Une interviewe de Rémy Brague sur Zenit

Le lauréat français du "Prix Ratzinger" 2012: le style de pensée du Pape " jure surtout avec ce qui favorise tous ces « -ismes »", relativisme, nihilisme, hédonisme, etc... (4/10/2012)

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Ce qui n'était qu'une rumeur dans l'article ci-dessus a été confirmé ces jours-ci.
Voici ce que disait le bulletin VIS du 28 septembre:

Ce midi, dans la Salle-de-Presse du Saint-Siège, le Cardinal Camillo Ruini, Président du Comité scientifique de la Fondation Joseph Ratzinger - Benoît XVI, a présenté les vainqueurs du Prix Ratzinger (qui sera décerné le 20 octobre) : M. Rémi Brague, philosophe et historien français, et le P. Brian Edward Daley, SJ, théologien et patrologue américain.
(VIS)

Pour l'occasion, l'Agence Zenit (cf. http://www.zenit.org/article-32045?l=french) s'est entretenu avec le philosophe (appellation qu'il récuse), dont j'avoue volontiers apprécier l'humour, même s'il est parfois au service d'affirmations hasardeuses, ou au moins ambigües...
Extraits:

Zenit - En vous présentant au Vatican, le cardinal Ruini a parlé d'« un vrai philosophe » et d’un « grand historien de la pensée et de la culture » : en quoi est-ce que philosophie et histoire s'enrichissent mutuellement dans votre expérience ?

Rémi Brague - Je laisse au cardinal Ruini, qui a, je crois, beaucoup fait pour que je sois désigné pour ce prix, la responsabilité de ses éloges, qui me flattent extrêmement. Le mot « philosophe » est démonétisé en France. Il y désigne avant tout un type de beau gosse capable de prendre un air pénétré pour asséner des banalités à la télévision. Je rêve d’un équivalent de l’Ordre des médecins qui surveillerait la profession de philosophe. Il existe bien un délit d’exercice illégal de la médecine… Mais quand il s’agit de l’esprit des gens, on laisse n’importe qui l’empoisonner.
...

Z:
Vous êtes récompensé par le Prix Ratzinger : qu’est-ce qui vous semble essentiel dans la pensée de Joseph Ratzinger pour surmonter ce temps de crise marqué aussi bien par le nihilisme que par le relativisme, l’individualisme, l’hédonisme… ?

RB: Tout d’abord, c’est une vraie pensée, bien charpentée, informée par une vaste culture, servie par une réflexion solide, et exprimée clairement, souvent de manière imagée. Le contenu en est fort classique : un théologien, surtout s’il est évêque, n’a pas à être original, mais à présenter la foi de l’Eglise de la façon la plus intelligente et convaincante possible.
Cela ne contraste pas seulement avec tous ces « -ismes » que vous égrenez. Je ne nie pas la pertinence de ces catégories, ni le danger de ce qu’elles désignent. Le pape ne se lasse pas de les montrer du doigt. Mais son style de pensée jure surtout avec ce qui favorise tous ces « -ismes » et leur permet de mordre en dehors des cercles intellectuels : un débordement de l’affectif qui empêche de raisonner la tête froide. Regardez les médias : si vous réussissez à faire verser une larme sur vous, ou à faire croire que votre adversaire est un vilain sans cœur, vous avez gagné. On se demande si la foi et la raison sont compatibles. Mais commençons par nous demander si la raison, comme la foi d’ailleurs, ne sont pas d’abord menacées par cette affectivité dégoulinante.
...

Z: Les évêques européens réunis la semaine passée à Saint-Gall ont diagnostiqué comme racine de la crise financière et économique du continent une crise anthropologique. Comment revenir à une pensée sur l’homme qui intègre toute son humanité ?

RB: L’Occident vit dans une étrange contradiction. Tout le monde se gargarise avec les droits de l’homme, et leur souhaite une portée universelle. Ou avec la « dignité humaine », pavillon fort estimable pour des marchandises souvent frelatées, comme la prétendue euthanasie. Mais en même temps, les media répercutent avec une joie mauvaise toutes les découvertes « prouvant » que l’homme n’est guère plus qu’un singe un peu veinard. Sans compter les accusations (en partie vraies, d’ailleurs) [??] qui voient en lui l’animal le plus dangereux pour l’environnement, jusqu’à souhaiter son extinction. Il faudra commencer par se donner les moyens d’affirmer l’homme, avant d’essayer de construire une anthropologie.