Accueil

Le questionnaire de Pierre

Une analyse critique de Mario Palmaro et Alessandro Gnocchi, sur le questionnaire préparatoire au Synode, et plus particulièrement sur l'attitude de l'Eglise face aux divorcés-remariés (19/11/203)

>>> Image ci-contre: Mario Palmaro, sa femme et ses quatre enfants, recevant à Vérone le prix Fede & Cultura 2013. Il y a aussi le discours d'hommage de Roberto de Mattei (www.lavocedidoncamillo.com)

>>> Voir aussi: Une interviewe bouleversante de Mario Palmaro

     

Document de la CDF, 14 sept. 1994

Lettre aux évêques de l'Église Catholique sur l'accès à la communion eucharistique de la part des fidèles divorcés-remariés, Joseph Card. Ratzinger (www.vatican.va/roman_curia )

     

L'article est paru sur Il Foglio du 14 novembre.

Depuis lors, nous avons appris avec beaucoup de tristesse que Mario Palmaro était gravement malade, et que le 1er novembre, il avait reçu un coup de téléphone du Pape.
Relatant ce moment qu'il avait vécu avec une grande émotion, Mario Palmaro disait:
«... pour moi, en tant que catholique, ce que je vivais était l'une des plus belles expériences de ma vie; mais je me sentais le devoir de rappeler au pape que j'avais, avec Gnocchi, exprimé des critiques spécifiques concernant son travail, tandis que je lui renouvelais ma fidélité totale [à lui] en tant que fils de l'Église. Le pape m'a à peine laissé finir ma phrase, en disant qu'il avait compris que ces critiques avaient été formulées avec amour, et combien c'était important pour lui de les recevoir... [Ces mots] m'ont grandement réconforté».

Difficile de savoir exactement à quel moment l'article a été écrit - sans doute après le coup de fil de François.
Les circonstances lui donnent, au moins à double titre (l'état de santé de l'un des auteurs et les paroles du Pape) une grande valeur de témoignage.

     

Le questionnaire de Pierre

L'église de François est devenu le lieu des opinions, plutôt que de la vérité. Pendant ce temps, une eau trouble et tumultueuse voudrait balayer le mur doctrinal qui protège l'indissolubilité
http://www.ilfoglio.it/soloqui/20615
14 novembre
------

Même quand elle devrait être au service de Notre-Seigneur, la bureaucratie ecclésiale finit toujours par se référer principalement à elle-même, tout comme celle mondaine. Elle ne fait que parler d'elle-même, renvoyant à tous ses actes, et voit l'Eglise et le monde à son image. Le questionnaire préparatoire au Synode extraordinaire sur la famille, publié récemment par Rome, n'en est que la dernière confirmation. Il est difficile d'en voir l'utilité, si on veut vraiment comprendre ce que croit et ce que pense, et donc ce que prie et ce qu'est, le troupeau confié à Pierre.

Il y a quelques décennies encore, il aurait suffi de beaucoup moins pour avoir une connaissance complète de la situation: n'importe quel prêtre disant saintement la messe, après le «Salve Regina» final, aurait pu rendre compte immédiatement à l'évêque, puis celui-ci au pape, sans oublier ni un visage ni une âme. Mais c'était une autre messe et c'était une autre façon de «sentire cum Ecclesia» qui aujourd'hui n'est plus à mode.
(...)

Aujourd'hui, l'Eglise de Rome se prépare pour le Synode sur la famille, et lance une enquête cognitive dans chaque diocèse pour savoir ce qui se passe dans la tête des fidèles. Certains ont crié au sondage, et si, formellement, on ne peut même pas y trouver à redire, matériellement, on ne peut pas ignorer la dérive mondaine qui concède beaucoup, trop peut-être, à la frénésie sondagière. À commencer par le langage douceâtre et banal qui rappelle tellement les prières des fidèles des messes d'aujourd'hui: «Quelles sont les requêtes que les personnes divorcées et remariées adressent à l'Eglise à propos des sacrements de l'Eucharistie et de la Réconciliation? (...) Y a-t-il une pastorale pour répondre à ces cas? Comment se déroule cette activité pastorale? Existe-t-il des programmes sur ces questions au niveau national et diocésain? Comment est annoncée aux séparés ou divorcés et remariés, la miséricorde de Dieu, et comment est mis en oeuvre le soutien de l'Eglise dans leur cheminement de foi?».

C'est toujours la liturgie qui dicte la métrique et le langage de l'Eglise, et si, dans un hôpital de campagne, on célèbre la messe inventée dans la fougue du Concile par Mgr Achille (en fait Annibale) Bugnini, on ne peut rien attendre d'autre: une sorte de questionnaire d'admission aux urgences, mais en moins précis. On ne pourrait pas adopter meilleur instrument pour donner forme à cette contiguïté avec le monde, qui plaît tant aux fans du pontificat du pape François.

