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Pourquoi je suis chrétien

Teresa a mis en ligne sur son site deux merveilleux textes de celui qui était encore le Père Ratzinger, datant des années 60-70 (15/10/2013)

Source: http://freeforumzone.leonardo.it

Le premier est tiré d'un petit livre paru en anglais sous le titre "What it means to be christian", que l'éditeur présente en ces termes:

Dans la préface originale à What It Means to Be a Christian, écrit à Münster, à Pâques 1965, Joseph Ratzinger écrivait:

Ce petit livre présente sous forme écrite trois sermons que l'auteur a prêchés dans la cathédrale de Münster à une congrégation de l'aumônerie des étudiants catholiques, du 13 au 15 Décembre 1964.
La réponse à mes efforts pour poser une fois de plus la question de ce que signifie être chrétiens pour nous dans le monde d'aujourd'hui et pour répondre à cette question, dans les paroles de ces sermons, m'a encouragé à les publier.
J'ai consciemment évité d'aller au-delà des limites matérielles et linguistiques inhérentes à l'ensemble en raison de son origine et, avec juste quelques modifications , il porte la forme qu'il avait à cette époque.
Mon espoir est que ce que j'ai dit, sous une forme qui ne cède à aucune déclamation littéraire, puisse aider à sa manière vers ce renouveau de la foi et de la proclamation dont nous avons tant besoin dans un monde qui a fondamentalement changé .

Extrait

« Pourquoi avons-nous besoin de la foi? »
(ma traduction de l'anglais... c'est si important que j'espère ne pas avoir trahi sa pensée)
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Etre chrétien, cela veut dire avoir l'amour. C'est incroyablement difficile et, en même temps , incroyablement simple. Pourtant, aussi difficile que ce soit à bien des égards, le découvrir reste une expérience profondément libératrice.
Vous allez toutefois probablement dire: très bien, c'est le message de Jésus , et c'est très beau et réconfortant. Mais qu'en avez vous fait, vous, les théologiens et les prêtres, qu'en a fait l'Eglise?
Si l'amour suffit, qu'avons-nous besoin de votre dogme? Pourquoi avons-nous la foi, qui est toujours en concurrence avec la science?

N'est-ce pas vrai, alors, ce que les savants libéraux ont dit, que le christianisme a été corrompu par le fait qu'au lieu de parler avec le Christ de Dieu le Père et d'être comme des frères les uns envers les autres, les gens ont construit une doctrine du Christ; par le fait que des gens, au lieu de conduire les autres au service réciproque, ont inventé un dogme intolérant; par le fait qu'au lieu d'inciter les gens à aimer, ils ont exigé la croyance, et rendu la condition de chrétien dépendante d'une confession de foi ?
Il ne fait aucun doute qu'il y a quelque chose de terriblement grave dans cette question, et comme toutes les questions vraiment lourdes, elle ne peut pas être traitée comme cela, juste avec une phrase bien tournée .
Dans le même temps , cependant, nous ne pouvons pas manquer le fait qu'elle implique également une simplification. Pour le voir clairement, nous devons seulement appliquer de façon réaliste nos réflexions à nos propres vies.
Etre chrétien, cela signifie avoir l'amour; cela signifie réaliser la révolution copernicienne dans notre existence , par laquelle nous cessons d'être nous-mêmes le centre de l'univers, avec le reste du monde qui tourne autour de nous.
Si nous nous regardons honnêtement et sérieusement, alors il n'y a pas seulement quelque chose de libérateur dans ce message merveilleusement simple. Il y a aussi quelque chose de plus troublant.

Car qui parmi nous peut dire qu'il n'est jamais passé à côté d'une personne qui avait faim ou soif, ou qui avait besoin de nous de quelque façon ? Qui parmi nous peut dire qu'il a vraiment, en toute simplicité, rendu le service d'être aimable avec les autres ?
Qui parmi nous ne doit pas admettre que même dans les actes de bonté qu'il pratique envers les autres, il y a toujours un élément d'égoïsme, quelque chose d'auto-satisfaction et de regard sur nous-mêmes?
Qui parmi nous ne doit pas admettre qu'il vit plus ou moins dans l'illusion pré-copernicienne, regardant les autres, et ne les considérant comme réels que dans leur relation à nous-mêmes ?

Ainsi , le message sublime et libérateur de l'amour, considéré comme contenu unique et suffisant du christianisme, peut aussi devenir quelque chose de très exigeant. C'est à ce moment que la foi commence .

