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Vladimir Poutine chez le Pape

13 mars 2007

A propos de l'élection contestée en occident, réflexion d'un homme politique italien, de gauche(!). Et un très intéressant article non politiquement correct, datant de 2007, dans la revue 30 Giorni, signé Maurizio Blondet. (6/3/2012)

Photo ci-contre: Voir ici.

Lire aussi, sur Polemia: Poutine, un nouveau Pierre le Grand.
Et, un dernier article, d'Aymeric Chauperade: Russie : Bonne nouvelle pour la multipolarité.
Et écouter le bon commentaire d'Eric Zemmour, sur RTL, le 6 mars.

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Les medias occidentaux, et particulèrement français, détestent Vladimir Poutine, et ne s'en cachent pas (et ils adorrrent Barack Obama, ceci explique peut-être cela). Ils ont sans doute leurs raisons, mais elles ont peu à voir avec les intérêts des peuples.
Quand on voit la façon (dérision, ricanement, caricature) dont ils ont traité hier le président russe nouvellement ré-élu, on peut se poser légitimement les question: sommes-nous en guerre avec ce pays? Y a-t-il oui ou non échange d'ambassadeurs?
Comme la réponse est évidemment non à la première question, et oui à la seconde, on pourrait peut-être envisager des protestations officielles de l'Ambassade de Russie en France. Et remarquer que les diplomaties et les medias occidentaux étaient nettement plus pudiques du temps de l'Urss, et des intellectuels "compagnons de route"

Ma remarque ne se place pas (seulement!) au niveau géopolitique. Disons que ma sympathie pour le président russe pourrait s'appuyer aussi sur des raisons en rapport avec le sujet de ce site, que l'on peut lire ici: http://beatriceweb.eu/. Elles ne sont pas pires que d'autres.

En attendant, voici une analyse trouvée sur le site italien www.cadoinpiedi.it/ .
Il s'agit de l'interviewe d'un homme politique italien russophone, de gauche (donc insoupçonnable, c'est le meilleur des témoins), déjà rencontré dans ces pages à propos du réchaufffement climatique, Giulietto Chiesa (cf. Froid polaire et réchauffement de la planète).
Il admet qu'il y a eu des fraudes (ce qui ne signifie pas qu'il y en ait eu effectivement, et surtout, qu'elles aient été aussi massives qu'on le prétend). Quand les fraudes avaient contribué à élire Boris Eltsine, les observateurs occidentaux étaient moins regardants. Mais il les replace dans un contexte spécifique.
Et à propos de la démocratie en Russie, n'oublions pas, de toutes façons que ce n'est qu'en 1861 que le Tsar Alexandre II, le père du tsar martyr Nicolas II, a aboli le servage (et c'est seulement en 1906, à la veille de la Grande Guerre de 1914-1917, qu'un réformateur, le ministre Stolypine, donnera enfin aux paysans les moyens d'acquérir la pleine propriété de la terre. Cette réforme décisive aura des effets bénéfiques immédiats mais elle viendra trop tard pour sauver le régime et la Russie elle-même de la catastrophe. Le servage sera remis en vigueur par le régime communiste sous le nom de «kolkhoze». Sous cette forme «progressiste», ils se révèleront aussi néfastes que sous le règne des premiers tsars de la dynastie des Romanov dans leurs conséquences sociales et économiques, source)

Vladimir, tsar de Russie
Giulietto Chiesa
5 Mars 2012
(http://www.cadoinpiedi.it/2012/03/05/vladimir_zar_di_russia.html , ma traduction)
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Poutine élu avec la fraude habituelle. Mais cette fois, il a pris conscience qu'il y a une opposition. Et il en tiendra compte. La Russie de toujours préfére la stabilité à la démocratie. Poutine, comme Berlusconi? Ils ont la même idée de la démocratie, mais ils ont des styles et des cultures différents.

