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Les deux défaites des catholiques...

italiens (mais pas seulement!). Ce sont ce que Mgr Negri nomme "le retour du dualisme foi-politique", et l'insignifiance de la présence politique des catholiques. Avec en toile de fond, la référence fondamentale mais trop souvent oubliée aux principes non négociables (20/6/2013).

     

Récemment, recevant les évêques italiens, le Pape François leur a dit en substance "la politique, c'est vous": beaucoup d'analystes ont cru voir qu'il mettait là un terme à l'interventionisme de la Papauté dans la vie politique de chaque pays, qui a marqué le Pontificat de Benoît XVI, et qui lui a certainement coûté très cher en termes médiatiques.

Mais une voix au-dessus de toutes les autres, justement non liée aux contigences spécifiques de chaque pays, et s'exprimant comme pasteur Universel, n'est-elle pas nécessaire, comme un chef d'orchestre doit accorder les différents instruments de son orchestre? Et, que l'on me pardonne la crudité du propos, mais n'est-il pas nécessaire, aussi, que de temps en temps, l'arbitre tape au moins symboliquement, du poing sur la table?

Je ne suis pas sûre que c'est à cela que pense ici Mgr Luigi Negri, qui pourrait lui aussi choisir comme devise (en plus de sa devise épiscopale "Tu fortitudo mea") "Senza peli sulla lingua", et je me permettrais pas de faire une exégèse erronée de ses propos.
Toujours est-il que dans cette réflexion décapante, le nom du nouveau Pape n'est pas prononcé, alors que ses deux prédécesseurs sont loués.
Précisons que la situation de l'Italie n'est pas tout à fait la même que la nôtre, car au moins jusqu'à présent, la présence sur le sol de la papauté rendait plus grande l'influence des catholiques - un phénomène qui est en train de s'estomper. Mais elle est largement transposable.

Article ici: http://www.lanuovabq.it/it/articoli-le-due-sconfitte-dei-cattolici-italiani-6715.htm
Ma traduction (les sous-titres sont de moi).

     

Les deux défaites des catholiques italiens

Luigi Negri
20-06-2013
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Il y a un sentiment que je ressens très fort en cette période, qui coïncide aussi avec mes cent premiers jours dans le diocèse de Ferrara-Comacchio.

D'un côté, il y a une attente incroyable pour une véritable autorité chrétienne; attente aussi des laïcs, parce qu'ils ne sont pas rares, dans la confusion actuelle d'une société apparemment si impie, ceux qui sentent le besoin d'une proximité, le besoin d'être accueillis dans les aspirations profondes de la vie. C'est ce sentiment que Mgr Giussani appelle «le chemin vers le vrai», «la recherche du visage humain».

L'exigence de ce chemin vers le vrai est très forte. Et le renouveau d'une exigence de vérité et de beauté, de bonté et de justice surmonte chaque jour, bien que très faiblement, cette grisaille du consumérisme, du relativisme éthique, de l'"opinionalisme" (néologisme que j'hésite à traduite par "dictature de l'opinion"), ce médiatiquement correct qui pollue la vie de notre la société, depuis les familles jusqu'aux instances sociale les plus engagées. Il y a donc une grande disponibilité du monde, de l'homme, vers le Christ, vers l'Eglise.

D'autre part, cependant, ce qui me frappe douloureusement, presque physiquement, c'est l'incapacité d'être à la hauteur de cette demande: non pas de l'Eglise en tant qu'institution mais de la chrétienté comprise comme une expérience vivante de l'Eglise dans le monde.

Je pense souvent aux 27 années marquées par le grand magistère, le grand témoignage de Jean-Paul II, à l'extrordinaire repositionnement de l'Eglise devant le cœur de l'homme, qui a rouvert le dialogue entre le Christ et le cœur de l'homme. A ces 27 ans d'un magistère extraordinaire et d'une capacité de dialogue avec les hommes, bien avant et bien au-delà des visions idéologiques et religieuses; et aux années non moins intenses et inspirantes, passionnées, de Benoît XVI, dans son infatigable reproposition du christianisme comme événement d'accomplissement de la raison, de l'humanité; avec ce magistère implacable, et en même temps très doux, sur la récupération de la raison, comprise dans un sens large, accompli, comme ouverture au mystère, et non comme une affirmation de sa propre capacité à organiser scientifiquement les connaissances.
Eh bien, après tout cela, c'est comme si le christianisme italien était presque hébété. Hébété.

Ainsi, aujourd'hui, se profilent deux défaites lancinantes pour cette chrétienté, auxquelles je n'aurais jamais pensé assister, et qui remplissent ma vie de honte, parce que c'est à l'affirmation de la vérité de l'Église et de sa mission contre ces tentations, que j'ai consacré ma vie de chrétien, de prêtre, et maintenant d'évêque, de chercheur.


1. Le retour du dualisme foi-politique
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La première défaite est incroyable, mais elle est désormais consommée.
Après qu'avec Jean-Paul II, en parfaite harmonie avec la tradition de l'enseignement de l'Eglise, la foi ait été réaffirmée comme condition d'une véritable connaissance de la réalité, de l'histoire et de la société; après que l'on se soit rendu compte que la foi devient culture, car - comme il l'a dit à plusieurs reprises - «si la foi ne devient pas culture, elle n'est pas vraiment acceptée, vécue pleinement, humainement repensée»; après tout cela, ce dualisme entre foi et culture, selon lequel la culture est une réalité autonome de la foi, est en train de redevenir majoritaire. De sorte que, dans la meilleure des hypothèses, on peut faire allusion à la culture en terme de «dialogue», ou de «Cortile» (ndt: référence, probablement, au "Parvis des Gentils", ou à des initiatives semblables en Italie), expressions qu'une rationalité adéquate et une conscience adéquate de la foi ont du mal à définir dans leur leur objectivité.

