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Sincérité, simplicité, sobriété: voilà François

Bruno Forte: une litanie de louanges pour le Pape (17/11/2013)

Mgr Bruno Forte, archevêque de Chieti dans les Abruzzes, que Paolo Rodari situait il y a un peu plus d'un an parmi les héritiers du cardinal Martini, a été nommé en octobre dernier par le pape François "secrétaire spécial (?) du Synode 2014" sur la Famille, et il était l'un des intervenants de la Conférence de presse de présentation du document préparatoire: cf. Les saboteurs du sondage.
Cela explique-t-il le ton courtisan qu'il utilise pour encenser François dans son billet hebdomadaire de Il Sole 24 ore, un quotidien italien spécialisé dans l'économie et les finances?
Décidément, les pires ennemis du Pape... ce sont ses amis.

Le texte dont je propose la traduction ci-dessous est sa contribution d'aujourd'hui; il se prête évidemment à deux lectures: l'une, au premier degré, pour ceux qui apprécient le ton hagiographique et la brassée de fleurs; l'autre, pour ceux qui pensent que c'est un peu excessif, et peut-être même contre-productif.

Pour ceux-la, la comparaison (à peine implicite, malgré certaines précautions rhétoriques) entre les deux papes, qui court en filigranne dans tout le texte, peut sembler la limite de la flatterie courtisane, et surtout regrettable au regard de la "continuité" pourtant revendiquée.
Au début de chaque éloge, on croit lire entre les lignes: "contrairement à son prédécesseur"...
Mais surtout, le rapprochement fait entre les registres linguistiques respectifs en italien de Benoît XVI et de François est carrément déplacé.
Le langage de François n'est pas toujours impeccable du point de vue de la syntaxe, et assez fruste au niveau du vocabulaire - ce qui n'était PAS le cas de Benoît XVI, dont les textes lus, ou prononcés a braccio, semblaient toujours pratiquement prêts à l'impression - mais il n'est pas nécessaire d'appeler ce dernier à la rescousse comme alibi de médiocrité. Du reste, j'imagine que la réponse que le pape émérite a faite à Bruno Forte sur la "simplicité" de son expression (qui dans le contexe de l'article, n'est pas forcément un compliment) n'était pas exempte d'ironie: bien entendu, en italien, Benoît XVI, qui a vécu plus de 30 ans à Rome, lecteur de Dante et de Manzoni dans le texte, connaît aussi les mots "compliqués"!

     

Sincérité, simplicité, sobriété: voilà François

Bruno Forte
"Il Sole 24 Ore" (www.finesettimana.org)
17 Novembre 2013
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La vague de sympathie suscitée par le Pape François dans l'Eglise et dans le monde, est l'objet d'évaluations différentes, voire d'un «conflit d'interprétations », comme le montre le récent dialogue à distance entre Vittorio Messori et Liliana Cavani sur les pages du Corriere della Sera (ndt: je ne retrouve plus l'original, mais cette femme reprochait à Vittorio Messori, qu'elle n'avait manifestement pa lu, de critiquer le Pape, et celui-ci s'en était défendu). Il y en a qui saisissent dans le message de ce pape, et l'enthousiasme qu'il allume, les symptômes d'un nouveau printemps de la foi, et il y en a qui voient émerger des nostalgies naïves et risquées de paupérisme évangélique. Il y a ceux qui reconnaissent dans le consensus que beaucoup manifestent la résurgence d'une "affection anti-romaine" jamais endormie, prêts à identifier dans l'évêque de Rome, «venu presque du bout du monde» surtout le promoteur d'une réforme radicale de la machine curiale.
Personnellement, je me sens en harmonie avec ceux qui lisent dans le pontificat de François un extraordinaire temps de grâce et d'espérance pour tous, dans la continuité de ce qui avait été préparé par la réforme spirituelle voulue par Benoît XVI, mais avec des caractéristiques différentes. Trois éléments me semblent entrer en jeu dans la manière d'être et d'agir de Jorge Mario Bergoglio - Papa Francesco - en mesure de lui faire atteindre largement et en profondeur les cœurs de tous: la sincérité , la simplicité et la sobriété.

La sincérité de ce jésuite argentin, devenu Évêque de l'Eglise, «qui préside dans l'amour», est pour certains même déroutante: ses déclarations spontanées sur des thèmes délicats qui regardent la morale personnelle et sociale ou la nécessité d'une réforme de l'Église, ne sont certainement pas le résultat d'un calcul iintéressé, ni même d'une stratégie pastorale. le Pape François se montr tel qu'il est et a toujours été, sans rester à mesurer les effets de ce qu'il dit sur le possible retour d'image pour lui-même ou pour la communauté catholique. Cela ne signifie pas, cependant, que ses actions et ses prises de position peuvent être considérées comme aventurées: ceux qui, comme lui, durant toute une vie, s'exercent à la discipline spirituelle et à la méditation de la Parole de Dieu et des écrits des grands maîtres de la foi, ne disent jamais de choses légères ou qui n'ont pas été longuement «ruminées», même si sur le moment elles peuvent apparaître d'une nouveauté surprenante.