- Poutine a déjà gagné les élections en Russie. Pourtant, déjà il est question de la fraude. Comme prévu, en Russie ...
- Il faut dire que toutes les élections qui ont été faites à partir de 1989 ont été diversement truquées. Et ce n'est pas moi qui le dis, mais c'est le président sortant Dimitri Medvedev lui-même. Medvedev, quelques jours avant l'élection, rencontrant un groupe de parlementaires et de dirigeants politiques des partis qui ont été exclus des élections de la Douma, a déclaré: "Ne soyez pas surpris, après tout, vous savez tous que les premières élections qui ont élu Boris Eltsine en 1996 étaient truquées".
Bien sûr, dans ce cas, tout l'Occident, il est bon de le rappeler, a salué à l'unanimité les élections démocratiques en Russie. Mais si on avait regardé attentivement, on aurait découvert que celles-ci aussi avaient été truquées!
Donc, le fait qu'aujourd'hui, on parle de fraude aux élections russes, ne me surprend pas du tout. Je suis convaincu que, dans toutes ces élections, il y a eu une opération de "maquillage", dans certains cas très marquée. Surtout dans les zones les plus reculées du pays.

- Où en est la démocratie en Russie? Il convient de rappeler que c'est l'un des pays où l'on a vu tuer le plus grand nombre de journalistes "dérangeants" ...
- Je pense qu'il est juste de commencer par dire que, même en Italie (ndt: ici, on pourrait écrire "en France"), nous n'avons pas une grande liberté. Notre pluralisme est très relatif. Certes, en Russie, la situation est encore pire. Il faut dire que ce sont les pays qui ont des cultures différentes, des traditions différentes. Nous avons la Constitution républicaine née de la Résistance, ils ont une Constitution faite de manière autoritaire, nous ne pouvons pas attendre d'eux qu'ils soient comme nous. Ils ne le sont pas. Nos normes démocratiques ne fonctionnent pas pour eux. La bonne chose à faire est de mesurer ce qu'était la Russie il y a quelques années et ce qu'elle est aujourd'hui, en d'autres termes, de mesurer la Russie avec elle-même. Pas avec notre compteur, dont on ne sait pas vraiment pourquoi il devrait servir de pierre de touche pour eux.
Si nous devions raisonner en termes de définition démocratique crue, nous pourrions dire que le peuple russe ne sait même pas ce qu'est la démocratie. Dans la grande majorité, il se contente de choisir le leader qui lui est proposé. Il choisit après le grand traumatisme subi avec l'effondrement de l'Union soviétique, il choisit dans ce cas l'homme qui assure la stabilité. Et comment le choisit-il? Avec la fraude , en ce sens qu'il s'agit essentiellement d'un choix majoritaire mais qui est présentée comme un choix plébiscitaire, qu'il n'est pas!
Il est probable qu'avec un vote "propre", Poutine aurait gagné de toute façon, mais il n'aurait pas gagné au premier tour, il l'aurait emporté au second tour et n'aurait pas gagné avec le pléthorique 66%, mais avec 50, 51% au second tour. Telle est l'image réelle. Les Russes préfèrent essentiellement la stabilité à la démocratie .

- Poutine est un peu le Berlusconi russe?
- Non, je ne pense pas qu'on puisse faire des comparaisons, même si ce sont des amis. Ce sont deux styles différents, deux cultures différentes, des façons différentes de concevoir le pouvoir. Et surtout il y a la diversité de taille. Poutine est toujours le leader d'un pays qui est une puissance mondiale, Berlusconi n'a jamais été le dirigeant d'un pays de cette taille, il était donc un peu plus "harlequinesque". Mais je pense que si on les mettait ensemble, ils auraient plus ou moins la même idée de la démocratie .
Maintenant, la seule chose que je peux ajouter, c'est que, malgré tout ce que j'ai dit jusqu'à maintenant, il y a une nouveauté, c'est le fait qu'en Russie il y a une opposition . Et Poutine a compris que cette opposition n'est pas effaçable, c'est pourquoi il ne recourt pas à la force. Aujourd'hui, nous aurrons une manifestation au centre-ville de Moscou, Place Pouchkine, qui n'avait jamais été autorisée avant. Sûrement, il y aura des centaines de milliers de personnes qui manifesteront (ndt: il ne semble pas que cela ait été le cas...) parce que les élections ont été truquées, mais je ne pense pas qu'il y aura intervention de la police, je pense que Poutine a lancé un processus dans lequel d'une certaine façon il prendra en compte le fait que le pays n'est plus celui d'il y a 5-10-15 ans.

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Faisant des recherches pour illustrer l'article, j'ai trouvé cet interviewe de Maurizio Blondet, issu de la revue 30 Giorni en français.
J'avais découvert Maurizio Blondet par le Père Scalese.


