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La lettre de Jeannine du 17 juillet

Jeannine revient sur les signes envoyés par la visite du 14 juillet à Castelgandolfo (18/7/2013)

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A la veille des JMJ, les médias font déjà la course pour relever toutes les nouveautés - forcément positives - introduites par François, de la forme (plus de papamobile blindée mais la simple jeep découverte, et des sorties à pied au contact des foules, plus de limousine, mais une petite berline, plus de conférence de presse dans l'avion mais des conversations informelles et personnelles avec chaque journaliste) au fond (visite dans une favela...).
Triomphe médiatique en principe assuré, d'autant plus que, contrairement à ce qui se passait systématiquement avec Benoît XVI, aucun mouvement de protestation n'est attendu, les émeutes urbaines des dernières semaines se sont miraculeusement évanouies, même les critiques sur les coûts ont disparu, et - précision supplémentaire du Père Lombardi - aucune demande de rencontre n'est venue de victimes de prêtres pédophiles.
Bref, chaque décision de François - et par ricochet, chaque commentaire des médias - sonne comme un désaveu de Benoît XVI.

Jeannine (17/7/2013)

Chère Béatrice,

Le 14 juillet à Castel Gandolfo: une voiture ordinaire pour un évêque rendant visite à ses ouailles.
Le 23 mars il avait pris l'hélicoptère mais on était à dix jours seulement de l'élection, et les changements ne faisaient que commencer. Il venait rendre visite au pape émérite et il fallait "marquer le coup" oserais-je dire et garder une certaine solennité.
Depuis le temps a passé et il a imposé sa façon de concevoir la fonction: réduction drastique des effectifs pour l'accompagnement qui est maintenant très diminué: très indépendant il tient à ne pas être pris en main par l'armée de personnel qui pourrait être à sa disposition. Il ne se reconnaît que dans le titre d' "évêque de Rome" mais il se comporte comme un pape en imposant ses vues, sa conception de la papauté qu'il veut installer - il y a là quelque chose qui ne me paraît pas logique mais je suis si loin de lui que je ne peux pas comprendre.

Dans le VIS du 15 juillet j'ai relevé quelques mots qui définissent fort bien sa position à l'égard de cette petite ville : parlant de ses prédécesseurs : «Combien de fois les aurez-vous accueillis et rencontrés. Puissent ces souvenirs vous encourager... »: la page est tournée, ne rien attendre d'autre.
L'Angelus a été récité depuis le portail en raison des 20 000 fidèles peut-être, mais je suis persuadée que même si l'assistance avait été peu nombreuse, il ne serait pas apparu à la fenêtre de la cour intérieure. Il faut se démarquer à tout prix du protocole en vigueur jusqu'au 13 mars pour aller de l'avant.

Lors de la messe du matin du 6 juillet il a beaucoup insisté sur une démarche qui lui tient à cœur: il faut renouveler les structures de l'Eglise. Ces structures anciennes, caduques doivent être renouvelées et François demande la grâce ... de ne pas avoir peur de laisser tomber les structures caduques qui nous emprisonnent. Les répétitions sont dans son texte.
C'est à F. Mounier, quelques jours avant de quitter définitivement Rome, que l'on doit ce condensé de cet office pendant lequel il a ressenti de l'émotion. Il n'a pas omis d'égratigner le pape émérite présent dans l'espace du Gouvernorat le 5 juillet (ici): «Joseph Ratzinger est donc volontiers sorti de son monastère pour s'afficher avec son successeur»; l'emploi du nom de baptême, des mots volontiers et s'afficher m'a déplu, là il n'y avait plus d'émotion!
Je n'avais pas encore lu l'article lorsque j'avais tiqué sur la présence du pape émérite car je me doutais qu'il y aurait un coup de griffe pour celui dont on se croyait enfin débarrassé et qui osait encore se montrer. Moi j'ai retenu l'insistance du pape sur la ligne de son pontificat et sur ce pour quoi il a été élu; tout cela doit être peu rassurant pour ceux qui sont toujours en poste mais savent que le temps des réformes approche avec son lot de mesures qui seront diversement appréciées.

Castel Gandolfo c'est pour moi les quelques jours de repos après la Semaine Sainte et les étés passés dans les villas pontificales. Benoît XVI aimait se promener dans les jardins et aller parfois jusqu'à la ferme pour voir entre autres choses les animaux; parmi eux il y avait «les vaches heureuses» ainsi qu'ils les désignaient et qui paissaient paisiblement entourées de soins. Je me suis souvent demandée si notre Benoît ne les enviait pas pour tout ce calme, cette presque totale liberté dans un cadre enchanteur de verdure.
En 2008 (il me semble) pour Pâques, un agneau lui avait été offert. Celui qui s'en occupait à la ferme ne voulait pas entendre parler de le tuer tant qu'il serait à ce poste; ce petit animal suivait son soigneur pas à pas et les images étaient simples, belles.
Il y avait aussi les concerts offerts au prestigieux vacancier, ses quelques sorties qui permettaient au village de le voir et d'échanger quelques mots avec lui, les enfants qui l'attendaient avec des fleurs, l'Angélus tous les dimanches à la fenêtre de son appartement sur la petite cour pleine d'une ambiance de fête explosive. Ses bras largement ouverts accueillaient tous ceux qui étaient présents mais bien vite il attaquait le sujet de sa méditation; les salutations en diverses langues déclenchaient des applaudissements frénétiques. Au premier rang, sous son balcon, il y avait souvent les mêmes personnes, fidèles à cette rencontre si simple: laïques, religieuses, prêtres, prélats parfois; c'était un rendez-vous joyeux, plein d'affection, un lien entre le pontife et ses enfants qui se sentaient aimés de lui mais très vite il se retirait alors que sa présence aurait comblé de joie l'assistance, échapper à la personnalisation était sa règle.
La messe du 15 août était célébrée avec le village et les memores domini y assistaient.
Il y avait le son du piano, le bureau sur lequel il écrivait, décoré avec un bouquer de fleurs et largement éclairé. Il y avait tant d'autres marques de sa présence discrète, bienveillante. Même loin de la foule je savais qu'il était là dans ce paysage plus simple et tellement plus conforme à lui. Il aurait fallu être très difficile pour ne pas s'y plaire.