Ainsi la foi s'ajoute à la culture, elle en représente une introduction de nature spirituelle, elle en corrige ou devrait en corriger les conséquences négatives sur le plan de l'éthique, aspects qui sont totalement évidents quand on parle de la relation entre la foi et l'économie, ou la foi et la politique.

Qu'est-il arrivé à la grande et spectaculaire encyclique "Caritas in Veritate" qui au contraire affirmait la pertinence de la foi à l'égard des structures mêmes, des dynamiques économiques mêmes? De temps en temps on la voit citée, mais juste le titre. Même les économistes soi-disant chrétiens sont retournés rapidement à cette éthique de l'économie, qui dans l'apparente simplicité dit tout, car elle ne dit rien. L'économiste chrétien, et ensuite le politicien chrétien, dans cette vision, devraient donc juste tempérer les rigueurs du capitalisme sauvage.

Au contraire, la foi façonne la réalité , «la foi nous habilite, nous croyants, à interpréter, mieux que tout autre, les besoins les plus profond de l'homme et à indiquer avec confiance sereine et calme les voies et moyens d'un plein accomplissement», disait Jean-Paul II le 8 Décembre 1978 à des enseignants et des étudiants de l'Université catholique, dont j'étais, et je peux le dire avec une fierté qui ne s'est jamais atténuée. Et j'ai perçu la nouveauté extraordinaire de cette rencontre, elle aussi trop vite archivée, même dans le milieu de l'Université catholique à laquelle elle avait pourtant été rapportée de manière privilégiée et préférentielle.


2. L'insignifiance de la présence catholique dans la politique
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Non moins douloureuse que la résurgence du dualisme entre la foi et la culture est l'autre grande défaite: l'insignifiance de la présence catholique dans l'arène sociale et politique. Aujourd'hui, le vote catholique est absolument insignifiant dans le panorama de la vie italienne, comme l'a dit à juste titre mon ami Alfredo Mantovano (magistrat et homme politique catholique italien, né en 1958, qui fut secrétaire d'Etat à l'intérieur du dernier gouvernement Berlusconi it.wikipedia.org/wiki/Alfredo_Mantovano), dans une lumineuse intervention il y a quelques mois.

Qui sont les catholiques qui militent dans la variété des expressions socio-politiques existantes? Des gens qui vont à la messe le dimanche matin, on l'espère; qui sont en règle du point de vue d'un certain attachement à la vie morale, à l'exception de la vie matrimoniale, car là, on voit s'ouvrir des centaines et des centaines d'exceptions, plus ou moins spectaculaires, ou plus ou moins cachée, mais indubitablement majoritaires, même parmi les catholiques engagés dans la vie politique. Des gens qui personnellement et individuellement peuvent même avoir une certaine pratique de piété.


3. Les principes non négociables
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Mais pour ce qui caractérise l'intervention de ceux qui appartiennent à la foi, la forme de l'intervention est la doctrine sociale de l'Église. Et le cœur de la doctrine sociale de l'Église, ce sont les principes non négociables. Ceux-ci déterminent les analyses socio-politique, et ils indiquent également les lignes d'une action qui, au moins du point de vue de la culture devrait avoir une certaine unité. Il devrait y avoir une certaine unité des catholiques en politique, qui peut ensuite être un prélude à des différences dictées par les évaluations individuelles et pas seulement, nous l'espérons, par des intérêts particuliers.

Les dernières élections ont été au contraire le festival de l'individualisme et de l'opinionalisme. Les catholiques ont voté pour tout le monde et au profit de tout le monde, sans se demander si leur vote élirait des présences qui protégéraient non les intérêts de l'Église, mais les intérêts de la raison et de la foi, c'est-à-dire de l'humanité.

Tout avait été entrepris, la Providence avait tout mis en place pour qu'il y ait une renaiisance de la présence chrétienne, comme présence de peuple, comme présence culturelle, sociale, politique. Qu'en est-il aujourd'hui du grand défi de la nouvelle évangélisation que nous avons recueilli du premier enseignement de Jean-Paul II?

Les dualismes sont de retour, qui se connectent à des noms néfastes pour la chrétienté italienne, passée ou présente, que la décence et l'amour de la patrie m'empêchent de citer.

Les magistères parallèles obtiennent peut-être la dernière, mais pas la moins grave, de leurs victoires . Mais la victoire de l'individualisme culturel et de la fragmentation de la présence politique des catholiques, sans la sauvegarde et la promotion des principes non-négociables, ce n'est pas seulement la défaite du christianisme, comme le dit Marcello Pera dans la préface de mon livret "Pour un humanisme du troisième Millénaire": «ici, si l'on perd, on perd tous; et si l'on gagne, on gagne tous».

Pour l'instant, à moins que la Providence ne batte à nouveau les cartes, nous pouvons vraiment dire que nous perdons tous.