RUSSIE. Poutine taxé d’antidémocrate à cause de sa bataille contre les oligarques
Qui a peur de l’ours russe

http://www.30giorni.it/articoli_id_14851_l4.htm
(dans le n° de juillet-août 2007)
Interview de Maurizio Blondet, auteur de "Stare con Putin?"
Davide Malacaria

«Le processus d’intégration entre Europe et Russie est dans les faits. Il s’agit simplement de l’accompagner en évitant que d’autres ne le détruisent, agissant pour leurs propres intérêts»
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«Russie et Europe ne peuvent que s’intégrer de plus en plus, en une sorte de destin manifeste». Celui qui prononce ces mots est Maurizio Blondet, qui a été longtemps l’une des signatures les plus en vue d’Avvenire, le quotidien des évêques italiens pour lequel il a signé de nombreux éditoriaux. Blondet a abandonné depuis longtemps les défis du quotidien catholique pour se dédier à un quotidien en ligne, Effedieffe.com, une publication aux teintes plutôt fortes, mais toujours intéressante et bien documentée. Il a récemment publié Stare con Putin? [ Soutenir Poutine? ndr], l’ouvrage qui sera l’objet de notre interview. Nous l’avons rencontré avant le sommet informel entre le président des États-Unis, George Bush, et le président de la Fédération russe, Vladimir Poutine, qui s’est tenu au début de juillet dans le Maine, dans la résidence de Bush senior. Une rencontre qui a fait naître des espérances. Mais celles-ci restent à vérifier.


Maurizio Blondet, Pourquoi être du côté de Poutine?

MAURIZIO BLONDET: Je crois que le président russe, après le 11 septembre et le début de ce que l’on a appelé la guerre contre le terrorisme, a représenté un point de stabilité, d’équilibre dans le monde. Et puis, l’Europe ne peut trouver que des bénéfices à s’intégrer avec la Russie. Malheureusement, les bureaucrates de Bruxelles s’y opposent: les Barroso, les Solana, des personnes qui sont à la tête de l’Europe sans aucune investiture populaire et qui ne font que compliquer cette intégration. Peut-être parce qu’ils doivent obéir à d’autres, à des gens qui n’ont aucun intérêt à ce processus.

À savoir?
BLONDET: Avant tout, les États-Unis. Il y a des gens qui voudraient marginaliser la Russie et en faire une petite puissance asiatique.

Une thèse vaguement conspirationniste...
BLONDET: Pas du tout. Je vous lis un passage d’un essai écrit en 1997 par Zbigniew Brzezinski, ancien secrétaire d’État avec Carter: «L’Ukraine, nouveau et important espace sur l’échiquier euroasiatique, est un pilier géopolitique parce que son existence même comme pays indépendant permet de transformer la Russie. Sans l’Ukraine, la Russie cesse d’être un empire euroasiatique. La Russie sans l’Ukraine peut encore se battre pour sa situation impériale, mais elle deviendra un empire substantiellement asiatique, probablement entraîné dans des conflits éreintants avec les nations de l’Asie centrale, qui seraient soutenues par les États islamiques, leurs amis du sud [...]. Les États qui méritent le plus fort soutien géopolitique américain sont l’Azerbaïdjan, l’Ouzbékistan et (en dehors de cette région) l’Ukraine, dans la mesure où ils sont tous les trois des piliers géopolitiques. Ou plutôt, c’est l’Ukraine qui est l’État essentiel, dans la mesure où elle pèsera sur l’évolution future de la Russie». Cette lecture est utile pour comprendre ce qui est arrivé dans ces dernières années. Ce texte a été écrit bien avant que n’éclatent les “révolutions colorées”.