L'absence d'un pape dans les villas pontificales entraîne un manque à gagner pour les professions vivant du tourisme et elles l'ont fait savoir; peu importe celui qui vient, du moment qu'il attire la foule.

Pour Rome, François a fait repartir les affaires de manière inespérée, alléluia!! L'argent est le moteur du monde et des sentiments.
Notre Benoît avait bien raison de dire que tous les cris, les vivats, les applaudissements n'étaient pas pour lui, il a ainsi pu prendre sa décision en toute liberté et sans regrets des choses superficielles. Etrange comme sa renonciation est suivie dans le monde d'une soudaine prise de conscience, de la part des dirigeants, de la fuite inexorable du temps et des forces, de l'inadaptation à une société qui évolue trop vite et devient parfois incontrôlable, simple coïncidence peut-être me direz-vous mais... Le rapprochement a même été fait pour des ecclésiastiques demandant à être relevés de leur fonction. Le vieux curé bougon, agressif (cf. Deux poids deux mesures ), ferait bien de lever le pied mais depuis 2007 les années ont passé pour lui aussi. Il peut dormir tranquille : pas de frais de transports, d'aménagements. A-t-on pensé à lui demander son avis pour restaurer ce lieu de retraite? J'espère que notre pape émérite arrive à trouver un peu de fraîcheur dans son monastère et que l'été ne le fatiguera pas.
Pour quelles raisons François a-t-il décidé de rester au Vatican pendant l'été, je l'ignore. Là encore il fait preuve de la même indépendance pour organiser sa vie professionnelle et personnelle. Les habitudes de ses prédécesseurs ne le concernent pas.
Jean-Paul II avait la réputation de béatifier avec une grande largesse, lui va plus loin puisque les canonisations pourraient devenir davantage des décisions papales. Je suis très honnête, cela ne me dérange pas, je ne passe pas ma vie à implorer tous les saints pour résoudre mes problèmes. J'ai pourtant été amenée, en écoutant Benoît XVI, en relisant ses textes délivrés dans un langage élaboré, précis, clair, plein de citations, de références mais il faut bien le reconnaître de haute volée, à découvrir des vies de saints, des pères de l'Eglise, des théologiens, des moralistes, des personnages qui sont sortis de leur anonymat pour prendre vie pour moi à travers ses paroles et je réfléchissais sur toutes les richesses qu'il nous livrait sans matraquage. Il n'avait pas peur d'utiliser des images fortes, des mots durs pour souligner ce qui n'allait pas dans l'Eglise mais venant de lui c'était du pessimisme!!
Avec François, c'est un nouveau printemps, un souffle jeune, vivifiant qui redonne espérance à l'Eglise. Il ne ménage pas son auditoire, pointe avec précision tous les manquements, toutes nos lâchetés, toutes nos insuffisances. Chaque parole martelée, répétée, devient boisson désaltérante; là encore il y a quelque chose qui m'échappe mais je ne cherche pas vraiment à comprendre tant tout cela est loin de moi.

Qu'il ait décidé d'échapper au carcan du Vatican ne me choque pas. Comment vivre seul dans ces grands appartements? Les quatre laïques consacrées, Mgr Gänswein, le majordome et parfois la présence de son frère suffisaient à notre Benoît pour lui rappeler " la maison " et mettre de la vie entre ces hauts murs. Je revois les photos de Benoît XVI regardant la neige tomber à gros et abondants flocons sur Rome au point de bouleverser son emploi du temps. En Bavière la neige n'était pas une exception mais là il ne pouvait même pas sortir pour prendre une poignée de cette blancheur. J'ai horreur de ces milieux fermés, où l'on vit presque en autarcie. L'air du dehors est souvent nauséabond mais il permet de se frotter de façon abrupte aux difficultés inhérentes à la vie de tous les jours. Ma cousine, mère supérieure de sa communauté, me parlait quelques fois de la lourdeur de la tâche pour maintenir la cohésion entre tant d' éléments de cultures, d'origines, de langues, d' éducation, de personnalités de caractères si différents et je sentais combien cela lui pesait de plus en plus avec les années qui passaient.

Je ne parle pas de Lampedusa, là aussi il a décidé comme il le voulait et j'avoue que l'aspect politique du pontificat ne m'intéresse pas plus que l'ambiance politico-sociale qui règne en France..
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A bientôt

Jeannine