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Peut-on critiquer le Pape

Un examen de conscience. Et un juriste italien, spécialiste en droit canon,qui apporte des réponses mesurées à la lumière des documents du Magistère. Article dans Il Foglio (18/10/2013, mise à jour)

Examen de conscience...
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Suis-je (trop) critique envers le Pape François?
Soyons clairs: je n'appartiens à aucun clan.
Je me suis toujours définie uniquement comme "benoitphile", "amie et admiratrice de Benoît XVI", et non pas "du Pape": le titre de mon site le dit assez, et devrait me mettre à l'abri du soupçon de papolâtrie à géométrie variable. Et c'est la différence de traitement entre lui et son successeur qui m'a amenée à m'interroger après le 13 mars. Rien d'autre. D'autant plus que je m'étais promise avant le 13 mars de ne jamais faire subir au nouveau Pape ce que d'autres avaient fait endurer à Benoît XVI pendant huit ans: la comparaison dévalorisante avec le prédécesseur.

Certains brandissent aujourd'hui le risque du schisme, et je ne voudrais surtout pas avoir l'air de l'alimenter. Mais jusqu'au 11 février 2013, personne n'y avait fait la plus petite allusion, et pourtant, la désobéissance au magistère s'étalait quotidiennement urbi et orbi; c'était alors le Saint-Père lui-même qui devait s'excuser, et il l'a fait humblement, en personne, à plusieurs reprise, par exemple dans sa lettre aux catholiques d'Irlande (benoit-et-moi.fr/2010-I), ou sa lettre aux évêques (benoit-et-moi.fr/2009-I).
Je persiste à m'étonner que même parmi les croyants, ceux qui n'avaient aucun scrupule, dans les forums et les blogs, à manquer lourdement de respect à Benoît XVI, sortent bec et ongles dès qu'on dit un mot sur François (la même remarque vaut aussi pour les cathos bien-pensants, il suffit de se souvenir de l'« Appel à la vérité » lancé - tardivement - par des "intellectuels" français en plein milieu des affaires de pédophilie, cf. benoit-et-moi.fr/2010-I). Ce dernier bénéficierait-il d'une sorte de "discrimination positive" dûe à son origine géographique, voire à de moindres compétences académiques, comme l'admettait hier Massimo Faggioli (Le Pape qui démythifie les Papes)?
C'est le Pape François lui-même qui, à travers un exercice "informel" de la papauté invite implicitement à la "critique", ou tout au moins la permet, lui-même ayant dit en substance "je préfère une Eglise qui se trompe à une Eglise qui reste enfermée sur elle-même".
Je pense qu'il ne s'en formalise pas, et même qu'il ne s'en soucie pas, du moins venant d'un certain côté...

Voici un article d'un intellectuel italien catholique. Il donne une réponse mesurée, en s'appuyant sur les documents du Magistère. Il rappelle à "la vertu de prudence". C'est ce que je continuerai à pratiquer. Toujours, évidemment, dans les limites du respect dû au Pape, et dans le respect de la vérité.

     

Comment critiquer le Pape sans être hérétiques
www.ilfoglio.it
Tommaso Scandroglio
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Le pape, n'importe quel pape, et pas seulement l'actuel, doit-il toujours être écouté sans broncher ou bien peut-il être critiqué?
Essayons de voir ce que dit l'Église à ce propos.
En 1998, la Congrégation pour la Doctrine de la Foi élabora une "Note doctrinale illustrant la formule finale de Professio fidei" (ici), signée par le Cardinal Joseph Ratzinger, délimitant les domaines et les modalités à travers lesquelles l'infaillibilité pétrinienne s'exprime. Ce n'est que dans certains domaines et uniquement dans le respect de conditions précises qu'est engagée l'infaillibilité du pape, et donc que les assertions relatives sont absolument contraignantes pour tous les catholiques et donc non contestables, car dans ces assertions, ne peut être cachée aucune erreur doctrinale. Il va sans dire qu'en dehors de ces matières et de ces conditions, le pape n'est pas infaillible et peut donc se tromper. Par exemple, ce que dit un pape dans une interview n'engage pas son infaillibilité. Naturellement, cela ne veut pas dire que tout ce qu'il a dit puisse être discuté.

Mais là où le pape n'est pas infaillible, peut-il être critiqué? En d'autres termes, les fidèles ont-ils le droit de critique?
Le Catéchisme de l'Eglise catholique impose l'obéissance au Pape parce que, en suivant sa volonté, on adhère à celle de Dieu. Mais là où cette volonté serait en conflit avec celle divine, l'auctoritas pontificia disparaîtrait parce que chaque potestas - comme l'enseigne saint Thomas d'Aquin - reçoit sa validité du respect du bien. La loi suprême de l'Église, lit-on dans le Code de Droit Canonique, est la salus animarum, et le premier baume pour les âmes est la vérité à laquelle est soumis le Vicaire du Christ.
Alors, obéissance oui, mais pas papolatrie. En effet, le Code de Droit Canonique au n°212 (1) demande aux fidèles d'une part l'obéissance aux pasteurs et de l'autre leur reconnaît le droit d'exprimer des réserves «sur les questions qui concernent le bien de l'Église».
Rien de nouveau sous le soleil. Saint-Paul critiqua Pierre, le premier pape de l'histoire, sur l'obligation de la part des convertis de se soumettre au judaïsme: «Quand Céphas (Pierre) vint à Antioche, je m'opposai à lui en face, parce qu'il avait tort» (Gal. 2:11). Le problème réside dans le fait que Paul reprenait Pierre pour un aspect pastoral alors que les critiques récentes au pape François sont également et surtout de nature doctrinale.

