Le prêtre venu de deux croyances (II)

La belle histoire de don Nur, ou le dialogue inter-religieux vécu au quotidien, dans une famille unie par la foi - suite (27/1/2013).

C'est une histoire qui a l'air trop belle pour être vraie, et pourtant....
Cf. Le prêtre venu de deux croyances (I)

Image ci-contre: Benoît XVI à la Mosquée Bleue d'Istanbul le 30 novembre 2006.

     

Le prêtre venu de deux croyances (II)
11/01/2012
http://www.missionline.org/index.php?l=it&art=5025
Chiara Zappa
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Sa mère est catholique, son père musulman. Pour le reste, don Nur était un adolescent comme tant d'autres: rebelle et difficile. Jusqu'à ce qu'un jour, il entende un appel qui jeta sa famille dans la tourmente

«Quand je repense à mon histoire, je me rends compte ce que signifie l'expression "tout est grâce" ».
C'est ainsi que commence le récit de don Nur el Din Nassar, né et grandi à Domodossola, ordonné en Juin dernier à Novara. Une ordination qui a soulevé une certaine curiosité, pour le nom arabe de ce jeune homme de 32 ans, et un détail familial: le père de don Nur, en effet, est un Egyptien musulman pratiquant. Et, en période de méfiance et d'incompréhension entre les religions, une histoire comme celle-ci fait les titres.

- Don Nur, comme a commencé votre histoire?
- Mes parents se sont mariés en 1978. C'était un coup de foudre que je ne sais toujours pas comment expliquer. Cette année-là, mon père arrivait d'Egypte. Il venait d'une famille aisée, mais il était un esprit libre: son pays, patriarcal et otage de la corruption, le tenait serré. Alors il est parti: il est arrivé à Venise, mais très vite, il a déménagé à Milan, où il a travaillé à la plonge. Le jour de repos, il allait à la gare, choisissait un but au dernier moment et montait à bord du train! Un jour, il était à la gare centrale en attendant le train de Gênes. Ma mère revenait d'une réunion du Mouvement des Focolari à Bergame. Ils étaient assis ensemble dans la salle d'attente. Je n'ai aucune idée de ce qu'ils se sont dits: il ne savait même pas bien l'italien! Le fait est que ils ont échangé leurs adresses, et aujourd'hui, ils sont mariés depuis 34 ans! Dès le début, mon père s'est avéré être très respectueux de la foi de ma mère; elle voulait un mariage chrétien; ensuite, ils ont décidé ensemble que les enfants ne recevraient pas les sacrements et choisiraient leur propre vie spirituelle quand ils seraient grands. Je suis né à Domodossola en 1980, l'aîné des trois enfants, et mon m'a appelé Nur El-Din, qui en arabe signifie "lumière de la foi".»

- Qu'est-ce que vous vous souvenez de votre enfance?
- Dès mon jeune âge, j'ai respiré la vie de deux personnes qui vivaient quotidiennement leur foi. Je me souviens de mon père qui priait sur un tapis, ou qui jeûnait pendant le Ramadan. En ce mois, souvent le soir, nous nous réunissions avec des amis pour la rupture du jeûne, pour dîner ensemble et faire la fête. Je me souviens de plusieurs occasions, comme la fête du sacrifice: Papa était très pieux, j'ai pris part à ces moments-là, mais il ne m'a jamais imposé quoi que ce soit. Maman me laissait libre, elle aussi, même si elle m'invitait toujours à me rendre à l'oratoire (ndt: oratorio est le nom italien désignant l'endroit dans les paroisses dédié à la pastorale des jeunes. Nous dirions "patronnage"). A Noël, nous faisions la crèche, il n'y a jamais eu de problème ni pour papa, ni pour ses amis. Ce que j'ai compris de la relation entre mes parents, c'est que pour un projet de couple, il est important d'avoir la foi au centre, et une identité religieuse forte (ndt: on en revient aux propos du pape devant les magistrats du Tribunal de la Rote). Mes parents avaient deux religions différentes, mais je les ai toujours vu assidus. C'était ma nourriture. Mon papa avait l'habitude de me raconter des histoires, mais ce n'était pas le Petit chaperon rouge ou Blanche-Neige, mais les histoires bibliques: celle d'Abraham, ou de Salomon ... certes un peu adaptées pour un enfant! Je me souviens que j'ai beaucoup aimé l'histoire de Joseph, fils de Jacob.

- Comment viviez-vous la religion?
- À l'école primaire, je suis allé au catéchisme uniquement parce que tous les enfants y vont. Ensuite, j'ai fréquenté une paroisse tenue par des frères: c'était dans un quartier appelé "Abyssinia" parce qu'il était habité par des immigrants qui travaillaient en Suisse. Les enfants restaient dans la rue, alors les frères ont commencé à prendre soin d'eux et à donner un coup de main aux familles. Dans ce contexte, je pense qu'est née une certaine amitié et de la gratitude de la part de mon père envers ces religieux, qui exerçaient une charité très concrète.
Au collège, par contre, j'ai commencé à fréquenter une paroisse voisine, active dans la pastorale des jeunes. J'ai réalisé que j'en savais beaucoup plus que mes camarades sur la foi, mais cela ne signifiait rien pour moi, ma vie n'en était en rien effleurée.