Des révolutions colorées...
BLONDET: La révolution orange en Ukraine, la plus importante du point de vue géopolitique, la révolution rose en Géorgie, et puis celles des Pays baltes et des pays asiatiques comme l’Ouzbékistan et le Kirghizstan, toutes financées par les États-Unis à travers une myriade d’organisations non gouvernementales qui ont poussé comme des champignons à l’intérieur de ces États, en dépit du fait qu’il y ait aux États-Unis des lois qui interdisent de manipuler les sociétés civiles des autres pays. J’ai aussi parlé, dans mon livre, de l’homme le plus important de la révolution kirghize, l’Américain Mike Stone qui, en plein milieu des troubles, crée un journal dans lequel on apprend les gens à faire la grève de la faim, à organiser une manifestation, à faire de la résistance passive... et quand les autorités lui coupent l’électricité, il réussit quand même à imprimer grâce à des générateurs que l’ambassade américaine au Kirghizstan met gentiment à sa disposition. Une autre figure singulière est celle de Kateryna Chumachenko, la femme de Viktor Yushenko, leader de la révolution orange et l’actuel président de l’Ukraine. Née à Chicago, elle était fonctionnaire de la Maison Blanche sous Ronald Reagan et ensuite au Ministère du Trésor. À la Maison Blanche, elle était membre du Public Liaison Office et elle avait pour spécialité de gagner des sympathies pour les politiques reaganiennes auprès des groupes anticommunistes de l’Est européens, en particulier les dissidents ukrainiens. Ce ne sont que quelques exemples.

Vous parliez des révolutions qui ont eu lieu dans les pays de la Russie asiatique...
BLONDET: Il s’agit de pays caucasiens et de ceux qui, s’étendant de la mer Caspienne à la Chine, séparent au sud la Russie de l’Iran, de l’Afghanistan et du Pakistan. Des États fondamentaux d’un point de vue géopolitique, dans la mesure où ils mettent la Russie en communication avec la mer Caspienne, riche, entre autre, de pétrole et de gaz naturel, mais surtout parce qu’ils constituent les voies de transit des oléoducs russes. Actuellement, l’armée américaine enrôle des marines en Géorgie; elle n’a plus de volontaires américains, parce que ces derniers offrent leurs services à des entreprises privées qui paient mieux, alors les États-Unis sont obligés d’aller chercher des renforts pour leur armée dans des pays de ce genre... Mais les choses n’ont pas marché exactement comme le voulaient les stratèges néocons: Après une période de subordination aux nouveaux patrons occidentaux, les politiciens locaux de certains de ces pays ont commencé à tisser de nouveaux liens avec Moscou. D’ailleurs, la Russie est beaucoup plus proche d’eux que les États-Unis, et il est impossible de ne pas en tenir compte.

Et pourtant, après le 11 septembre, les États-Unis et la Russie apparaissaient unis contre la menace terroriste.
BLONDET: À l’époque, les États-Unis croyaient pouvoir manœuvrer la Russie. Or tout est devenu plus compliqué lorsqu’au contraire, Poutine a commencé à faire une politique qui a petit à petit sorti la Russie du chaos organisé dans lequel elle était tombée avec Eltsine. Il y a réussi aussi grâce aux revenus du gaz et du pétrole. La guerre contre l’Irak, qui représentait dans l’esprit des stratèges américains un pas vers l’hégémonie mondiale, en causant une hausse du prix du pétrole, a eu pour eux un effet qu’ils ne souhaitaient pas en aidant le redressement économique de la Russie... Et Poutine a utilisé le pétrole pour assainir la nation, au lieu de remplir les poches des quelques oligarques comme cela se passait sous Eltsine, quand un petit groupe de magnats sans scrupules se sont accaparés pour quelques sous et grâce à leurs accointances avec l’ancien président russe, les énormes richesses du pays.

Les oligarques... il y a entre eux et Poutine une guerre souterraine.
BLONDET: Et c’est la raison pour laquelle le président russe a été l’objet de si nombreuses attaques du côté occidental. Jusqu’à l’arrestation du magnat Mikhaïl Khodorkovski en octobre 2003, les relations avec l’Occident étaient bonnes. Après, elles n’ont fait que se détériorer: depuis, Poutine a été accusé d’attenter à la démocratie et que sais-je encore... En effet, l’arrestation de Khodorkovski a été le signal de l’inversion de tendance, le signal que les temps des vaches grasses était fini pour les oligarques, que le nouvel habitant du Kremlin n’aurait pas toléré les exactions de ces personnages qui bénéficiaient de l’appui de la finance internationale. Khodorkovski était devenu le patron de Youkos, le plus grand groupe pétrolier russe, en déboursant 309 millions de dollars pour acquérir 78% des actions... le lendemain, à la bourse russe, le groupe montrait sa vraie valeur: 6 milliards de dollars. Évidemment, l’argent n’appartenait pas à Khodorkovski, mais il lui avait été prêté par des financiers internationaux connus auxquels il s’apprêtait à revendre le groupe avant d’être arrêté.

