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Une nouvelle année avec deux Papes

Très intéressante analyse d'Andrea Gagliarducci, qui se veut positif, mais qui pose aussi des questions, notamment sur la "communication" du pape, et le rôle de Benoît XVI (30/12/2013)

Une nouvelle année avec deux papes. Attentes et défis
Andrea Gagliarducci
30 décembre 2013
http://www.mondayvatican.com/vatican/a-new-year-with-two-popes-expectations-and-challenges
(ma traduction)
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Cette année a été l'année de deux papes, et elle a fini avec l'«image» de deux Papes réunis.
Le 23 Décembre, le pape François est allé rendre visite au pape émérite Benoît XVI: souhaits de Noël, "sunrises" et séance de photos, avec une invitation à déjeuner du pape François au pape Benoît. Ce dernier a évidemment accepté: il a promis obéissance à son successeur depuis qu'il a dit adieu aux cardinaux le 28 Février, et il a réitéré sa promesse au Pape François lorsque celui-ci l'a appelé au téléphone peu de temps après son élection.

Ainsi, le 27 Décembre le Pape émérite est allé déjeuner à la Domus Sanctae Marthae, l'hôtel du Vatican où le pape François vit. Le secrétaire du Vatican pour les relations avec les Etats, Mgr Dominique Mamberti, et l'assesseur de la Secrétairerie d'Etat, Mgr Peter Bryan Wells, ont déjeuné avec les deux papes, en même temps qu'avec les secrétaires personnels des deux papes.

Il est frappant de constater que le numéro 1 et le numéro 2 de la Secrétairerie d'Etat, à savoir le secrétaire d'Etat Mgr.Pietro Parolin et son adjoint Mgr Angelo Becciu, n'étaient pas assis à cette même table. Selon ce qui est déductible du bref communiqué publié par la radio du Vatican, Parolin et Becciu n'étaient pas à Rome. Le communiqué indique seulement que Wells et Mamberti ont été invités car « ils étaient à Rome »

Il est également frappant de constater que la visite du pape émérite au pape François n'avait pas été annoncée par les canaux habituels (une anticipations du Bollettino du Saint-Siège aux agences de presse, puis le Bollettino lui-même), alors qu'elle a été annoncée par Radio Vatican. C'est le moyen par lequel les nouvelles sont livrées si le Vatican ne veut pas qu'elles aient trop d'importance.

Cette stratégie de communication a été maintenant suffisamment expérimentée.
La communication semble être devenue l'affaire la plus importante au Vatican.
La stratégie de communication a pris de l'importance lors du scandale Vatileaks, lorsque le Vatican a perçu la nécessité d'embaucher un conseiller en communication pour la Secrétairerie d'Etat, choisi en la personne de Greg Burke. La stratégie de communication a été cruciale pour les cardinaux lors des réunions de pré-conclave, et c'est la raison pour laquelle les cardinaux en conclave ont choisi un «changement de narration», selon un article du Wall Street Journal basé sur la conversation avec quatre cardinaux différents. La stratégie de communication est considérée comme essentielle au point de demander à McKinsey d'étudier une nouvelle stratégie médiatique du Vatican.

Avec son charisme et sa façon naturelle de s'adresser à la foule, le pape François est la pierre angulaire de cette nouvelle stratégie de communication. Le risque est que l'attention soit davantage fixée sur les gestes du pape François, tandis que ses mots sont laissés inaperçus.

Dans son message «urbi et orbi» du jour de Noël, le pape François, par exemple, a énuméré les pays qui souffrent de conflits ou où les chrétiens sont persécutés. Le lendemain, le 26 Décembre, le pape François a parlé à nouveau des chrétiens persécutés, en insistant sur la question autant que Benoît XVI l'avait fait. Ces messages ont du mal à faire les manchettes des grands médias, avec de rares exceptions, tandis que les gestes du pape François sont toujours mis en valeur.

En fin de compte, une question demeure: la communication professionnelle est-elle adaptée à l'annonce de l'Evangile? Le message de l'Eglise catholique est enraciné dans la vérité, tandis que la communication doit mettre l'accent sur les émotions et les images pour être efficace. On pourrait aussi faire valoir qu'un plan de communication peut ne pas être efficace pour annoncer l'Evangile, alors qu'il peut être efficace pour donner une nouvelle image de l'Eglise.

Quoi qu'il en soit, la nouvelle image risque d'être erronée. Le Pape François, par exemple, n'a pas brisé la tradition de l'Eglise. Son travail et son engagement sont ancrés dans un travail à long terme, et l'engagement des papes précédents. Les réformes auxquelles le pape François a travaillé depuis son élection ont commencé sous le précédent pontificat. Et les mots du pape François sont de toute façon en parfaite continuité avec la tradition de l'Eglise, comme l'a dit le Pape lui-même.

