Accueil

Valeurs traditionnelles dans l'avenir de l'Europe

Un discours de Viktor Orban devant le think tank anglais Chatham House. Traduction complète [merci à Yves Daoudal] (16/10/2013)

     

Hier, Yves Daoudal a traduit (ici) une partie d'un discours prononcé par le premier ministre hongrois Viktor Orban devant l’institut politique anglais Chatham House (un think tank "indépendant" que Wikipedia présente comme l'équivalent anglais du puissant CFR - Council on Foreign Relations) .

Le passage en question, (qui évoquait "une attaque rouge-verte absolument à découvertcontre les valeurs traditionnelles: l'Eglise, la famille, la nation - en cours actuellement en Europe) est saisissant, et c'est certainement le plus fort de l'allocution. Mais je pense que le discours vaut d'être lu en entier, et je me suis permise de le traduire, en reprenant le travail déjà fait.
Après la lettre de Vladimir Poutine publiée récemment dans le NYT, voici un autre exemple de pragmatisme, de franchise, de respect de la Tradition et de courage, qui nous font mesurer le goufre qui sépare un tel langage de celui, mou, fluctuant, sans substance ni conviction, employé par nos élites.

Original en anglaisici.

     

(...) Avant de dire quoi que ce soit d'avisé, je pense que je devrais brièvement dire quelque chose sur moi-même.
Tout d'abord , je suis un Hongrois. Je suis sûr que vous savez plein de choses sur la Hongrie. Nous avons une histoire intéressante et nous parlons une langue unique. Nous avons un dicton à propos de nous-mêmes : si vous avez un ami hongrois vous n'avez pas besoin d'ennemi. Cela prouve que l'auto- réflexion et l'auto-ironie ne sont pas trop éloignées de nous.

Mais notre compétence la plus importante est notre façon innovante de penser. Juste pour vous donner une idée: les Hongrois ont inventé l'ordinateur, le stylo à bille et l'espresso. Ce n'est pas mal.

Mes expériences politiques de base proviennent des mouvements anti-communistes clandestins. Plus tard, j'ai gagné les élections et j'en ai perdu un peu aussi. J'ai dirigé un gouvernement de coalition et maintenant je suis soutenu par une majorité des deux tiers au Parlement. Cela est très rare en Europe. Peut-être est-ce la raison pour laquelle j'ai regardé la crise avant tout non pas comme un problème mais plutôt comme une possibilité de se livrer à des réformes structurelles profondes. Comme nous le disons en Hongrie: plus que des réformes, le renouvellement du pays. Soit dit en passant l'Europe - autrefois, je voyais l'Europe d'un point de vue d'où elle semblait une terre inaccessible. J'ai présidé la commission parlementaire pour l'intégration européenne; comme premier ministre, j'ai mené les négociations d'adhésion et j'ai eu la chance de voir une Union européenne pleine de force, d'optimisme et de confiance en soi. Mais qu'est-ce que je peux voir maintenant? Totalement à l'opposé. Une Union européenne incertaine sans une vision claire de son avenir .

Donc, Mesdames et Messieurs, venons-en à la liste des thèses . Mais je dois vous avertir à l'avance : bien que je sois diplômé d'une école de droit, je ne suis pas avocat. Bien que j'ai étudié la philosophie , je ne suis pas philosophe. Bien que j'ai passé un certain temps dans un institut de recherche, je ne suis pas un chercheur non plus. Je suis un homme d'action, de sorte que mes thèses vont refléter mes pensées d'un point de vue très pratique.

La première question difficile à laquelle nous devons répondre est de savoir si cet endroit où nous sommes en ce moment est censé être une partie de l'Europe ou non? Ce que nous savons à coup sûr, c'est que si nous posons cette question dans un sens politique, la réponse est oui . L'approche des Hongrois envers l'Europe est moins ambivalente que l'approche de la Grande-Bretagne. Pour nous, auparavant, l'Union européenne équivalait à «l'Occident» , «l'Occident désiré» . C'est l'une des principales raisons pour lesquelles nous attachons des sentiments positifs à l'UE, aux Anglo-Saxons , indépendamment de certains développements controversés de l'histoire.

