Les loups contre Benoît XVI
L'impeccable reconstruction de JY La Gallou dans son livre "La tyrannie médiatique" [1] (5/9/2013)
Il ne faut pas oublier que ces pages ont été écrites avant la démission, et surtout avant le Conclave qui a vu l'élection de François..
L'Église entre immédiateté et éternité
Pages 259 et suivantes
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Le temps de l'Église, c'est le temps long, la durée, sinon l'éternité ; le temps des médias, c'est le temps court, l'immédiat. L'Église approfondit la réflexion, nuance ses propos, mesure les conséquences de chaque mot en fonction du bien commun ; les médias simplifient l'analyse jusqu'à la caricature, réduisent la pensée au slogan, cherchent le « clash » et le « buzz » pour faire grimper l'audience... Pire : les médias estiment désormais que, comme l'Église, ils ont vocation à dire le Vrai, le Beau, le Bien. Entre les deux le conflit était inévitable.
« Santo subito ! »
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La contradiction majeure entre l'Église catholique et l'Église cathodique a éclaté de manière criante, en avril 2005, à travers les manifestations de Romains réclamant la canonisation immédiate de Jean-Paul II. « Santo subito » était le slogan des foules en délire avant de faire le titre des journaux. « Santo subito » : une demande en contradiction du droit canon actuel qui prévoit sagement un délai de cinq ans entre la mort d'un homme et sa canonisation éventuelle (délai oublié d'ailleurs s'agissant de Mère Teresa, personnage emblématique de l'Église cathodique). « Santo subito », c'était le déferlement de l'émotion au détriment de la foi raisonnée. L'étrange alliance de masses émotives et de groupes d'intérêts bien organisés tendus vers un même but : changer les règles séculaires.
L'hypermédiatisation planétaire de l'agonie et des obsèques du pape Jean-Paul II a frappé les esprits. Cette hypermédiatisation s'explique : c'est l'un des phénomènes dominants de notre époque dont Jean-Paul II, athlète de Dieu, avait su jouer depuis l'origine de son pontificat. Conscient des limites de l'appareil ecclésial, comme de tout appareil politique, syndical ou associatif dans la dernière partie du xxe siècle, le pape Jean-Paul II avait choisi d'utiliser les médias pour faire passer le message de l'Église, tel qu'il le concevait et tel qu'il lui paraissait possible de le faire connaître au monde
- Ouverture aux autres religions, d'une part, avec la réunion interreligieuse d'Assise, le dialogue avec le judaïsme, le baiser au Coran, la repentance (souvent mal comprise et médiatiquement détournée de son sens), et le rapprochement oecuménique avec le monde orthodoxe dans le but spirituel et géopolitique de « réunir les deux poumons de l'Occident ».
- Fermeté doctrinale, d'autre part, avec la défense des valeurs de la morale traditionnelle catholique et d'une éthique sexuelle rigoureuse.
Sans doute les stratèges du Vatican estimaient-ils qu'il fallait des alliés pour livrer le combat, essentiel à leurs yeux, sur les valeurs - combat qui suscitait une forte hostilité de mouvements féministes, homosexualistes militants et laïcs ultras. Ces alliés nécessaires, le Vatican les a cherchés auprès des représentants d'autres grands cultes et dans les milieux médiatiques à qui le discours d'ouverture aux autres religions et de repentance convenait, car au fond, il était dans l'air du temps. La stratégie de Jean-Paul II semblait claire : payer tribut au politiquement correct pour tenter de sauver le « moralement incorrect » (aux yeux de l'opinion médiatique) que son suc¬cesseur Benoît XVI devait qualifier de « principes non négociables ».
2005 : le pouvoir médiatique tente de s'inviter au conclave
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C'est dans ces conditions que la mort de Jean-Paul II a donné aux médias dominants l'occasion de tenter une OPA sur l'Église en cherchant à peser sur ses choix futurs.
Deux arguments étaient développés : d'une part, il ne faut pas laisser retomber l'émotion mondiale suscitée par la mort de Jean-Paul II mais répondre à l'attente de l'opinion et ouvrir davantage l'Eglise aux idées en vogue. D'autre part, le nouveau pape, pour ne pas décevoir, devra engager un profond mouvement de réforme et de modernisation.
