Benoît XVI nous quitte, il est toujours présent.
Ce texte date du 27 février dernier, il s'agit de la traduction, publiée sur France-Catholique, d'un article du site "The Catholic Thing" (23/10/2013)
... Une erreur ne peut se perpétuer si elle ne contient pas un brin de vérité. En fait, une erreur est d’autant plus menaçante que le brin de vérité est plus grand, car alors la tentation qu’elle induit est d’autant plus grande.
Benoît XVI nous quitte, il est toujours présent.
par Hadley Arkes (www.thecatholicthing.org, traduction www.france-catholique.fr)
mercredi 27 février 2013
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« Gardons à l’esprit — écrivait-il — qu’une erreur ne peut se perpétuer si elle ne contient pas un brin de vérité. En fait, une erreur est d’autant plus menaçante que le brin de vérité est plus grand, car alors la tentation qu’elle induit est d’autant plus grande. » — Cardinal Ratzinger, 1984.
Le danger évoqué était celui de la "Théologie de la Libération", qui se présentait au nom d’un généreux dévouement envers les pauvres, mais "œuvrait à la refonte des vérités du Christianisme". Le langage et la dialectique étaient d’inspiration marxiste. L’étude de la Bible portait sur son aspect historique et, selon d’authentiques termes Marxistes-Hegeliens, l’étude de l’Histoire serait désormais la source de la "révélation" et "l’authentique interprète de la Bible". L’Histoire serait donc désormais "le véritable vecteur du Salut". Ainsi donc "le concept historique engloutit les concepts de Dieu et de la Révélation".
Le don d’écriture de Joseph Ratzinger réside entre autres en sa faculté d’identifier ce "brin de vérité" présent dans l’argumentation des adversaires. Il leur accorderait la plus grande attention. Et en identifiant leur brin de vérité, ou la base de leurs arguments acceptables, il irait jusqu’au fond des choses. Il saurait aller plus loin qu’eux-mêmes et, mettant au jour la source des errements qui les trompaient, il ferait apparaître encore plus nettement les vérités manquant à la base de leur raisonnement.
Soudain, cette semaine, le choc : Il s’en va pour de vrai. À la fin de cette semaine se terminera la papauté de Benoît XVI.
C’est d’autant plus bouleversant que sa présence vivante nous a longuement accompagnés — depuis bien avant son élévation à la papauté en 2005. L’émerveillement et la surprise pour certains d’entre nous en 2005 était que cet homme d’une telle stature intellectuelle soit élevé par ses collègues pour assurer le gouvernement de l’Église.
Mais n’était-ce pas simplement le signe que les électeurs faisaient alors preuve d’une certaine clairvoyance — et d’humilité ? Ils savaient reconnaître parmi eux une personnalité mieux que tous capable d’enseigner. Sans doute un coup de main de l’Esprit Saint.
Les écrits de Jean-Paul II frappaient de suite par leur piété, puis on découvrait rapidement qu’on était en présence d’un philosophe accompli. Avec Benoît XVI j’ai eu une impression plutôt inverse. Dès les premières pages on se trouvait devant un philosophe de fort calibre, puis la piété faisait son chemin, venant illuminer puissamment le texte. Nous vivons un évènement étrange, en partie parce qu’il renonce à la papauté alors que, selon moi, il est en pleine possession de ses moyens d’écrivain et d’enseignant.
Il prit le nom de Benoît pour se concentrer sur la restauration de l’Europe et de l’Occident, le problème fondamental, le danger principal, étant la force corrosive du relativisme moral. Étant pape, il écrivit sur la "dictature du relativisme". Mais son enseignement sur ce thème avait de longtemps précédé son élévation à la papauté.
L’assaut contre la raison venait sous une forme agressive des Communistes et des Fascistes par leur "pathologie du raisonnement" — leur faculté à élaborer des arguments dénués de tout fondement moral. Mais les dangers provenaient même du sein de l’Église. Il y avait ces nonnes et ces prêtres avec leurs raisonnements pleins de tendresse mais vides de structure. Ils étaient attirés par la "théologie de la libération" sans se rendre compte qu’ils franchissaient la ligne rouge d’un monde Marxiste - matérialiste.
De respectables juristes catholiques rejetaient la loi naturelle parce qu’ils pensaient que tous n’y adhéreraient pas. Mais comme le remarqua le Cardinal Ratzinger en 1999, les juristes mirent l’accent sur "les convictions communes des citoyens" quand ils eurent perdu la conviction qu’on trouverait toujours par la loi naturelle les critères de jugement sur le bien et le mal.
Par son célèbre discours de Ratisbonne en 2006, il a déclenché une avalanche de protestations en osant suggérer une certaine tendance dans l’Islam à promouvoir le djihadisme, ou une ambition de convertir sous la menace de mort. Et pourtant Benoît pourrait bien avoir mis par son habileté rhétorique le doigt sur le problème. Il l’a identifié par le mortel déni de raison du djihadisme.
Mais ce qui fut pour lui le problème le plus grave avait sa source dans le Protestantisme et son rejet de la loi naturelle et du raisonnement moral, tendant à nier la liberté et la suprématie de Dieu. Ce rejet du raisonnement moral au nom de la foi ("sola scriptura", seule l’Écriture) était renforcé par la dérive de la philosophie cherchant à dissocier la théologie de la philosophie, la foi de la raison. La religion serait alors ramenée à des croyances subjectives coupées de ce qu’on peut croire et connaître. Et une philosophie décidée à évacuer la théologie de son domaine aboutirait par son coup de balai de scepticisme à chasser la raison de la philosophie elle-même. Benoît est un défi à tout ce que le monde laïc peut proposer avec ses philosophes les plus prestigieux. Il les a forcés à se lever et à se confronter à lui. Il nous faudra lire et relire ses arguments, écouter et entendre son enseignement, même s’il se retire à présent dans le calme silencieux de son bureau.
Hadley Arkes