Vous faites allusion, dans votre livre, aux rapports entre les oligarques et les terroristes tchétchènes.
BLONDET: Ce n’est pas un mystère que Chamil Bassaev, le terroriste qui a revendiqué le massacre de Beslan dans lequel ont péri 394 personnes dont 156 enfants, était le chef des gardes du corps de Boris Abramovich Berezovsky, le plus puissant de ces oligarques, actuellement “exilé” à Londres. Aslan Maskhadov, un autre chef de la guérilla tchétchène, lui aussi impliqué, entre autre, dans le massacre de Beslan, était l’un des gardes du corps de Berezovsky... mais il y aurait bien des choses à dire sur la guérilla tchétchène. Quand, au cours d’une fusillade, les troupes russes tuent Rizvan Chitigov, alors numéro trois de la guérilla, ils trouvent sur lui la plaque caractéristique des marines, sur laquelle est gravée son identité, et la carte verte, à savoir le permis de séjour permanent aux États-Unis. Juste pour dire que les États-Unis, eux aussi, ont intérêt à maintenir la plaie de la guerre tchétchène ouverte, comme un fer au flanc de la Russie...

Désormais, presque tous les oligarques russes se sont réfugiés à l’étranger...
BLONDET: Mais ils ont encore des accointances à l’intérieur de la Russie. N’oublions pas qu’ils ne sont pas nés d’hier. Ce sont des hommes qui viennent de la nomenclature soviétique, avec des liens solides dans la police et dans les services secrets, au point que Poutine, qui leur fait en partie obstacle, est en partie obligé de pactiser avec eux. Poutine a placé ses hommes dans les postes qui comptent, mais il ne peut pas contrôler tout ce qui se passe en Russie.

Anna Politkovskaïa, une journaliste qui ne lésinait pas ses critiques envers Poutine, a été assassinée en octobre dernier. Cet homicide a jeté une ombre sur le président russe.
BLONDET: Je crois que c’était justement cela l’objectif des assassins. Il est évident que le seul qui n’avait aucun intérêt à cet assassinat était justement Poutine. Personnellement, je suis convaincu que cette journaliste a été la victime sacrificielle immolée sur l’autel de l’anti-impérialisme russe. Certains milieux ont pensé qu’elle était plus utile morte que vive. Je tiens néanmoins à souligner que le vacarme médiatique de cet homicide a été excessif. Un autre crime édifiant a connu un tout autre sort médiatique: peu avant la journaliste, a été tué Andreï Kozlov, vice-président de la Banque centrale russe, un homme de premier plan de la Fédération russe. Kozlov était en train de mener une enquête sur le recyclage et il s’apprêtait à retirer des licences bancaires, un geste ruineux pour certains milieux financiers. Bien évidemment, Kozlov n’agissait pas en opposition à Poutine, et c’est pour cela que ce crime est passé presque inaperçu en Occident.

Un autre assassinat édifiant, celui d’Alexandre Litvinenko, décédé en novembre 2006. Encore des accusations contre Poutine...
BLONDET: On a beaucoup parlé du polonium, la substance radioactive avec laquelle il a été empoisonné... mais peut-on vraiment croire que Poutine ait donné l’ordre de tuer quelqu’un en utilisant une substance qui laisse des traces partout, au point que pour trouver le coupable, il suffit d’en suivre le sillage radioactif? À mon avis, comme la Politkovskaïa, Litvinenko a été, lui aussi, une victime sacrificielle pour discréditer le président russe, même si dans ce cas, il y a une variante. Le pauvre Litvinenko n’est pas mort tout de suite, mais il a beaucoup parlé au cours de sa longue agonie en donnant une quantité prodigieuse d’interviews dans lesquelles il a lancé des accusations contre les dirigeants russes (et là aussi, il y a de quoi sourire en pensant à un mandant qui laisse à sa victime le temps de parler si longtemps... il y a des méthodes beaucoup plus rapides pour tuer). Ce qui est curieux, c’est qu’étant donnée la situation, personne ne pouvait accéder à son chevet. Toutes ses déclarations ont été recueillies par la seule personne autorisée à rencontrer le moribond, un certain Alex Goldfarb, qui agit comme une sorte de porte-parole du moribond. C’est lui qui rapporte les paroles de Litvinenko à l’extérieur, qui explique et qui accuse... Dans mon livre, je fais remarquer que des traces de polonium ont été retrouvées aussi dans les bureaux de Berezovsky. Je crois que ce détail devrait être approfondi.