Gilbert Keith Chesterton, à juste titre, avait coutume de dire que chaque siècle a besoin de saints qui la contredisent, mais aujourd'hui, il est difficile d'entendre un pasteur dire qu'on entre dans l'Eglise à genoux, laissant le siècle à la porte. «Pourtant - déclarait dans une interviewe Marshall McLuhan (1911-1980) au sujet de sa conversion - quand les gens commencent à prier, ils ont besoin de vérité. On ne vient pas à l'Eglise pour des idées et des concepts, et on ne peut pas la quitter pour un simple désaccord. Cela se produit pour une perte de la foi, une perte de participation. Quand les gens quittent l'Eglise, on peut dire qu'ils ont cessé de prier. Le fait de se mettre activement en relation avec la prière et les sacrements de l'Église ne se produit pas par le biais d'idées. Aujourd'hui, un catholique qui est en désaccord intellectuel avec l'Eglise, vit dans une illusion. On ne peut pas être en désaccord intellectuel avec l'Eglise, cela n'a pas de sens. L'Eglise n'est pas une institution intellectuelle, c'est une institution surhumaine».

Là où reste un minimum de rigueur liturgique et rationnelle, la poursuite du dissident pour lui offrir quelque chose en moins au lieu de quelque chose en plus sonne pathétique.
Le questionnaire préparatoire au Synode sur la Famille est un répertoire de suggestions au rabais, plein de perles qui ne peuvent qu'inquièter. «L'assouplissemrent de la pratique canonique en ce qui concerne la reconnaissance de la déclaration de nullité du lien matrimonial - y lit-on par exemple - pourrait-il offrir une réelle contribution à la résolution des problèmes des personnes concernées? Si oui, en quoi?».

Il semble que l'Église ait découvert aujourd'hui le territoire auparavant complètement inconnu de la douleur et de la souffrance, habité par les familles détruites et par les couples reconstruits qui ne peuvent accéder à la communion. Enfin, dans l'hôpital de campagne du pape François, après des siècles d'indifférence et de distraction, on va trouver le bon médicament.

Mais sur les divorcés remariés, et aux divorcés remariés, l'Église a toujours dit tout ce qui était, qui est et qui sera à dire: «Il y a dans la vie des situations conjugales qui demandent de la compréhension et suscitent une compassion infinie (...). Ces cas vraiment dignes de pitié, de femmes trahies, méprisées, abandonnées, ou de maris humiliés par le comportement de leur femme représentent, pour l'Eglise et pour les chrétiens, des cas dignes de beaucoup de respect et de considération douloureuse». Mots écrits en Février 1967 par Mgr Pietro Fiordelli, évêque de Prato qui a eu droit aux manchettes de la presse pour sa lutte anti-divorce.

Le document signé par le préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Joseph Ratzinger, et adressé à tous les évêques du monde «au sujet de la réception de la Sainte Communion par les fidèles divorcés et remariés» date du 14 Septembre 1994, Fête de l'Exaltation de la Sainte Croix.
Nous parlons d'il y a 19 ans.
Le Saint-Office, citant l'encyclique «Familiaris consortio» de Jean-Paul II, Anno Domini 1982, part de la considération qu' «une attention particulière devrait être accordée aux difficultés et aux souffrances de ces fidèles qui sont dans des situations matrimoniales irrégulières».

Puis le document écrit que «les pasteurs sont appelés à faire sentir l'amour du Christ et la proximité maternelle de l'Eglise, accueillant ces personnes avec amour», les exhortant à se confier à la miséricorde de Dieu et leur suggérant, avec prudence et respect, des chemins concrets de conversion.
Le Saint-Office du «berger allemand» connaissait déjà la miséricorde de Dieu et la souffrance qui a besoin d'aide et de vérité et, pour cette raison, dans le paragraphe suivant, citant «Humanae Vitae» de Paul VI, concluait: «Conscient, toutefois, que la vraie compréhension et une véritable miséricorde ne sont jamais séparées de la vérité, les pasteurs ont le devoir de rappeler à ces fidèles la doctrine de l'Église concernant la célébration des sacrements et, en particulier, la réception de l'Eucharistie».

La pastoralité ne peut pas «manger» la doctrine et le document de 1994 réaffirme que l'Eglise «fidèle à la parole de Jésus-Christ ne peut reconnaître comme valide une nouvelle union, si le précédent mariage était valide». Ce concept s'appelle indissolubilité, c'est un lien de droit divin et aucune autorité, pas même le pape, ne pourrait arbitrairement le nier. «C'est pourquoi - conclut le Saint-Office - si les divorcés se sont remariés civilement, ils se trouvent dans un état qui s'oppose objectivement à la loi de Dieu et ne peuvent donc pas recevoir la communion eucharistique, tant que cette situation persiste». L'Eglise est avant tout la gardienne de l'Eucharistie et ne peut pas transiger sur l'avertissement de Paul, mettant en garde contre la communion sans être dans la grâce de Dieu, afin de ne pas manger sa propre condamnation.