Cette campagne était relayée, pays par pays, et média par média, par des interviews de théologiens, d'évêques ou de cardinaux réputés « progressistes ». En fait, le pouvoir médiatique voulait s'inviter au conclave.
Il s'est soudain trouvé un nombre ahurissant d'éditorialistes (qu'on ignorait si dévots...) pour dresser, depuis leur tribune, le portrait du pape de leurs rêves : un successeur au trône de saint Pierre ouvert au mariage des prêtres, à l'accès des femmes à la prêtrise, large d'esprit sur les questions de pré¬servatif et d'avortement - en un mot, progressiste - mais, par dessus tout, noir ou, au minimum, sud-américain... Étrange obsession pour des antiracistes patentés.
Le cardinal Ratzinger et le cardinal Sodano ont sifflé la fin de la récréation en rappelant aux cardinaux l'obligation de secret dès que le pape eut rejoint sa dernière demeure. Règle à appliquer sans même attendre le conclave par les assemblées ecclésiales qui le précédaient. Ce rappel à l'ordre fut décisif pour la suite des événements.
Il n'empêche que, via le Corriere de la Serra, on a retrouvé dans les journaux du monde entier le plaidoyer du cardinal italien Martini, prononcé dans le secret d'une assemblée ecclésiale, en faveur d'une évolution progressiste du Vatican. Bien sûr, ceci n'est pas nouveau, les conclaves ont souvent subi des pressions extérieures : de la part des pouvoirs politiques quand ceux-ci pesaient ; mais aussi de la part du pouvoir médiatique qui les supplée aujourd'hui dans bien des nations d'Occident. Ceci pose évidemment quelques problèmes.
Temps long de l'Église, temps court des médias
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Au demeurant, la question qui s'est posée à l'Église catholique est la même que celle qui se pose aux nations et aux grandes civilisations : comment défendre des règles et des valeurs dans la durée dans un monde dominé par l'immédiateté médiatique ?
En portant à sa tête le cardinal Ratzinger, l'Église catholique a apporté une réponse claire : les pères conciliaires ont choisi l'éternité, la réaffirmation des valeurs permanentes de la foi catholique et de sa vérité, fût-elle en opposition à l'air du temps : « C'est le choix d'une foi adulte qui ne suit pas les vagues de la mode », selon la formule du futur Benoît XVI, lors de la messe concélébrée le 12 avril 2005, une semaine avant son élection au trône de saint Pierre. Les journalistes ne lui pardonneront pas ces propos blasphématoires.
Benoît XVI accroché par les « loups » médiatiques
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Les réactions, en France tout au moins, ne se sont pas fait attendre : le nouveau pape a été accueilli par une franche hostilité et rapidement surnommé le Panzer Kirdinal, en raison de sa nationalité allemande. On a monté en épingle son pas¬sage à la Hitlerjugend... sans mentionner le fait que tous les enfants allemands étaient obligés de s'y enrôler. Instinctivement, les faiseurs d'opinion se sont méfiés de cet intellectuel et théologien brillant, attaché aux traditions. Ils ont détesté ce cardinal qui « entra pape au concile » et en ressortit pape, contrairement aux lois historiques qui montrent la défaite fréquente du favori ! Pire : il ne réussit ce prodige que parce qu'il prit rapidement la courageuse décision de fermer aux médias l'accès aux assemblées précédant le conclave, afin de permettre aux évêques et aux cardinaux de préparer leur choix à l'abri (et à l'insu) du tumulte médiatique.
D'emblée, Benoît XVI dut relever un double défi : montrer qu'il était possible, par l'intelligence, la volonté et le res¬sourcement, d'échapper à la tyrannie médiatique et à la dictature de l'instant. Faire face aux amalgames, à la désinformation, aux insinuations malveillantes tout en tentant d'échapper à la sidération médiatique et à la « médiabolisation ». Conscient des difficultés, Benoît XVI affirma dès la première messe de son pontificat : « Priez pour moi afin que je ne nie dérobe pas, par peur, devant les loups. » Les loups médiatiques, bien sûr !
