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Le Pape François et Fuenteovejuna

Carlota réagit à une citation littéraire de François, lors de son homélie à Lampedusa (9/7/2013)

Cf. François à Lampedusa

     

Je n’arrive toujours pas à bien comprendre les discours de notre Pape François. Je manque probablement de concentration et ne retiens que quelques mots qui attirent mon attention. La dernière preuve en est son homélie à Lampedusa. J’ai prêté l’oreille quand j’ai entendu « Fuenteovejuna ».

Je le remercie, évidemment, de cette citation, il se montre là imprégné de la belle culture espagnole. Mais par contre je ne comprends pas la façon dont il utilise l’œuvre. En effet, j’avais gardé le souvenir d’une pièce pleine de noblesse et de courage et non pas de veule lâcheté, une pièce qui montre que la force n’est pas légitime et que le fort doit non pas avoir des droits mais d’abord des responsabilités, et que s’il ne remplit pas ses responsabilités, il ne mérite pas de droits. J’avais gardé en tête l’histoire d’un peuple de paysans sûr de lui sur ses terres, un peuple d’hommes libres (l’Espagne reconquise sur l’occupant mahométan n’avait que des hommes libres et non pas des serfs comme dans d’autres parties de l’Europe), d’hommes debout qui rejetaient des pratiques féodales dépassées (la pièce se situe à la fin du XVème siècle à l’époque des Rois Catholiques). Ces hommes (et femmes) debout vont obtenir de leurs suzerains la reconnaissance de la justice qu’ils ont donnée (donc la mort du coupable commandeur) en ayant mis en avant le respect de l’amour chrétien (Frondoso pour Laurencia) à l’opposé des désirs (« droit » de cuissage) du commandeur. Les Rois Catholiques reconnaissent la légitimité des actes des manants contre un seigneur, même si cet acte n’était pas légal. Ces Rois, qui exercent dignement le pouvoir dont ils sont investis, rétablissent l’ordre en confirmant ainsi qu’un acte légal mais non légitime peut être combattu dans l’illégalité ! « Qui a tué le Commandeur, demande le juge? Fuenteovejuna, Seigneur [Juge]! Qui est Fuenteovejuna? Tout le peuple, Seigneur [Juge] ».

Donc contrairement à l’image du Pape qui cite Fuenteovejuna, dans le sens, me semble-t-il, de la faute de tous, donc de personne, Lope de Vega lui, met en scène des hommes qui assument personnellement dans un anonymat collectif (comme une armée gagne une guerre grâce aux courages individuels des soldats, des soldats qui ne sont pas des bandits qui tuent pour leur propre compte mais pour le bien commun) la charge du meurtre, y compris sous la torture. Ils ont le courage de résister et ne dénoncent pas l’éventuel meneur ou l'un d’entres eux qui serait coupable plus que d’autres, voire serait le bouc émissaire bien commode pour sauver leur vie.


Fuenteovejuna, c’est un peuple qui se soulève contre l’injustice avec les moyens dont il dispose, faute de mieux. C’est un peuple qui dit non à son tyran, en restant sur sa terre.

Mais peut-être n’ai-je pas tout compris à l’époque de ma jeunesse idéaliste. Je n’y voyais, moi, que la grandeur de l’acte des villageois, face à l'injustice d'un commandeur qui n'agissait pas en commandeur mais en brigand (cf la célèbre allocution de Benoît XVI au Parlement allemand). J’y voyais dans l’ « impersonnalité » de leur acte, leur grandeur de peuple libre et non leur lâcheté. Je n’y aurais jamais vu d’indifférence des Européens riches face à des pauvres exilés africains mourant en mer, pour avoir fui leurs pays mis à sac par leurs propres élites, et leurs terres vendus aux grandes puissances de ce monde (EU, Chine, …), des grands de ce monde dont ne font aucunement partie la majorité des peuples méditerranéens du nord, de l’Espagne à la Grèce, en passant par l’Italie ou la France…si ce n’est peut-être en accordant par un bulletin de vote, leur « confiance » ou leur indifférence à des « commandeurs » sans honneur.

Néanmoins il est évident que l’on peut comprendre l'indignation du Pape. Et si lui ne crie pas, qui le fera ? Mais son indignation arrivera-t-elle jusqu’à ceux qui ont intérêt à cette immigration massive et pas ceux qui la subissent, Africains pauvres ou Européens paupérisés ? Le Pape François a, par ailleurs, aussi été voir des Italiens dont les grands de ce monde ont transformé leur île en une gare de transit de toute la misère du monde.

J’ai entendu le pire (bien que l’on puisse toujours trouver pire) sur ce déplacement de François. Je comprends parfaitement que l’on puisse ne pas apprécier ce voyage médiatisé, politisé à outrance, un voyage tellement mis en avant par les ennemis de l’Église catholique. Sans doute, sans doute, mais sans verser dans la papolâtrie, je me dis qu’à sa manière, que l’on apprécie, ou non, ce pape, qui malgré son énergie physique, approche de ses quatre-vingts ans, n’est pas dans son fauteuil devant la télévision ou son ordinateur, à critiquer, mais essaie d’accompagner l’humanité souffrante… comme l’a voulu le Christ lui-même. Accompagner. Un exemple qui n’est pas que pour nous riches ou prétendus riches Européens ou Occidentaux, mais aussi pour les potentats d’Afrique, ceux qui n’ont pas su faire grandir leurs peuples, pour en faire des hommes libres et debout, comme ceux de Fuenteovejuna, mais qui attendent toujours tous de l’Occident, soit en mendiant, soit en le pillant et en s’emparant sans effort de ses biens, parce que dans leurs sous-sols, ces même Occidentaux y ont trouvé des trésors énergétiques, par exemple.

Le voyage du Pape à Lampedusa et son message s’adresse au monde, à tout le monde, un monde qui n’est pas personne, mais chacun de ce monde. « Qui a tué le Commandeur, demande le juge? Fuenteovejuna, Seigneur [Juge]! Qui est Fuenteovejuna? Tout le peuple, Seigneur [Juge] ».