Accueil | D'un Pape à l'autre | Retour au Vatican | Collages de Gloria | The hidden agenda | Lumen Fidei | Lampedusa | Benoît et les jeunes

Interprétations, malentendus récupération

A propos de la visite du Pape à Lampedusa. Que dit "La Bussola"? (10/7/2013)

     

Avant hier, ayant comme d'habitude minutieusement rapporté les propos du Pape à Lampedusa , et mettant l'accent (il en faisait son titre), sur la tentation de l'homme de se prendre pour Dieu, Massimo Introvigne écrivait sur La Bussola:

Le Pape a peut-être déçu ceux qui attendaient une analyse politique ou un appel à modifier les lois sur l'immigration, du type de ceux que de temps à autre, on entend de quelque évêque. François, comme il le fait souvent, a décidé de voler plus haut, proposant une profonde méditation sur le péché et sur le refus de Dieu, qui conduisent à l'indifférence vers les besoins réels des personnes. Le Pontife n'a fait qu'une seule allusion à "ceux qui, avec leurs décisions au niveau mondial ont créé des situations qui conduisent à ces drames". Et la première dénonciation a été contre "les trafiquants, ceux qui exploitent la pauvreté des autres, ces personnes pour lesquelles la pauvreté des autres est une source de gain" (1)

Et Massimo Introvigne concluait en ces termes:

«Non, à Lampedusa, François n'a pas porté un message politique. Mais un cri, qui vise à nous réveiller de ce qu'il a appelé "l'anesthésie du coeur"»

Il faut sauver le soldat François

C'est sans doute en partie vrai. Mais le geste était si spectaculaire que son interprétation ne peut se limiter à cela, et ce que les médias laïcistes ont retenu n'est pas sans pertinence.
Et l'embarras est palpable, sur un site aussi fiable que la Bussola, aussi loyal depuis toujours envers le Pape (quel qu'il soit) et aussi clairvoyant depuis ses débuts sur les risques d'une immigration incontrôlée.

Hier, déjà, le directeur, Riccardo Cascioli essayait à son tour de "redresser" la perception, selon lui erronée que l'on a pu avoir du geste de François (Si simple, mais si difficile à comprendre).
Il enfonce le clou aujourd'hui, exaspéré par la course à la récupération en termes de politique italienne (mais pas seulement, hélas: Lampedusa est une passoire vers toute l'Union Européenne!).
Son analyse est celle qu'il a toujours faite, et que je partage - sauf que le Pape a bel et bien dit que ces pauvres gens venaient chercher accueil et solidarité, qu'ils ne l'ont pas trouvé, et même parfois la mort à la place, et que nous étions tous responsables: ce concept de culpabilité collective peut mettre très mal à l'aise.

Mais sa conclusion me laisse - pour une fois! - vraiment dubitative. Il cède à son tour à la facilité de pointer du doigt la "communication" du Vatican.
Or le geste de François EST communication directe, et lui-même ne pouvait l'ignorer. Toute communication ultérieure n'aurait fait qu'affaiblir, diluer, voire effacer son message (car on ne peut évidemment pas attendre un commentaire théologique du Journal télévisé!!). Ce n'est certainement pas ce que le Pape souhaitait - sinon, il aurait pleuré les morts et prié pour eux dans sa chapelle privée, comme l'a fait Benoît XVI durant ses huit ans de pontificat.

Bref, l'impression générale, c'est, pour reprendre un commentaire publié sur le site de Raffaella, et que je m'approprie sans vergogne: "Il faut sauver le soldat François".

     

Sauvez le Pape de ses interprètes
Riccardo Cascioli
10-07-2013
http://www.lanuovabq.it/it/articoli-salvate-il-papadai-suoi-interpreti-6844.htm
-----

«Espérons qu'ils comprennent ce geste», aurait confié le pape François à ses collaborateurs au début de sa visite à Lampedusa, selon ce que rapportent des vaticanistes. Phrase qui exprimerait la conscience du risque de malentendu que comporterait la présence du Pape sur l'île des naufragés.

