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De Benoît XVI à François

Le livre du correspondant de l'AFP au Vatican vu par Lucetta Scaraffia, dans l'Osservatore Romano (12/12/2013)

Jean-Louis de la Vaissière, correspondant de l'AFP au Vatican depuis 2011, a publié un livre de circonstance sur le passage d'un Pape à l'autre, intitulé «De Benoît à François: Une révolution tranquille» (1).
Je l'ai acheté, et j'ai lu sans déplaisir la première partie - celle consacrée à Benoît XVI.

Mais les lecteurs qui y chercheraient un bilan (même provisoire, comme l'annonce l'auteur dans la préface) du Pontificat de Benoît XVI resteront sur leur faim, et je vais en donner une preuve ... quantitative - bien consciente, évidemment, que la qualité d'une oeuvre ne se mesure pas à la quantité.

La partie consacrée au pontificat de 8 ans de Benoît XVI, compte en tout 105 pages. La seconde, dédiée à François, ayant régné à peine 6 mois au moment où le livre est publié en compte 150, avant une brève dernière partie qui entend brosser un tableau de "l'Eglise de François".

Autant dire que P. de La Vaissière ne connaît pas très bien Benoît XVI. Et cette disproportion (8 ans = 105 pages contre 6 mois = 150 pages!!) me semble représentative de la façon dont les médias ont décidé de liquider son Pontificat avec quelques bonnes paroles.
Pour mémoire, au début du Pontificat de Benoît XVI, tout le monde s'accordait pour souligner à quel point il était "difficile de succéder à un géant" comme JP II (sous entendu: le pauvre Benoît XVI ne fait pas le poids)). Aujourd'hui, on dit plutôt (les mêmes?) que sa décision de se retirer a été un acte prophétique sans lequel le sauvetage providentiel de l'Eglise opéré par François n'aurait pas été possible.

Malheureusement, les éloges au Pape désormais émérite contenus dans le livre viennent bien tard: comment ne pas penser que P. de La Vaissière travaille pour une agence (l'AFP) dont le moins que l'on puisse dire est qu'elle n'a pas traité Benoît XVI avec loyauté, surtout au moment des grandes crises. J'ai gardé en mémoire un livre sur "le Roi d'Italie", écrite par une certaine Martine Nouaille, précédente correspondante AFP à Rome (certes, La Vaissière n'est pas responsable, mais son employeur l'est, et il est douteux qu'il ait changé sa ligne éditoriale!) , qui m'est resté en travers de la gorge (cf. benoit-et-moi.fr/2011-I).
Même s'il n'est chargé de l'info vaticane que depuis moins de deux ans, il lui est difficile de se démarquer totalement de ceux qui l'emploient... et donc de ceux qui l'ont précédé.

Le livre connaît toutefois les honneurs de l'OR, dont l'éditorialiste «militante féministe» de pointe s'est fendue d'une recension flatteuse - bon précédé entre collègues, j'imagine (sur le même ton, il y avait une "critique" de Tornielli: vaticaninsider.lastampa.it).

L'éloge de Lucia Scaraffia à Benoît XVI peut sembler impeccable, et après l'avoir lu, on pensera que je pinaille, ou au moins que je suis de mauvaise foi.
Oui, il est sympa... pour quelqu'un qui n'aurait jamais entendu parler de Benoît XVI, ou juste à travers ce que les journalistes du système en ont dit. Mais dans le journal du Pape, qui est censé l'avoir suivi au jour le jour durant 8 ans, il est presque indécent. Si quelqu'un devait savoir qui est vraiment Benoît XVI, et diffuser au maximum son portrait, c'est bien les rédacteurs de ce journal.

Mais je suis sans doute trop exigeante.

     

De Benoît à François. La révolution tranquille

Lucetta Scaraffia
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En Décembre, comme d'habitude, on commence à faire le bilan de l'année qui se termine, et il ne fait aucun doute qu'en 2013, la démission de Benoît XVI et l'élection du Pape François - qu'aujourd'hui, «Time» désigne comme «Homme de l'année» - dominent. Dans ce passage, l'Eglise a démontré sa capacité à sortir d'une situation difficile d'un coup d'aile - rendu possible par la démission imprévue de Ratzinger - qui en a révélé la vitalité insoupçonnée. Et que le monde entier a accueilli avec surprise et admiration.
Il y a eu une révolution tranquille, écrit Jean-Louis de La Vaissière dès le titre d'un livre sur cette transition délicate.
«De Benoît à François, une révolution tranquille» aborde la question de manière approfondie, pas seulement informée, en gardant toujours à l'esprit la personnalité complexe des deux papes et les exigences spirituelles et apostoliques de leur mission. Bien loin, donc, de ces livres basés sur de prétendues révélations qui sont souvent le résultat des efforts littéraires de beaucoup de vaticanistes (ndt: des noms!).