La sincérité de François est comme la pointe d'un iceberg, qui affleure tout en restant à une profondeur à sonder. Ainsi, par exemple, son insistance sur le regard de miséricorde à avoir envers tous, même et surtout envers ceux qui sont dans des situations problématiques en ce qui concerne les normes canoniques ou les lois morales, n'est que la traduction de la conviction que le regard de Dieu se pose avec tendresse sur ces personnes et celui [le regard] de l'Eglise et de ses pasteurs ne peut pas être différent. Ce «qui suis-je pour juge » qu'il a prononcé à plusieurs (?) occasions, n'affaiblit pas la loi morale, mais la propose dans la seule optiqueoù elle est vraie, efficace et crédible à la lumière de l'Evangile: celle de l'amour et de la compassion miséricordieuse et humble. De cette façon, François nous interpelle tous sur notre sincérité, nous invitant à faire confiance à la promesse de Jésus, à laquelle il se confie tant: «La vérité vous rendra libres » ( Jean 8:32). Et ce besoin de vérité, à en juger par l'attention que suscite ce pape, est évidemment beaucoup plus vaste que ce qu'il paraît à beaucoup.

Une deuxième caractéristique qui rend particulièrement aimé le Pape argentin est la simplicité de sa façon de communiquer: la préférence pour le «parler a braccio», dont il témoigne si souvent, n'est pas simplicisme, mais expression de la volonté d'atteindre ceux vers qui il se dirige d'une manière à la fois directe, essentielle et profonde.
«Cor ad cor loquitur »: cette maxime, si chère au grand théologien et cardinal anglais John Henry Newman, exprime bien l'arc de flamme que ce Pape est capable d'établir entre lui et ceux qui l'écoutent, faisant percevoir la proximité des cœurs dans l'accueil et l'écoute réciproques.

D'ailleurs, la simplicité combinée avec la profondeur était aussi un grand mérite de la communication spirituelle de Benoît XVI: une fois, j'eus l'occasion de dire au Pape émérite combien ses homélies, notamment celles faites a braccio, étaient capable d'atteindre les esprits et les cœurs, unissant la vérité et de l'amour, la clarté et la profondeur du contenu. Sa réponse fut à la fois désarmante et révélatrice de son humilité : «Parlant dans une langue qui n'est pas la mienne, je n'avais aucun mérite à être simple, parce que je me servais des seuls mots que je connais: les plus simples ».

Pour l'italien de François, il n'en va bien sûr pas de même (!!!), parce que notre langue a été la sienne depuis l'enfance - la langue de sa grand-mère- en même temps que le très aimé espagnol «Porteño»: le résultat, cependant, est analogue, parce que - habitué depuis toujours à être aux côtés des pauvres, souvent sans défense parce que privés de la précieuse possession de la parole -, il s'est entraîné à dire de grandes choses de manière humble et compréhensible pour tous. Il convient de souligner que la simplicité communicative des paroles et des gestes du pape François n'aurait pas la force qu'elle a si elle n'était pas habitée par la sincérité et la transparence dont nous avons parlé plus haut: seuls ceux qui aiment la vérité et en même temps aiment les gens à qui ils la proposent sont capables de combiner les deux amours dans une communication vraie, illuminante et contagieuse. C'est vrai, la simplicité de Bergoglio devient un exemple et une école pour tous, surtout pour ceux qui sont habitués à parler la «novlangue», capables de multiplier les mots de manière inversement proportionnelle aux contenus de vérité transmis ...

Enfin, ce qui frappe tout le monde, c'est la sobriété de ce Pape: non seulement il n'a pas besoin de grands moyens et de formes tapageuses, mais il fuit avec conviction tout ce qui semble exalter le pouvoir selon la logique de ce monde, pour privilégier ce qui parle de charité, proximité, service. Si la décision de vivre avec les autres à Santa Marta exprime, de son propre aveu, le besoin de fraternité partagée, l'utilisation de véhicules simples, de styles de comportement «normaux» (!!) , met en lumière sa volonté d'être perçu comme l'un de nous, un compagnon de route et un frère en humanité. Cela n'enlève rien à son rôle de paternité universelle, mais donne à celui-ci une touche d'accessibilité et de familiarité, qui le rend proche du cœur de beaucoup.
De façon plus générale, son désir d'une Eglise pauvre et amie des pauvres n'est pas seulement la voix de l'histoire ecclésiale de tout un continent, l'Amérique latine, où le besoin de justice sociale et de libération intégrale de la personne humaine est large et profond, mais c'est aussi une invite pour tous les fidèles à suivre et à imiter le Fils de Dieu fait homme, qui de riche qu'il était, a choisi d'être pauvre pour donner à tous la richesse de son statut divin. Même la sobriété, en somme, est un langage, une façon d'être proche de tous et d'abattre les distances que nos peurs créent si facilement vers ceux qui ont une si grande responsabilité. Et redécouvrir la sobriété est une réserve précieuse en temps de crise et de difficultés économiques pour beaucoup.
Le Pape François aime être le curé du monde, non pas par manie d'originalité, mais par amour pour son peuple et en obéissance au style de vie et d'action du Seigneur et Maître auquel il a donné son cœur et sa vie, le Seigneur Jésus . C'est ainsi que ce qu'il fait et dit a la saveur de l'Evangile et fait pressentir le pouvoir de transformation et de salut pour tous des paroles prononcées et vécues en personne par le Nazaréen : «Heureux, vous les pauvres, car à vous est le royaume de Dieu» ( Luc 6,20).