Discours de Ratisbonne : la raison contre l'émotion
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Prononcé en septembre 2006, le grand discours de Ratis¬bonne fut le deuxième point d'« accrochage » du pape par la classe médiatique. En affirmant le rôle de la raison, le Saint-Père s'inscrivait en rupture avec le magistère émotionnel rêvé des médias et par là même soumis à l'air du temps. Surtout, à Ratisbonne, le pape s'est inscrit clairement dans l'helléno-christianisme en affirmant : « Est-ce seulement grec, de penser qu'agir contre la raison est en contradiction avec la nature de Dieu, ou est-ce une vérité de toujours et en soi ? Je pense qu'en cet endroit devient visible l'accord profond entre ce qui est grec, au meilleur sens du terme, et la foi en Dieu fondée sur la Bible. » En réaffirmant le rôle de la raison, en refusant la « déshellénisation », Benoît XVI s'inscrivait aussi dans la grande tradition européenne qui distingue profondément le christianisme des autres religions du Livre.
En septembre 2006, à Ratisbonne, Benoît XVI souligna aussi, et sans concession inutile, l'opposition entre l'Occident et le monde musulman, entre l'islam et le christianisme : un discours qui lui valut l'hostilité de nombreux musulmans, bien sûr, mais aussi des « Turcs de profession » et, plus largement, du lobby « antiraciste » ainsi que des adversaires de l'hellénisme. Et surtout l'hostilité renouvelée des médias de l'oligarchie.
L'ouverture aux traditionnalistes
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Durant l'été 2007, Benoît XVI publia le Motu Proprio Summorum Pontificum, pour autoriser plus largement la célé¬bration de la messe selon la « forme extraordinaire du rite romain » c'est-à-dire l'ancienne forme, en latin.
Début 2009, la levée des excommunications des quatre évêques lefebvristes fut une nouvelle occasion de diaboliser le pape. Il lui fut cette fois reproché les propos de l'un des quatre prélats concernés, Mgr Williamson, sur la Seconde Guerre mondiale. Propos révisionnistes sur l'histoire de la persécution des juifs qui pourtant ne relevaient pas du magistère de l'Église catholique et qui étaient sans rapport avec l'excommunication - ou la levée de l'excommunication - de cet évêque britannique.
En fait, par-delà le prétexte choisi, le tollé médiatique contre la levée des excommunications s'explique parfaitement : la décision de Benoît XVI pouvait apparaître comme un coup de balancier vers la « droite ».
Surtout, et c'est là l'essentiel, elle revenait à renouer avec la tradition et à marquer un intérêt pour des rites liturgiques antérieurs à la rupture de Vatican II. D'aucuns pouvaient aussi craindre un coup d'arrêt au rapprochement du catholicisme avec les autres religions du Livre et singulièrement avec le judaïsme.
Symboliquement, le retour vers la messe de saint Pie V, l'ouverture au rite extraordinaire, heurtait de plein fouet l'idéologie médiatique dominante : quand la langue sacrée
remplace la langue vulgaire et que le servant est tourné vers le divin, non vers l'humain, le sens du rite change.
Pour les oligarchies en désunion avec les formes traditionnelles de la foi, en révolte contre la civilisation européenne et chrétienne, en hostilité avec les valeurs familiales et la loi naturelle, la décision de Benoît XVI signifiait une insupportable rupture avec l'idéologie dominante.
Chasteté et fidélité, des valeurs peu... médiatiques
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Le maintien d'une ligne rigoureuse de respect de la vie contre l'avortement et l'euthanasie suscite aussi des positions hostiles au pape. Car, même si sur ce plan, Benoît XVI n'innove pas par rapport à Jean-Paul II, le débat s'est durci. Dans de nombreux pays, de nouvelles lois visent à allonger les délais d'avortement et à remettre en cause la cellule familiale (l'union durable d'un homme et d'une femme avec leurs enfants). En s'opposant à ces dérives, le pape se heurte aux groupes philosophiques, souvent maçonniques, qui y sont favorables et aux activistes du féminisme et des minorités sexuelles.