La Maison Blanche a récemment annoncé qu’elle installera un nouveau système antimissile en Pologne pour faire obstacle, disent les Américains, à une éventuelle menace iranienne. Cette démarche a suscité des réactions négatives à Moscou.
BLONDET: C’est évident, car cette initiative est perçue par les Russes, à juste titre, comme une menace envers eux. L’ouverture que Poutine a faite en réponse, lorsqu’il a proposé de créer une collaboration entre États-Unis et Russie pour déployer ce bouclier antimissiles dans un État asiatique, a dérouté les néocons. Ils ne peuvent pas dire non, parce que cette proposition est plus que raisonnable – d’ailleurs on ne voit pas ce que la Pologne a à voir avec l’Iran – mais ils chercheront à la faire capoter par tous les moyens. Nous verrons ce qui va se passer.

Pensez-vous, vous aussi, que l’Iran soit une grave menace internationale?
BLONDET: Lorsque Bush s’est rendu en Inde il y a quelque temps, il a offert à cette nation une collaboration pour développer une technologie nucléaire; or c’est exactement ce qu’il ne veut pas qu’ait l’Iran. En réalité, pour les néocons, l’attaque contre l’Iran est devenue une véritable obsession. Il y a quelque temps, Brzezinski a dit, en s’adressant au Congrès américain, que l’actuelle administration américaine serait capable de faire un attentat en territoire américain en l’attribuant aux islamistes, pourvu que cela leur donne un prétexte pour attaquer l’Iran...

Paradoxal... mais n’aviez-vous pas dit que Brzezinski était partisan d’une politique agressive de la part des États-Unis?
BLONDET: Brzezinski, comme Kissinger, est un stratège politique qui, à juste titre, s’inquiète du destin de sa propre nation et en recherche la prospérité, même si c’est parfois par des méthodes discutables. Mais il s’agit de personnes qui connaissent les voies de la politique et de la diplomatie, ce qui n’a rien à voir avec la folie des néocons, partisans de la guerre préventive, de l’exportation de la démocratie à coups de canons, du réaménagement du Moyen-Orient sur la base des directives de la droite israélienne... une folie qui s’est greffée sur la vieille politique américaine en la dénaturant. Il y a une différence entre les uns et les autres, une différence qui a débouché sur un conflit ouvert.

Revenons à Poutine. Vous disiez que l’intégration entre Russie et Europe...
BLONDET: ... n’apporterait que des bénéfices. En réalité, cette intégration est déjà en train de se construire, jour après jour. Il y a une ligne ferroviaire à grande vitesse en cours de construction entre l’Allemagne et la Russie, et celle-ci sera reliée à une ligne entre Russie et Chine. De cette manière les marchandises chinoises, celles d’une certaines valeur évidemment, pourraient arriver en Europe par voie terrestre, en évitant des routes plus longues et plus coûteuses. C’est dans cette même perspective que se situe la construction d’un gazoduc sous la mer Baltique qui, contournant la Pologne, fournira l’Europe en évitant que cette précieuse ressource ne passe à travers les territoires des démocraties de l’Est, asservies aux États-Unis. En somme l’intégration est dans les faits. Il s’agit seulement d’accompagner ce processus, en évitant que d’autres ne le détruisent, agissant pour leurs propres intérêts.

Dans ces dernières années, de nombreux analystes ont noté un rapprochement entre la Russie et la Chine.
BLONDET: Il y toujours eu de la méfiance entre les deux géants asiatiques. La politique agressive menée par les États-Unis a eu pour effet de rapprocher ce qui a toujours été éloigné. Des synergies militaires, économiques et commerciales sont nées entre la Chine et la Russie, mais il n’est pas dit que ce processus soit destiné à se développer ultérieurement. La Chine a un destin asiatique, la Russie a un destin européen. Il est bon de le souligner.