Si une âme est en état de péché mortel, aucun acte formel, qui serait d'ailleurs injuste, ne pourrait effacer une vérité de fait, même si elle porte la signature d'un homme d'Eglise. Aucune «amnistie» n'est possible, pas même pour les divorcés remariés, parce que cela ne changerait en rien leur condition réelle devant Dieu.
Mais aujourd'hui, dans l'Eglise, on a perdu le sens du péché et ce qui inquiète dans le questionnaire envoyé dans tous les diocèses de l'Orbe, c'est la résignation implicite face à un tel phénomène.

Cette espèce de tension anagogique (ndt:désigne en théologie le sens le plus profond et le plus caché des Écritures), au contraire, perturbe de moins en moins d'âmes, comme l'écrivait Cristina Campo, dans une lettre de 1965 à Maria Zambrano: «Comment se fait-il que l'on célèbre encore la fête du dogme de l'Unique Immaculée, tout en niant implicitement, de mille façons, la maculation de tant d'autres? Dans un monde où ne sont plus reconnus, je ne dis pas le sacrilège, l'hérésie, le blasphème, la prédestination au mal - mais le concept même de péché? Le Père Mayer m'a dit un jour de lui écrire toutes les choses qui me dérangeaient dans le déroulement du Concile, et je lui ai répondu: «mais il n'y en a que deux, toujours les mêmes: le refus de la communion des saints (le pouvoir de la prière, le rôle souverain de la contemplation , la réversibilité et le transfert des péchés et des peines) et le refus de la croix (l'homme "ne doit plus souffrir", rester rien qu'une heure cloué à la croix de sa propre conscience ou à la porte close d'un irrévocable "non licet")».

Ce "non licet", aujourd'hui, effraie surtout l'Église, bien qu'il ait été de façon louable réaffirmé par le préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Gerhard Ludwig Müller, immédiatement réprimandé par son confrère Reinhard Marx. Il serait naïf de sous-estimer le mouvement qui tend à adoucir la position de l'Eglise.

Le débat lancé ces derniers temps n'est rien de plus que le débouché à la surface d'une rivière souterraine, présente dans le monde catholique depuis des décennies. Une eau trouble et tumultueuse qui voudrait balayer le mur doctrinal qui protège l'indissolubilité du mariage. Pour des raisons d'ordre pastoral, par réalisme et ouverture au monde et à ses besoins concrets. On ne compte plus les prêtres, moralistes, professeurs de séminaire, évêques, qui sur cette question ont abandonné depuis longtemps l'enseignement de l'Eglise. Certains pensent au modèle orthodoxe, qui permet un bonus, une sorte de joker pour valider le second mariage après l'échec du premier. D'autres étudient l'idée d'une «bénédiction» du second mariage, comme succédané au sacrement lui-même.

Depuis Vatican II, l'Église a commencé à se concevoir et à se présenter comme un problème plutôt que comme solution pour le salut des hommes. Même quand elle parle du monde, en réalité elle laisse transparaître, ou elle dit ouvertement, sa propre inadéquation, et promet solennellement d'y remédier, récupérant le terrain perdu depuis l'avènement des Lumières. L'ampleur de ce changement de perspective, peut être comparé à ce qui s'est passé en philosophie avec la critique de Kant. Avec l'avènement de la philosophie kantienne, l'homme n'est plus considéré comme capable de connaître le monde dans sa réalité intime, puisque la raison n'est plus considérée comme capable d'atteindre le noumène, la chose en soi, le véritable noyau de ce qui existe.
En conséquence, étant considéré comme incapable de connaître vraiment le réel, la raison est elle aussi considéré comme incapable de le définir et se replie sur elle-même, elle ne parle que d'elle-même et finit inévitablement par se concevoir comme un problème. Aujourd'hui, l'Eglise est intimidée devant le monde comme l'homme kantien devant le noumène. Elle doute de ses fondements intellectuels et donc, tout en prétendant s'ouvrir au monde, en réalité, elle se considère comme incapable de le connaîtrer, de le définir, et donc renonce à enseigner et à convertir: elle tente seulement d'interpréter.

Si tout devient objet d'interprétation, il est normal que surgissent les tours de Babel de documents dans lesquels les plus minimes aspects de la connaissance sont examinés dans les moindres détails. Mais il est encore plus naturel que les documents n'aient aucun effet sur la réalité pour la simple raison qu'en fait, personne ne s'en soucie. Par ailleurs, un organisme contraint de douter de sa propre capacité à connaître et agir sur le monde, ne peut que se réfugier dans un univers fictif créé sur le papier.

Le questionnaire préparatoire pour le Synode sur la famille confirme cette dérive. Et à présent, il sera suivi par d'autres, beaucoup d'autres, les questions se multiplieront, suggérant un nombre encore plus grand de réponses. Si l'Eglise avait fasciné Chesterton comme «le lieu où toutes les vérités se donnent rendez-vous», elle semble maintenant être devenue «le lieu où toutes les opinions se donnent rendez-vous».
Dans un tel endroit, une âme sacerdotale sainte comme le Curé d'Ars aurait été mal à l'aise. A un frère qui lui confiait les peines pour la conduite immorale de ses paroissiens, cette créature naturaliter antikantianaa ne lui conseilla pas de faire circuler un questionnaire, il lui demanda simplement: «Vous avez essayé de vous flageller?».