Il note que la démission de Benoît commence immédiatement à opérer un tournant: la presse découvre soudain la valeur de ce pape qui avait été peu compris, écrasé par une image de sévérité et de rigidité qui lui venait d'avoir occupé pendant de nombreuses années le rôle difficile de préfet de l'ex-Saint-Office (!!)

On perçoit dans son acte le témoignage d'une liberté inédite, d'une révolution qui semblait bien loin de son esprit calme, rationnel, de son attachement à la tradition.

L'auteur identifie ensuite le terrain sur lequel Benoît XVI a lutté: non pas tant sur les questions sociales et politiques, mais pour mettre Dieu, le Dieu chrétien, au centre du débat. Une bataille à laquelle il s'est consacré de mille manières, bien conscient de parler dans un monde qui semblait sourd à la voix de l'Eglise.
Un homme d'intériorité, qui défend toujours la dévotion des simples tout en ne perdant pas de vue le travail nécessaire d'explication et de purification de la foi, qu'il a considéré comme essentiel. Un Pape qui aime le débat d'idées, et veut protéger la liberté des fidèles à tout prix, mais qui par dessus tout, privilégie la cohérence. D'une manière originale - écrit La Vaissière - Benoît dénonce le culte de l'auto-réalisation, qui empêche une bonne relation avec l'autre et avec Dieu, et le rêve de vaincre la mort avec la science. Ses critiques sont détaillées, l'analyse est pointue, et François en tirera les conséquences pratiques avec un langage plus facile, plus immédiat, plein d'exemples concrets. Mais la véritable nouveauté apportée par le pape Ratzinger est l'ouverture d'un dialogue étroit avec les agnostiques, placé au même niveau d'importance que celui entre les religions.

Bergoglio récoltera le fruit de ce grand enseignement sur un plan moins hiérarchique, moins intellectuel, plus pastoral.

Son élection est considérée par La Vaissière comme l'équivalent de la chute du mur de Berlin: l'homme de la périphérie, qui choisit le nom de François, suscite immédiatement d'immenses attentes. En substance, par son comportement libre et nouveau, le pape continue la révolution de Ratzinger, qui, avec sa décision, a effacé les différences entre conservateurs et progressistes, mettant au centre la charité, dans le sens de chaleur, de feu. Il est spontané, mais pas improvisateur; l'énergie qu'il sait donner à l'Eglise pour la remettre en vie (!!!) renvoie à un Autre.

«La morale de Jorge Bergoglio est une morale du combat spirituel, du dépassement, du choix courageux qui rend heureux», écrit La Vaissière.
Le mot que le pape prononce le plus souvent - et c'est le mot clé de son intervention lors des rencontres qui ont précédé le conclave - est «sortir», sortir dans le chemin de la vie, sortir de soi, de l'auto-référentialité, sortir du cléricalisme, de l'institutionnalisation, du pessimisme qui a pris l'Église. Mais dans cette optique factuelle, opérative, de la mission, il n'oublie pas la nécessité de poursuivre les efforts intellectuels: il réclame une nouvelle théologie pour les femmes et une théologie du péché qui approfondisse la dimension de la miséricorde.

Le Pape François, contrairement à ce que pensent les journalistes de l'extérieur, sait que les réformes structurelles ne sont pas tout, et que ce qui comporte est le changement interne, c'est-à-dire que l'Eglise devienne fervente, forte, proche de l'homme, bien consciente que l'aspiration à la réforme est plus ancienne que ces dernières décennies: Déjà le Concile de Trente - raconte dans beau un livre John W. O'Malley - voulait assurer un soin plus efficace des âmes, un style plus sévère et plus rigoureux dans la vie de la hiérarchie ecclésiastique, dans une dialectique entre action directe du pape et conseils les cardinaux, encore invoqués. La sagesse accumulée au cours de deux millénaires assure que l'Église, cette fois encore, réussira dans son intention réformatrice, pour prêcher plus efficacement la parole de Jésus, pour apporter la lumière dans un monde qui a oublié.

L'Osservatore Romano, 12 Décembre 2013.

http://ilsismografo.blogspot.fr/2013/12/benedetto-francesco-scaraffia-rivoluzione-tranquilla.html

     

Note

(1) Est-ce le même livre?
En tout cas, le titre a changé, tel qu'il est en vente sur Amazon: De Benoît XVI à François, les défis de l'Eglise.
Je ne peux pas dire de façon certaine quelle est la dernière version...
Pour coller à l'actualité, exit la "révolution tranquille", place aux "défis de l'Eglise".
http://www.amazon.fr/Beno%C3%AEt-Fran%C3%A7ois-une-r%C3%A9volution-tranquille/dp/2368900489