du Gave et l'eau de la grâce et Quand Steve Jobs s'invite au Synode ), ce jeune prêtre italien dont la parole me semble être un bel exemple de ce que doit être la "nouvelle évangélisation" de la part des prêtres.
Cette fois il s'adresse à ces catholiques qu'en Italie on nomme "adultes" (reprenant, comme l'a fait Benoît XVI lui-même, une boutade de l'ex-premier ministre de gauche, Romano Prodi), et qui en France n'ont pas vraiment de nom, mais qui sont bien présents, notamment dans les revues de presse, les forums "cathos", et autres "Conférence des baptisés". Le 50e anniversaire du Concile est pour eux une occasion supplémentaire de donner de la voix, autour du slogan: "Vatican II, une occasion manquée..." (cf. Le Vatican II des medias )

     

Le courage de la normalité
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Chaque occasion est bonne pour relancer leur programme.
Nous parlons des catholiques dits adultes, toujours brûlant de zèle dans leur travail d'auto-conviction d'être le sel dont parle l'Evangile.
Quelle meilleure apportunité que le cinquantenaire du Concile?
On enregistre ces jours-ci une contre-tendance diffuse, par rapport aux paroles de Benoît XVI, Vatican II étant le plus souvent considéré comme le moment constitutif de cette grande prise de conscience collective de leur dignité. Tandis que le Pape exhorte avec insistance à revenir aux documents du Concile, certains expriment leurs inquiétudes, craignant que la réflexion sur les textes puissent détourner de l'attention dûe aux espoirs suscités par le grand événement ecclésial. Ce qui signifie admettre qu'il existe effectivement un esprit du Concile, qui est quelque chose de différent par rapport à la pensée des Pères conciliaires. D'autres réclament le droit pour tous de se faire entendre, parce que les choses de tous appartiennent à tout le monde. D'autres encore se demandent quel sens a le triomphalisme de certains liturgies, qui semble détourner de la réalité, de l'engagement envers les pauvres. Ne manque pas non plus la voix qui fait consister la grâce du Concile dans le fait de nous avoir rendu des chrétiens "au dos droit" (ndt: qui relèvent la tête? je traduis mot à mot "schiene dritte"... Peut-être est-ce une allusion à cet article qui oppose deux "tribus" de la politique italienne, celle des "Dos droits", et celle de "La Caste").

Il semble que le début de l'Année de la Foi et le cinquantenaire du Concile aient redonné souffle aux instances de cette catégorie, qui fondent les raisons de leurs choix sur l'idée qu'il doit y avoir des catholiques qui pensent. Le Concile serait le point de rupture entre la condition de mineur, dans laquelle l'Eglise a tenu ses membres et la révolte de ceux qui veulent penser par eux-mêmes. C'est, du moins, ce qui peut être déduit d'une lecture - rapide, mais non superficielle - des journaux, sites Internet et revues de ces dernières semaines. Les interviews, en particulier, sont un concentré des problèmes que dans les dernières décennies les adultes catholiques ont fait passer pour des acquis désormais assurés du peuple de Dieu. C'est à se demander de quel peuple il s'agit, s'il est vrai qu'aux "pensants", la sensibilité commune oppose les moutons de Panurge. Il vient, sans trop y prendre garde, le soupçon que l'Église a marché pendant deux mille ans avec une déchirure intime et que quelqu'un, en son sein, y avait pris un pouvoir qui ne lui appartenait en rien. Ainsi le courage de reprendre son propre rôle de chrétien, à la foi adulte, c'est-à-dire pensant, est désormais considéré comme obligatoire, si on ne veut pas trahir le Concile et l'Evangile lui-même.

Quel est le programme des catholiques adultes? En soi, il n'existe pas sous une forme codifiée, mais il utilise de multiples canaux de diffusion.
Normalement, il s'exprime à travers des propositions qui disent et ne disent pas, à travers des jugements en suspens et des lieux communs, en s'appuyant sur des textes appartenant à la masse de ces publications qui, souvent ont caché les textes du Concile «au lieu de les faire connaître» (Benoît XVI, Audience du 10 Octobre 2012 ). Avec la même normalité, il se tourne vers des personnalités qui sont considérées comme charismatiques. Aujourd'hui, en vérité, on préfére les appeler prophétiques. Qui pourrait s'opposer aux paroles d'un prophète? En quoi consiste, concrètement, cette prophétie? Le Saint-Père l'a esquissé avec une simplicité absolue:

« On parle de "foi adulte", c’est-à-dire émancipée du Magistère de l’Eglise. Tant que je suis sous la protection de la mère, je suis un enfant, je dois m’émanciper; une fois émancipé du Magistère, je suis finalement adulte. Mais le résultat n’est pas une foi adulte, le résultat est la dépendance des vagues du monde, des opinions du monde, de la dictature des moyens de communication, de l’opinion que tous pensent et veulent. Cela n’est pas la vraie émancipation, l’émancipation de la communion du Corps du Christ! Au contraire, cela signifie tomber sous la dictature des vagues, du vent du monde. La véritable émancipation signifie précisément se libérer de cette dictature, dans la liberté des fils de Dieu qui croient ensemble dans le Corps du Christ, avec le Christ Ressuscité, et voient ainsi la réalité, et sont capables de répondre aux défis de notre temps» (Rencontre avec le clergé de Rome, www.vatican.va, 23 février 2012 ).