- Comment avez-vous vécu l'adolescence?
- Autour de 14-15 ans, les choses ont empiré. Ma vie était une contradiction continue: je passais de l'oratoire aux soirées avec des amis, à base de joints et d'alcool, de l'escalade aux soirées en discothèque ... Et toujours, je ressentaix une soif impressionnante de beauté et de sens. J'ai commencé à me passionner pour la politique, j'étais intéressé par les questions de justice sociale, mais partout où je cherchais, à la fin, je me sentais vide. Je passais d'émotion en émotion sans jamais être satisfait, même dans les relations affectives. Je trouvais une petite amie, mais ensuite je réalisais que j'étais comme avant, comme quand, après un camp d'été enthousiasmant, je rentrais chez moi et que rien n'avait changé. A l'école, je m'en sortais, au moins en termes de notes, mais les conflits avec les enseignants étaient au programme. J'étais en colère, je porte encore un tatouage avec le «a» d'anarchie fait durant cette période. Et pourtant, relisant ces années, je pense avec gratitude aux figures d'éducateurs qui ont été proches de moi: mes parents, de très bons enseignants, un prêtre extraordinaire.

- Quand le tournant est-il venu?
- A 17 ans. J'étais vraiment désespéré. Un jour, une amie m'a invité à un camp. Elle a dit: «Viens, je vais te faire connaître un très bon prêtre». C'était don Valentino Salvoldi, un missionnaire avec un caractère bien trempé, mais qui aimait vraiment les jeunes. J'ai commencé à le suivre parce qu'il était fascinant et brillant. Le titre du camp était «La beauté sauve le monde»; cela a été le premier coup de foudre. Quelque chose en moi a commencé à remuer. Là, on ne m'a pas demandé de connaître des choses sur Jésus, mais on m'a aidé à rencontrer la personne de Jésus. Le message était: «Tu peux, Dieu a confiance en toi». Peu à peu, j'ai commencé à avoir confiance, alors j'ai parlé à don Valentino: «Cette chose me donne la paix - lui ai-je dit - mais comment puis-je continuer à la vivre dans la vie quotidienne?». Et il m'a donné la recette: la prière, la Parole de Dieu et la participation à la vie sacramentelle. Je n'avais pas reçu les sacrements, mais don Valentino n'a pas accepté d'excuses: «Tu vas à la messe le dimanche. Et durant la semaine, même si c'est la fin du monde, tu te réserves un espace de silence avec toi-même et avec Dieu». Je ne sais pas quel déclic il y a eu, j'ai commencé à le faire. Au début, devant le Saint Sacrement, je m'ennuyais, mais je restais là. Le Seigneur m'a gardé, et après un certain temps, la fidélité est devenue exigence. Ma vie a commencé à avoir un sens: elle n'était plus dispersée, j'avais un endroit pour faire la synthèse des expériences et des relations »

- Comment votre vie quotidienne a-t-elle changé?
- J'avais commencé à travailler comme jardinier, puis comme varappeur, mais le vendredi soir j'arrêtais, je passais à la maison pour prendre une douche, puis j'allais à des réunions de prière un peu partout. Un jour, don Valentino a dit: «Il est temps que tu commences à faire un chemin, va dans ta communauté, parle au curé, tu dois faire un choix».
Alors je me suis mis en jeu, je suis allé voir le curé et j'ai commencé un petit chemin du catéchuménat. Le 30 Mars 2002, la nuit de Pâques, j'ai reçu les sacrements. J'ai collaboré avec la paroisse, entre hauts et bas, mais je ressentais toujours une joie profonde, une sérénité: il y avait enfin quelque chose de stable. Un jour - c'était le 28 Décembre 2004 - j'étais dans un camp scolaire, en montagne. J'étais vraiment bien, et à l'intérieur de moi, j'ai entendu la question: «Et si ta vie, c'était cela? Consacrer ton existence à Jésus et parler aux autres de toutes les bonnes choses qu'il a faites pour toi?». Je me suis pris quelques mois de discernement, au cours desquels j'ai également vécu quelques moments forts, comme les Journées Mondiales de la Jeunesse en 2005 et une expérience missionnaire en Albanie. Puis, un jour, je suis rentré à la maison, et j'ai dit: «Maman, le mois prochain, j'entre au séminaire».

- Comment l'ont-ils pris à la maison?
- Il m'a fallu quelques heures pour convaincre ma mère que je ne plaisantais pas. Personne, ni mes amis, ni le prêtre de l'Oratoire, ne pensait que j'étais sérieux. Mais en Octobre 2005 je suis entré au séminaire. Pour mon père, cela a été très difficile. C'était comme de digérer un rocher, pour lui, musulman authentique comme j'en ai connus peu, et je l'admire beaucoup, parce qu'il l'a fait. Après une année difficile - dans laquelle, lorsque je passais à la maison, il s'enfermait dans la chambre - petit à petit, il s'est ouvert, et à la fin, pour notre famille, cela a été un grand enrichissement; je me rappelle de dîners transformés en vrais débats! Cette chose nous a aidés à grandir, et mon père a grandi dans sa foi, comme j'ai grandi moi-même grâce à la foi des mienns.

- Que vous a enseigné la religion de votre père?
- Le Dieu du Coran est le « viscéralement miséricordieux », et je trouve cela très beau. Et j'admire profondément le grand respect des musulmans pour la prière et pour tout ce qui est sacré. Ce que je n'ai trouvé que dans le christianisme, c'est la proximité avec Dieu, l'Evangile n'est pas un livre de règles, mais c'est ta vie elle-même.
Mais ma relation avec la communauté musulmane a toujours été excellente, et je crois fermement en l'importance du dialogue. Un dialogue qui, cependant, doit partir d'une profonde conscience de son identité, un point sur lequel nous, chrétiens, avons beaucoup à apprendre.