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La dernière parole

La journaliste de l'agence ANSA, qui a été la première à diffuser la nouvelle du renoncement de Benoît XVI, vient de raconter son expérience dans un livre. Le premier chapitre est publié sur l'OR (13/11/2013)

>>> Image ci-contre: www.libreriadelsanto.it

     
     

Chronique d'une nouvelle Ansa qui a fait l'histoire.
Quand Benoît a stupéfié le monde
L'Osservatore Romano (texte en italien, ma traduction)

L'ultima parola

Nous publions le premier chapitre du livre "L’ultima parola. Gesti e parole di Benedetto XVI che hanno segnato la storia" (Le dernier mot. Gestes et paroles de Benoît XVI qui ont marqué l'histoire) de Giovanna Chirri (ndt: elle travaille pour l'agence ANSA), première journaliste à avoir saisi puis diffusé la nouvelle de la renonciation au pontificat de Benoît XVI.

« On sent que Giovanna est une journaliste d'agence - écrit le père Federico Lombardi, dans la préface - attentive à suivre les événements, attentive aux détails, aux signes qui aident à lire la continuité ou le développement nouveau d'une histoire à travers les jours, les mois, les années. Ceci est requis par son service spécifique, et la met à l'abri de la tentation de céder à des interprétations peut-être brillantes ou originales, mais épisodique ou pas suffisamment étayées par les faits».
«La personnalité du Pape - continue Lombardi - est bien décrite également dans son humanité, dans sa sensibilité, sa gentillesse et son éminente humilité. "Bien loin du Panzerkardinal!" dit à juste titre l'auteur».

* * *

Giovanna Chirri:
Le lundi 11 Février 2013 est un jour férié au Vatican en raison de l'anniversaire des Accords du Latran; la salle de presse fait un horaire réduit, et donc, à 11h, elle vient tout juste d'ouvrir. Nous avons sur le circuit de service interne, grâce au Centre de Télévision du Vatican, les images d'un consistoire des cardinaux avec le pape pour la promulgation de décrets sur quelques saints. Pour nous, italiens, cela signifie un minimum de relief journalistique: on attend la date de la cérémonie pour les huit cents martyrs d'Otrante, tués par les ottomans le 14 Août 1480 pour ne pas avoir abjuré le christianisme. Le Cardinal Angelo Amato, Préfet de la Congrégation pour les Causes des Saints, attaque un long discours en latin, à écouter d'une oreille distraite: je vais m'endormir. Puis c'est au tour du pape, qui à un certain point lit les formules pour inclure dans le registre des saints les huit cents martyrs; j'entends un "duodecim" et je comprends que la date de la canonisation sera le 12 mai. J'écris la nouvelle sur la canonisation des 800, puis je l'envoie au desk.
A ce stade, le consistoire devrait être terminé, et le pape devrais partir; au contraire, il continue de parler, toujours en latin. Il a un papier à la main. La première chose qu'il dit, c'est qu'il n'a pas convoqué les cardinaux seulement pour le consistoire: il doit faire une annonce «importante pour la vie de l'Église»; il dit qu'il devient vieux, ingravescentem aetatem. À ces mots, je me sens comme si une main serrait ma gorge et qu'on gonflait un ballon à l'intérieur de ma tête: Ingravescentem aetatem est le document par lequel Paul VI a établi que les cardinaux se retirent à quatre-vingts ans, c'est la formule du retrait, ce sont les mots de l'Église pour la démission.

Benoît XVI continue à parler dans son latin compréhensible, lent et concentré; il explique qu'il faut un pape plus jeune pour diriger la barque de Pierre dans un monde trépidant comme le nôtre. Il annonce également la date de la renonciation, et même l'heure du début de la vacance du Siège. J'écoute, mais c'est comme si je ne me sentais plus, je halète, mes jambes tremblent, même si je suis assise. Les roues du cerveau recommencent à fonctionner quand Papa Ratzinger dit le mot «conclave». J'ai quelques moments de pure terreur: ai-je bien compris? J'essaie de vérifier, je passe quelques coups de fil. Personne ne répond au téléphone, je pense qu'à ce moment-là, au Vatican, ils ont autre chose à penser.
Pendant ce temps, Benoît XVI a fini de parler. Dans le silence de la salle, regardant les visages des personnes présentes sur lesquels pas un muscle ne bouge, ni même un poil de la barbe, le doyen du Collège, Angelo Sodano, dit en italien que l'information donnée par le Pape «nous cueille comme un éclair dans un ciel serein». «D'après ce que j'ai compris, le Pape a démissionné». J'écris la nouvelle, je l'envoie au desk, je téléphone à la rédaction. «Ici, il y a un gros truc - dis-je à la rédactrice en chef - le pape a démissionné». Je lui explique qu'il l'a dit personnellement et en public, en latin, que j'ai essayé d'obtenir confirmation mais que je n'ai trouvé personne. Tandis que nous parlons avec excitation pour préparer un flash, le téléphone fixe sonne dans la salle de presse: c'est le porte-parole du Vatican Federico Lombardi, qui, après avoir trouvé mon message me rappelle gentiment. «Père Federico - lui dis-je - mais ai-je bien compris? Le pape a démissionné?». «Oui, oui, - répond-il d'une voix très calme et factuelle - c'est vrai, il s'en va le 28 Février». À ce point, je raccroche en hâte, je crains même sans dire au revoir, et je dis à ma collègue: «Allons-y, on transmet».
La nouvelle est sur le réseau d'ANSA et quelques minutes plus tard, elle est relancée par les grandes agences, qui nous mentionnent comme source. La reprise par les autres agences, je ne réalise pas. J'éclate en sanglots, ce qui est un peu étrange pour moi qui ne pleure presque jamais: la décision du pape m'attriste et me prend complètement par surprise, dans une période de ma vie pas trop sereine. Je pleure et j'écris: la phrase de Sodano, le contexte dans lequel le Pape a parlé, quelques notes sur l'atmosphère dans la salle du consistoire. En attendant, les images arrivent, on nous distribue le texte lu par le pape traduit en plusieurs langues. Avant que commence le briefing du Père Lombardi (la salle de presse a commencé à se peupler comme lors des grandes occasions) j'ai le temps d'écrire un tweet à mes 230 followers: «B16 a démissionné, il quitte le pontificat le 28 Février», ce qui est un peu imprécis, étant donné qu'un pape ne démissionne pas, mais il renonce à la papauté, mais cela donne à mes quelques fidèles followers le privilège d'être les premiers au monde à avoir la nouvelle.
Une nouvelle née comme les autres: je vais dans un endroit, je suis un événement et je le raconte. Mais ces mots m'avaient investie: pour la première fois depuis des siècles, un pape renonçait au trône de Pierre, non pas contraint, non pas usurpé, non pas chassé, mais par libre choix, «en conscience et devant Dieu», et il le faisait pour le bien de l'Église. Un "unicum" dans l'histoire. Pour ma vie, un cadeau inconscient du pape, qui des cadeaux, m'en avait déjà fait beaucoup.

L'Osservatore Romano, le 14 Novembre 2013.