Sur ce terrain-là, les déclarations du pape tenues sur le sida lors de son voyage en Afrique, en mars 2009, serviront de détonateur à une nouvelle campagne médiatique. Déclaration qu'il faut ici rappeler : « On ne peut vaincre ce problème du sida uniquement avec des slogans publicitaires. S'il n'y a pas l'âme, si les Africains ne s'aident pas, on ne peut résoudre ce fléau en distribuant des préservatifs ; au contraire, cela risque d'augmenter le problème. On ne peut trouver la solution que dans un double engagement : le premier, une humanisation de la sexualité, c'est-à-dire un renouveau spirituel et humain qui implique une nouvelle façon de se comporter l'un envers l'autre ; et le second, une amitié vraie, surtout envers ceux qui souffrent.
Qu'un pape préconise la chasteté et la fidélité devrait paraître normal : sa mission est de rappeler les règles de la morale naturelle catholique. Mais c'est justement cela qui lui est reproché au nom de la rupture avec les traditions et de la vo¬lonté de promouvoir une société purement individualiste re¬posant sur le principe de la jouissance sans entraves et sans règles.
C'est pour cela qu'avec ses propos, le pape s'est aliéné les puissants lobbies - notamment féministes et homosexualistes - qui militent pour la mise au ban de toutes les visions traditionnelles de la société.
La recherche du scandale
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D'autres affaires ont été montées en épingle : fuites au. Vatican et prêtres pédophiles. Dans ces conditions, il n'est pas surprenant que l'image du pape ait été abîmée. Au motif que Benoît XVI refusait d'inscrire ses actes et ses paroles dans le courant dominant des quarante dernières années, certains ont parlé d'« autisme ».
Et beaucoup parmi les plus frileux des catholiques se sont désolidarisés du chef de l'Église pour mieux hurler avec les loups. Ceci ne doit pas surprendre, c'est le résultat normal d'une campagne de diabolisation : la tyrannie médiatique est si puissante qu'elle s'impose inévitablement aux esprits les moins formés intellectuellement et moralement.
Pour attaquer le pape - et tenter de le faire plier - tous les prétextes ont été bons : de vieilles affaires de pédophilie de prêtres catholiques ont été opportunément remises en scène. Des défenseurs de Polanski n'ont pas hésité à reprocher au pape des pratiques pédophiles de curés américains remontant à plus de quarante ans - pratiques évidemment condamnables, mais émanant d'ecclésiastiques sur lesquels le cardinal Joseph Ratzinger n'avait aucune autorité. Plus malhonnête encore, nul n'a pris la peine de relever que, si les médias ont pu s'alarmer de ces scandales, c'est justement parce que, dès son arrivée à la tête de l'Église, Benoît XVI a pris des mesures de fermeté... Autrement dit, si le pape avait soigneusement dissimulé les problèmes au lieu de sévir, les pseudo-enquêteurs de la presse ne lui auraient jamais rien reproché ! Bref, une campagne médiatique parfaitement injuste comme beaucoup d'autres. Mais qui laisse forcément des traces.
D'autant que ce n'est pas terminé. En 2012, une nouvelle offensive a eu lieu. Au moment où les négociations entre le Vatican et la Fraternité Saint-Pie X, créée par Mgr Lefebvre, étaient sur le point d'aboutir, les médias de l'oligarchie se sont régalés d'une affaire de fuite et de trahison dans l'entourage du pape. Pas de « découverte » extraordinaire, mais une bien belle opération de déstabilisation médiatique !
Sans doute le pape aurait-il pu éviter tous ces soucis en se contentant de se promener en papamobile et de prononcer des discours à l'eau de rose. Mais aurait-il rempli sa mission ? La réalité, c'est que le pape n'a pas commis « d'erreur de communication » ou de « dérapage » : il a communiqué des vérités qu'il juge éternelles ! Quitte à se faire virtuellement crucifier par ces néo-pharisiens que sont les médiagogues.
Note
[1] Le livre est présenté sur Amazon... mais indisponible! Sans doute dérange-t-il .
Il est toutefois disponible sur le site de l'éditeur, où l'on peut également lire la présentation, une "revue de presse", et une interviewe de l'auteur:
http://www.via-romana.fr/
Les médias ne sont pas un contre-pouvoir. Ils ne sont pas davantage le quatrième pouvoir. Ils sont progressivement devenus le premier pouvoir : celui qui s'exerce sur les esprits. Plus inquiétant, ils semblent même prendre le contrôle des autres pouvoirs, intellectuels, politiques et judiciaires.
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