Thèse n°1.
------
La conclusion la plus importante que j'ai tirée de la crise , c'est que ce n'est pas quelque chose qui ne ruine notre compétitivité que temporairement, ce n'est pas un défi que nous pouvons surmonter par des mesures politiques simples. Il vaut mieux reconnaître que nous ne pouvons pas vivre comme nous avons vécu jusqu'ici. Pour le dire tout net et très simplement: nous ne pouvons pas vivre au-dessus de nos moyens.
Il est souvent noté que la part de la population mondiale de l'Europe est de 8%, alors que nous représentons 25% de la production mondiale, mais 50% des dépenses sociales. Cette série de chiffres pose lui-même un sérieux dilemme, mais ici vient la face encore plus sombre de la médaille: la dette publique totale de l'UE-28 atteint 11 mille milliards d'euros, le paiement annuel de cette somme avec intérêts représente plus que 2000 milliards d'euros et les États membres de l'UE produisent environ 1,2 milliards d'euros de nouvelles dettes tous les jours. Qui serait assez fou pour financer un tel système? Et surtout, qui est prêt à le faire à partir de sources bon marché, qui sont indispensables à la compétitivité? Donc, quelle pourrait être la conclusion? Tous les grands systèmes ont besoin d'être profondément restructurés. Nous devrions encourager même les familles et les communautés à changer leurs stratégies de vie. Il faut se rendre compte que cela nous plaise ou non: l'illusion d'une société fondée sur les droits et les dépenses sociales inabordables est terminée. D'accord, cela semble brutal. Et cela conduit à la question essentielle: est-ce que l'élite politique européenne sera assez courageuse pour être honnête et le dire aux gens? Et ici, nous en arrivons à la nécessité des valeurs traditionnelles, parce que nous pourrions envisager l'honnêteté comme une valeur traditionnelle. Sans honnêteté non seulement nous allons être incapables de surmonter la crise , mais nous ne seront pas non plus en mesure de poser les questions adéquates. Donc, vive l'honnêteté.

Seconde thèse.
-----
Nous ne devons pas négliger la différence entre les Etats membres de l'Union européenne. Si nous le faisons, cela peut avoir des conséquences graves. Il est évident qu'au bout d'un moment, les membres de toute la zone euro ne pourront pas éviter d'adopter un budget commun , avec une politique fiscale commune et une politique sociale commune. Dans le même temps , les pays hors zone euro devraient avoir le droit de choisir leurs propres combinaisons de politiques économiques. Dans ce cas, il suffit de suivre ce que dicte le bon sens: la même politique économique ne sera sûrement pas appropriée pour le Royaume-Uni, pour la Suède et pour la Hongrie . Ainsi, à la place de l'idéologie et du dogmatisme, une vaste diversité doit être reconnue et respectée.

Thèse n°3.
-----
Si nous reconnaissons la diversité , cela signifie que nous reconnaissons aussi la nation elle-même. Même en étant très ouvertes, tournées vers le libre-échange et attirant l'investissement, ces économies sont des économies nationales.
Et cela nous amène à une conclusion de la plus haute importance : le concept de nation existe toujours, la nation reste toujours d'actualité.