Risque qui s'est très vite transformé en réalité, vu que souvent les mots et les gestes du Pape - mais il serait préférable de dire de tous les Papes - sont réduits à l'usage et à la consommation de ceux qui les rapporte. Alors, imaginez sur un sujet comme l'immigration! Nous avons donc assisté à un ballet inconvenant sur les paroles du Pape, qui selon certaines interprétations, aurait même eu l'intention de donner un coup d'épaule à la loi Bossi-Fini (2).

Comme nous le disions hier, en réalité, le Pape a placé la question sur un tout autre plan, ce qui fait apparaître plutôt pathétique la réaction - par exemple - de la présidente de la Chambre Laura Boldrini, bien contente de pouvoir affirmer que le pape est en accord avec elle. Mais qui sait si la Boldrini a écouté ce passage de l'homélie où le Pape François dit que l'origine de la violence est dans le péché d'Adam, l'homme qui prétend être Dieu, l'homme qui efface Dieu de son horizon. Au lieu d'inscrire d'office le pape dans le parti de Vendola (Nicky Vendola, président du parti d'extrême-gauche SEL dont la présidente de la Chamnbre est membre) la Boldrini ferait bien mieux de penser à sa propre responsabilité dans les tragédies de la mer, comme de tous ceux qui, comme elle, dans ces dernières années, ont contribué par tous les moyens à l'arrivée d'immigrants illégaux. On ne comprend pas non plus comment la ministre Cécile Kyenge (membre du PD, née au Conga en 1964, ministre de l'intégration du gouvernement Letta) en a profité pour réaffirmer la nécessité de garantir la citoyenneté par naissance (ce que nous appelons droit du sang). L'accueil humain, la participation à la douleur et à la souffrance de ceux qui vivent certaines expériences, est bien autre chose que de garantir l'impossible, à savoir une maison, un travail et la citoyenneté pour tous ceux qui décideraient éventuellement de débarquer à Lampedusa.

Il faut redire avec clarté qu'une chose est l'attention à l'individu (et en cela, on ne remerciera jamais assez les militaires italiens qui ont toujours tout fait pour sauver et soigner les immigrants en danger de mort, même quand la politique des «respigimenti» (3) avait cours); et une autre sont les politiques migratoires qui - en déterminant le nombre d'immigrants ayant la possibilité de résider dans un pays - doivent tenir compte de nombreux facteurs de toutes sortes qui permettent une réelle intégration, et aussi des règles du droit international.

Et quand le pape a fait référence à des choix socio-économiques qui favorisent la migration et les tragédies, il est absurde de le réduire à une critique de l'Occident ou de la mondialisation. Du point de vue économique, la mondialisation a apporté des avantages à tous, même si le processus n'est pas sans contradictions. Mais surtout, pour la plupart de ceux qui débarquent sur la côte sicilienne, les choix politiques des pays occidentaux ont eu une importance marginale, s'ils en ont eu une. Prenons le cas de plus de 500 réfugiés arrivés hier à Lampedusa: ils viennent du Pakistan, du Nigéria, de l'Erythrée, de la Somalie. C'est-à-dire qu'ils fuient la pauvreté et la persécution provoquée par le fondamentalisme islamique ou les derniers vestiges du communisme en Afrique. Alors, la solution n'est pas de faire venir la moitié de l'Asie et de l'Afrique en Italie, mais de s'employer pour que dans ces pays, on crée les conditions politiques et économiques grâce auxquelles la fuite n'est plus nécessaire.

Parce que - nous devons toujours garder cela à l'esprit - ceux qui meurent en mer en essayant d'atteindre les côtes italiennes ne meurent pas à cause du manque d'accueil de notre part (1), mais parce qu'il y en a qui ont facilité le départ des côtes tunisiennes ou libyennes. Et s'il n'y avait pas eu nos patrouilles en mer, le bilan aurait été beaucoup plus lourd.