Auparavant, dans l'homélie des premières vêpres à l'occasion de la clôture de l'Année paulinienne (qui mérite d'être relue en entier), il s'était exprimé en ces termes:

«Paul désire que les chrétiens aient une foi "responsable", une "foi adulte". L'expression "foi adulte" est devenue un slogan fréquent ces dernières années. Mais on l'entend souvent au sens de l'attitude de celui qui n'écoute plus l'Eglise et ses pasteurs, mais qui choisit de manière autonome ce qu'il veut croire ou ne pas croire - donc une foi "bricolée". Et on la présente comme le "courage" de s'exprimer contre le magistère de l'Eglise. Mais en réalité, il n'y a pas besoin de courage pour cela, car l'on peut toujours être sûr de l'ovation du public. Il faut plutôt du courage pour adhérer à la foi de l'Eglise, même si celle-ci contredit le "schéma" du monde contemporain. C'est ce non-conformisme de la foi que Paul appelle une "foi adulte". C'est la foi qu'il veut. Il qualifie en revanche d'infantile le fait de courir derrière les modes et les courants de l'époque» (28 Juin 2009, www.vatican.va).

La question regarde, tout d'abord, l'Église en son intérieur. Les réflexions ad extra, sont une extension naturelle de ce cri d'émancipation des enfants qui ont vécu le malaise de se sentir en quelque sorte réprimés. Lorsque s'est tenu le référendum sur la procréation assistée, Romano Prodi, a déclaré: «Je suis un catholique adulte et je vais voter». (ndt: rappelons que la CEI, sous la houlette du cardinal Ruini, avait recommandé l'abstention, un taux élevé d'abstention rendant, selon la loi italienne, le résultat du référendum sans effet, cf. www.lemonde.fr). Et récemment Nichi Vendola (ndt: président de la Région des Pouilles né en 1958, de gauche, issu du PCI, homosexuel déclaré, se disant croyant lié à l'expérience de Pax Christi) se demandait pourquoi «son» Église réprimait son désir d'un amour soustrait à la clandestinité.

A dire la vérité, nous ne ressentons pas la nécessité de ce genre de prophétie. Et nous ne nous sentons dans une condition de mineur seulement parce que nous voulons obéir à l'Eglise. Jésus a dit que la vérité nous libérera. D'abord, toutefois, il nous a assuré que nous la connaîtrions (cf. Jn 8, 32). Comment pourrons-nous connaître la vérité par notre propre force? L'obéissance au Magistère est la garantie de la liberté, et non pas un synonyme de sujétion ou d'oppression. Les enjeux sont très hauts. Il y a longtemps, l'un de nous, qui peut-être jusque-là n'avait pas les idées très claires, a laissé parler son cœur. Il a dit: «Seigneur, à qui irions-nous? Tu as les paroles de la vie éternelle»(Jn 6, 68). Il se fiait à ce Jésus, avec qui il avait vécu, qu'il avait entendu, qu'il avait vu se pencher sur les infirmités de l'homme. Il ne lui fallait rien d'autre! Et il croyait que son Maître était le Fils de Dieu

La distinction entre être petits et être adultes, dans le sens où certains l'entendent, n'est rien d'autre que cela. Je ne pense pas que nous avons besoin de super-héros, capables de dicter son agenda à l'Esprit Saint. Ce pauvre homme qui nous représentait, était un pêcheur. Ce n'était pas un naïf, c'était simplement un homme qui s'était senti rejoint par un immense amour. Et quand il a trahi cet amour, il a pleuré. Il n'a pas songé à changer d'avis, il n'a pas essayé d'être compris. Il a attendu, au contraire, de pouvoir être atteint par le pardon. Seulement que pour être pardonné et aimé, il faut se faire petits, comme les héros silencieux du quotidien qui édifient l'Eglise. Peu importe qu'ils soient pasteurs, théologiens, religieux, laïcs, parents, travailleurs, jeunes ou vieux, bien portants ou malades. Ce qui importe, c'est qu'ils veulent être atteints par l'amour du Christ! Et qu'ils veulent le diffuser, comme ils le savent, et comme ils peuvent.

Le Concile nous a donné une théologie du laïcat, qui est extraordinairement riche. Depuis longtemps, les réalités temporelles devraient avoir été enflammées par le feu qu'aux dires des catholiques adultes, Vatican II aurait allumé et qui, aujourd'hui, toujours selon eux, menace de s'éteindre. Mais pourquoi ne voit-on pas les fruits abondants de cette sublime vocation? Le laïc ne se réaliserait-il que lorsqu'il participe à des conférences ou lit des textes qui lui inspirent la méfiance envers l'Eglise?
Grâce à Dieu, les héros ne manquent pas. Ils n'ont pas de visibilité, ils ne pensent pas selon les catégories des prophètes et des interprètes du Paraconcile, mais ils attirent la miséricorde de Dieu pour tous. Une soirée à la télévision dédiée à Chiara Corbella (ndt: sa magnifique histoire est racontée par Jeanne Smits ici) allumerait certainement un feu beaucoup plus vivace que les élucubrations interminables sur le déroulement de Vatican II, les frustrations, les réceptions manquées, les rêves et les attentes. Parce que Chiara, et pas seulement elle, est un signe de la grâce que le Concile a voulu raviver, et non pas inventer.

A un prélat, qui enseignait à l'Université de Paris, et qui lui demandait si elle était dans la grâce de Dieu, Sainte Jeanne d'Arc répondit: «Si j'y suis, Dieu m'y garde, et si je n'y suis pas, Dieu veuille m'y mettre, parce que je préfère mourir que de ne pas être dans l'amour de Dieu».
Nous voulons être catholiques, nous aussi, mais comme la Sainte Pucelle. Avec une foi adulte, et non pas altérée (ndt: jeu de mots autour de "adulta" et "adulterata").


Don Antonio Ucciardo