Au retour de son voyage à Rio de Janeiro pour les Journées Mondiales de la Jeunesse, répondant à une question, le pape François a expliqué pourquoi il n'avait pas parlé, lors de sa visite au Brésil, sur les changements de société, l'avortement, les mariages homosexuels.

«L'Eglise - a répondu le Pape François - a déjà parlé très clairement à ce sujet. Il n'était pas nécessaire d'y revenir, comme je n'ai pas parlé de la tricherie, du mensonge, ou d'autres questions sur lesquelles l'Église a un enseignement clair! Il n'était pas nécessaire d'en parler, mais plutôt des choses positives qui ouvrent la voie aux jeunes. N'est-ce pas! En outre, les jeunes savent parfaitement quelle est la position de l'Eglise».

Interrogé sur sa position, le Pape François a répondu: «La position de l'Eglise. Je suis un fils de l'Église. »

Le Pape François a donné une explication plus en profondeur de la raison pour laquelle il n'a pas abordé ces sujets dans l'interviewe qu'il a accordée à "La Civiltà Cattolica" .

Il a dit au magazine jésuite que l'Église «ne peut pas insister seulement sur les questions liées à l'avortement, au mariage homosexuel et l'utilisation des méthodes contraceptives ... quand on parle de ces questions, nous devons en parler dans un contexte.»

Il a poursuivi «la pastorale de l'Église ne peut pas être obsédée par la transmission d'une multitude disparate de doctrines à imposer avec insistance. L'annonce dans un style missionnaire se concentre sur l'essentiel, sur les choses nécessaires: c'est aussi ce qui fascine et attire le plus, ce qui rend le coeur brûlant, comme cela a été pour les disciples d'Emmaüs ... la proposition de l'Evangile doit être plus simple, profonde, rayonnante. C'est à partir de cette proposition que les conséquences morales jaillissent alors».

Les mots du Pape François font écho à ceux de son prédécesseur, Benoît XVI. Le 9 Novembre 2006, il rencontrait les évêques suisses réunis pour une rencontre au Vatican. Il a parlé a braccio, s'excusant de n'avoir pas eu le temps de préparer un discours écrit (ici) , et il a souligné qu'il n'avait pas l'intention de s'attarder sur les petits problèmes, alors qu'il préférait mettre en lumière les grands thèmes.

Benoît XVI a dit : «Je me souviens, quand j'allais en Allemagne dans les années 1980 et 90, et qu'on me demandait de donner des interviews, je savais toujours les questions à l'avance. Elles concernaient l'ordination des femmes, la contraception, l'avortement et d'autres problèmes revenant constamment. Si nous nous laissons entraîner dans ces discussions, l'Eglise est alors identifiée à quelques commandements ou interdits; nous donnons l'impression que nous sommes des moralistes avec quelques rares convictions archaïques, et pas même un soupçon de la vraie grandeur de la foi n'apparaît. Je considère donc qu'il est essentiel de toujours mettre en évidence la grandeur de notre foi - un engagement dont nous ne devons pas permettre que de telles situations nous détournent ».

Benoît XVI a ensuite ajouté: «Dans l'Eglise, l'institution n'est pas seulement une structure externe tandis que l'Évangile est purement spirituel. En fait, l'Evangile et l'institution sont inséparables parce que l'Evangile a un corps, le Seigneur a un corps de nos jours. Par conséquent, des questions qui semblent à première vue purement institutionnelles sont en réalité théologiques et centrales, car il s'agit de la réalisation et la concrétisation de l'Evangile à notre époque. »

Certes, le pape François a relu ces mots, alors qu'il est largement question d'éventuelles réformes, au moins dans l'organisation de la Curie. La pastoralité du Pape François et la théologie du pape Benoît peuvent ainsi aider l'Eglise à sortir de la crise. Ces deux âmes ne peuvent pas être détachées l'une de l'autre. Et cela est prouvé par le fait que le pape François recherche continueellement Benoît XVI - une recherche qui vise à montrer une continuité et une amitié entre les deux papes.

On peut penser que la nécessité de montrer la continuité fait partie d'une stratégie de communication, et viserait à faire disparaître les critiques et les questions soulevées au cours du pontificat du pape François, en particulier pour ce qui concerne la perception d'un manque d'institutionnalité sous le pape François. C'est possible.
Quoi qu'il en soit, la nouvelle année avec deux papes va sûrement révéler que la doctrine de l'Église n'a pas changé. Le Pape François lui-même a remanié sa révolution . Son pontificat n'est pas une rupture avec le passé, comme les médias le dépeignent souvent.