De là, une deuxième question: une fois vérifié qu'il existe un droit de critique, existe-t-il aussi un devoir de critique?
Dans ce cas, aussi, faisons parler les documents de l'Eglise. Toujours selon le code de droit canonique au numéro mentionné ci-dessus (1), il est indiqué que les fidèles peuvent et doivent dans certains cas, manifester leur perplexité «sauf à conserver l'intégrité de la foi et des coutumes et le respect envers les pasteurs, gardant également présente l'utilité commune et la dignité des personnes », ou pour le dire avec le n°37 de Lumen Gentium , «avec vérité, force et prudence avec respect et charité envers ceux qui, en raison de leur fonction sacrée représentent le Christ».
Le n° 62 de Gaudium et Spes indique une attitude d'humilité pour manifester ses opinions.
S'il s'agit, enfin, de ceux qui se consacrent à l'étude des sciences sacrées, le n°218 (2) du Code requiert de la prudence dans l'expression de sa propre pensée.
Dans ces passages, on retrouve, pour ceux qui veulent être fidèles à l'Église jusqu'au fond, et pleinement catholiques, le critère pour comprendre quelle est la marge de manœuvre du catholique qui doute des paroles du Pape. Si je me sens obligé de critiquer le Pape, peut-être même à bon escient en raison de divergences entre ce qu'il dit et ce qui est dit par le Magistère (mesure exclusive de la vérité pour le catholique), et que je le fais dans le but de corroborer la vérité, d'éclairer les sceptiques, de clarifier la doctrine, mais ensuite, si dans les circonstances concrètes, à ces profits s'ajoutent d'autres effets de caractère négatif comme le manque de respect envers la figure du Saint-Père, se posant face de lui comme le premier de la classe, l'augmentation de la confusion dans les rangs des catholiques et la désorientation des simples, peut-être vaut-il mieux renoncer à l'intention de censure précisément en raison du fait que les conséquences négatives annuleraient les positives. On ne doit jamais faire le mal, mais parfois il est nécessaire de s'abstenir du bien pour un plus grand bien.

Peut-on exclure, par exemple, que le front laïciste-relativiste profiterait de ces critiques pour faire valoir que même le Pape n'est plus crédible étant donné que ce sont les catholiques eux-mêmes qui le confirment? Que le Pape peut être jugé par tous, dès lors que ses fidèles les plus observants le font? Que l'importance du Pape est désormais détériorée et donc que son rôle dans l'Eglise doit être révisé? Que même les catholiques ne sont plus d'accord sur ce qu'est la vérité dogmatique à suivre?

À tout cela on objectera que, même face à un tel risque de scandale, il est toujours préférable et juste d'annoncer la vérité. Mais si les modalités de l'annonce, paradoxalement, faisaient du tort à la vérité elle-même? Le remède ne serait-il pas pire que le mal? N'obtiendrait-on pas ainsi tout le contraire de l'effet recherché? Rendrait-on vraiment un bon service à la vérité?

Alors peut-être la voie est-elle celle de la re-présentation des contenus de foi et de morale du Magistère, mais en utilisant la vertu de prudence, qui indique les instruments les plus efficaces pour atteindre l'objectif fixé.
C'est donc un problème qui concerne les modalités de la critique plutôt que le fond de la critique elle-même. Ce n'est pas une question d'étiquette, mais plutôt, de la meilleure façon de servir la vérité.

     

Notes

(1) Code de droit canonique (http://www.vatican.va/archive/FRA0037/__PT.HTM)

Can. 212 -
§ 1. Les fidèles conscients de leur propre responsabilité sont tenus d'adhérer par obéissance chrétienne à ce que les Pasteurs sacrés, comme représentants du Christ, déclarent en tant que maîtres de la foi ou décident en tant que chefs de l'Église.
§ 2. Les fidèles ont la liberté de faire connaître aux Pasteurs de l'Église leurs besoins surtout spirituels, ainsi que leurs souhaits.
§ 3. Selon le savoir, la compétence et le prestige dont ils jouissent, ils ont le droit et même parfois le devoir de donner aux Pasteurs sacrés leur opinion sur ce qui touche le bien de l'Église et de la faire connaître aux autres fidèles, restant sauves l'intégrité de la foi et des moeurs et la révérence due aux pasteurs, et en tenant compte de l'utilité commune et de la dignité des personnes.

(2) Can. 218 -
Ceux qui s'adonnent aux disciplines sacrées jouissent d'une juste liberté de recherche comme aussi d'expression prudente de leur opinion dans les matières où ils sont compétents, en gardant le respect dû au magistère de l'Église.