Thèse n°4
----
Permettez-moi de me référer à ce qu’un ancien président d’Europe centrale a écrit dans son livre. Il a écrit qu’il y a une conspiration politique verte et gauchiste en ce moment contre les nations. Eh bien, ma compréhension de la situation est un peu différente. Une conspiration exige le secret. Mais je pense que ce qui a lieu en Europe à l’heure actuelle, c’est une attaque rouge-verte absolument à découvert contre les valeurs traditionnelles : contre l’Église, contre la famille, contre la nation. Bien sûr, nous acceptons qu’on puisse débattre de l’avenir du christianisme et de l’Eglise, mais permettez-moi de citer un sage anglais : “Nous pouvons même avoir des doutes sur l’avenir du christianisme, mais je suis sûr que ce n’est pas la tâche des hommes politiques de le tuer.” Particulièrement parce que, selon nos vues, la démocratie en Europe est fondée sur le christianisme. La racine anthropologique de nos institutions politiques, c’est l’imago Dei, qui exige un respect absolu de l’être humain. En ce qui concerne les familles, nous devons dire les choses franchement. Une communauté qui est incapable de se maintenir biologiquement ne survivra pas et d’ailleurs ne le mérite pas. L’immigration n’est pas une réponse. C’est une duperie, c’est du bluff. La plupart des pays européennes, dont ma patrie, souffrent de déclin démographique. Nous devons reconnaître les politiques familiales motivées par la démographie comme essentielles et légitimes.

Thèse n°5.

-----
Il vaut mieux reconnaître, même si c'est difficile, que le concept d'État-providence est terminé. A la place, nous devrions essayer de mettre en place des états "workfare" (système d'aide sociale alternatif à notre sécurité sociale, qui prévoit que les bénéficiaires aptes au travail doivent travailler en échange de leur allocation), et remplacer les droits par une société fondée sur le mérite. En Hongrie, grâce à la politique des gouvernements précédents, les inactifs étaient plus nombreux que les actifs. Donc, ce que nous faisons maintenant, c'est une véritable tentative européenne : nous avons renouvelé le pays par la restructuration des grands systèmes. Nous avons aboli l'ancien système fiscal qui pénalisait le travail et était trop compliqué pour être compétitif. Notre nouveau système fiscal est un système d'imposition forfaitaire basé sur la famille, qui honore ceux qui veulent travailler plus, ou employer plus de personnes et qui sont prêts à élever des enfants . Nous avons introduit un taux de 16% d'impôt sur le revenu, et un taux de 10% pour les petites et moyennes entreprises. Ce faisant, nous avons tué le dogme selon lequel on peut apporter des changements favorables dans le système fiscal uniquement pendant les périodes de prospérité. Nous avons aussi introduit le code du travail le plus flexible d'Europe; nous avons restructuré le système d'enseignement supérieur et le système de formation professionnelle afin de répondre aux demandes des entreprises. Nous avons constamment lutté contre la bureaucratie, et un système social qui n'empêchait pas quelqu'un de rester éloigné de emploi. Au cours de cette tentative, nous avons réussi à relever le triple défi affronté par la plupart des pays européens : nous avons réduit la dette de l'Etat , nous avons amélioré notre compétitivité et nous avons été en mesure de maintenir la stabilité sociale et politique. Quand nous sommes arrivés au pouvoir , il y avait 1,8 millions de personnes payant l'impôt. 1,8 millions de contribuables dans un pays avec une population de près de 10 millions d'habitants. C'est la meilleure route vers le suicide . Maintenant, nous avons 4 millions de contribuables et j'aimerais en voir 5 millions.

Et maintenant, je suis arrivé à ma dernière thèse.
----
Au lieu de nous contenter de gérer les problèmes, ce dont nous avons besoin, c'est de leadership. Un leadership motivé par une vision. La Hongrie a beaucoup de chance en ce sens . Notre leadership est enraciné dans une légitimité démocratique, résultant d'une majorité écrasante des deux tiers des parlementaires . Nous pouvons certainement dire que la Hongrie est désormais un véritable laboratoire: nous essayons de trouver des réponses appropriées aux défis d'un monde moderne, basées sur des valeurs traditionnelles. Il ne serait pas approprié de nous vanter ici et maintenant. C'est pourquoi je ne parle pas maintenant de la dette publique en baisse, du déficit budgétaire qui a été bien en dessous de 3% au cours des trois dernières années, je ne mentionne pas que le montant des investissements directs étrangers a triplé en un an, et je n'entre pas dans les détails concernant notre faible taux d'inflation record. Je veux juste vous demander de prêter attention aux développements en Hongrie, et si vous pouviez croiser les doigts ce serait un privilège pour nous .