La réaction aux paroles et aux gestes du pape - dans ce domaine comme dans d'autres occasions - pose cependant un problème de communication qui ne peut être éludé. La quasi-totalité de l'opinion publique va se former un jugement sur ce que dit et fait le Pape en lisant les journaux ou en regardant la télévision: ils sont une infime minorité ceux qui suivent directement ses discours ou lisent intégralement ses discour.
En l'occurrence, à titre d'exemple, la grande majorité des Italiens a une idée de ce qu'a dit le pape à Lampedusa par les déclarations de Boldrini ou Kyenge.
Cela devrait pousser ceux qui, au Vatican, sont chargés de la communication de trouver des façons de transmettre le contenu réel du message du pape et, plus généralement, du Magistère, notamment en intervenant quand il y a des distorsions de manière flagrante. Malheureusement, on a plutôt l'impression que parfois les responsables se complaisent de certaines interprétations.

Note

(1) Homélie du Saint-Père:
Ces mots ont sans doute été prononcés a braccio, et ils ne figuraient pas dans la version reproduite sur Vatican Insider, que j'avais traduite (ici: François à Lampedusa ).

Ceux-ci parmi nos frères et sœurs cherchaient à sortir de situations difficiles pour trouver un peu de sérénité et de paix ; ils cherchaient un rang meilleur pour eux et pour leurs familles, mais ils ont trouvé la mort. Combien de fois ceux qui cherchent cela ne trouvent pas compréhension, ne trouvent pas accueil, ne trouvent pas solidarité ! Et leurs voix montent jusqu’à Dieu ! Une fois encore, je vous remercie vous habitants de Lampedusa de votre solidarité. J’ai récemment écouté un de ces frères. Avant d’arriver ici, ils ont passé par les mains des trafiquants, ceux exploitent la pauvreté des autres, ces personnes pour qui la pauvreté des autres est une source de revenu. Quelle souffrance ! Et certains n’ont pas pu arriver à destination.

(2) http://www.linternaute.com/actualite/savoir/06/immigration-europe/europe/italie.shtml
Adoptée en 2002, la loi Fini-Bossi encadre très strictement l'entrée des étrangers en Italie : elle instaure un fichier d'empreintes génétiques pour les demandeurs de visas, et facilite l'expulsion des immigrés.
La nouvelle majorité de gauche élue en avril propose d'abroger la loi Bossi-Fini et de donner le droit de vote aux immigrés aux élections locales. Elle envisage aussi l'instauration de nouvelles règles de naturalisation pour les enfants d'immigrés nés en Italie, fondées sur le "droit du sol".

(3) Refoulements.
Voir ici: benoit-et-moi.fr/2009-II/
Messori écrivait en mars 2011 (http://benoit-et-moi.fr/2011-I/)

Bossi (Président de la ligue du Nord) a fait un discours réaliste: il a dit que la France et la Grande-Bretagne tireront les avantages et nous laisseront les immigrants. Mais ici aussi nous voyons la même hypocrisie : la plupart de ceux qui fuient l'Afrique du Nord ne sont pas des réfugiés politiques. Ce ne sont même pas les plus pauvres, mais les plus riches parce qu'ils peuvent payer deux à trois mille euros pour quitter la Tunisie ou l'Egypte. Et pour ces pays, c'est comme si nous, nous en payions vingt ou trente mille, pas exactement des cacahuètes, en fait. S'agit-il vraiment de désespérés fuyant la faim que la charité chrétienne exige que nous aidions? Je crois que pour protéger ces gens, les aidant à éviter déceptions et souffrances, nous devrions revenir à une politique de refoulement (respingementi), mettant en œuvre des politiques intelligentes de soutien et de développement dans leur pays. Je sais que dire cela scandalise beaucoup("refoulement" résonne de façon insupportable aux oreilles politiquement correctes), mais la démagogie fait toujours beaucoup de mal et surtout à ceux qu'elle prétend protéger: ces gens, chez nous, ne trouveront pas ce qu'ils espéraient.