Car ce que la foi signifie essentiellement, c'est juste que ce déficit que nous avons tous dans notre amour, est complété par le surplus de l'amour de Jésus-Christ, agissant en notre nom. Elle nous dit simplement que Dieu lui-même a répandu en nous une surabondance de son amour, et a donc rendu par avance notre déficit bon.
En fin de compte, la foi ne signifie rien d'autre qu'admettre que nous avons ce genre de déficit, elle signifie ouvrir nos mains et accepter un don. Dans sa forme la plus simple et la plus intime, la foi n'est rien d'autre qu'en arriver au point d'amour où nous reconnaissons que nous aussi, nous avons besoin que l'on nous donne quelque chose .
La foi est donc cette étape dans l'amour qui le distingue vraiment comme amour; elle consiste à surmonter la complaisance et l'autosatisfaction de la personne qui dit: «J'ai tout fait, je n'ai pas besoin qu'on m'aide davantage».
Ce n'est que dans une «foi» comme celle-là que l'égoïsme, le vrai contraire de l'amour, prend fin. Dans cette mesure, la foi est déjà présente dans et avec le vrai amour; elle représente simplement cette impulsion dans l'amour qui conduit à trouver son vrai soi-même: l'ouverture de quelqu'un qui n'insiste pas sur ses propres capacités, mais qui est conscient de recevoir quelque chose comme un don et d'en avoir besoin .
Cette foi est naturellement susceptible de développements et interprétations nombreux et variés. Nous avons seulement besoin de prendre conscience que le geste d'ouvrir les mains, d'être capable de recevoir en toute simplicité, geste à travers lequel l'amour atteint d'abord sa pureté intérieure, ne se rattache à rien sauf s'il ya quelqu'un qui peut remplir nos mains avec la grâce du pardon. Et ainsi, une fois de plus tout se terminerait dans le vain gaspillage, dans l'insignifiance, si la réponse à cela, à savoir le Christ, n'existait pas.
Ainsi , le vrai amour passe nécessairement par le geste de foi, et dans ce geste, il y a une demande pour le mystère du Christ, une main tendue vers lui - et ce mystère , quand il se déroule, est un développement nécessaire de ce geste de base: le rejeter, ce serait à rejeter la foi et l'amour.
Et pourtant, à l'inverse, même si cela est vrai - et même si beaucoup de foi christologique et ecclésiale est pour cette raison absolument nécessaire - dans le même temps , il reste vrai aussi que tout ce que nous rencontrons dans le dogme est, en définitive, seulement interprétation : interprétation de l'unique réalité fondamentale vraiment suffisante et décisive de l'amour entre Dieu et les hommes .

Et il reste vrai , par conséquent, que ces gens qui aiment vraiment, qui en tant que tels sont aussi des croyants , peuvent être appelés chrétiens .

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Quant au second texte, Teresa explique sa genèse ainsi:

C'est, dit-elle - ma traduction d'un article paru dans un journal espagnol après que Joseph Ratzinger ait été élu pape , et dont il est dit qu'il a été écrit en allemand en 1971.

Pourquoi je suis catholique (1)
Par le Père Joseph Ratzinger
(même remarque que ci-dessus pour la traduction de l'anglais)
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Nous pouvons penser à l'Eglise catholique en la comparant à la lune, non seulement pour la relation entre lune et femme (comme mère) , mais aussi parce que la lune ne possède pas sa propre lumière. Elle reçoit la lumière du soleil, sans lequel elle serait dans l'obscurité totale .
La lune brille , mais sa lumière n'est pas la sienne. Les sondes lunaires et les astronautes ont vu que la lune n'est rien d'autre qu'un paysage rocheux et désertique. Ils ont vu des rochers et du sable, une réalité bien différente de l'image que nous en avons depuis l'Antiquité. La lune n'est en elle-même rien d'autre que roche et de sable , mais elle reflète la lumière.

N'est-ce pas une image exacte de l'Eglise? Quiconque l'explore et creuse en elle avec une sonde découvrira, comme dans la lune, rien que le désert, le sable et la roche - les faiblesses de l'humanité vues comme de la poussière , des pierres , et des déchets . Mais le fait décisif est que, même si elle n'est rien que du sable et des pierres , elle est aussi Lumière, par la grâce du Seigneur.

Je suis catholique parce que je crois que, maintenant comme par le passé, et indépendamment de nous, le Seigneur se tient derrière l'Église , et nous ne pouvons être près de Lui sans rester dans Son Eglise. J'appartiens à l'Eglise catholique parce que malgré tout, je crois que c'est son Église , et pas « la nôtre ».

C'est l'Église qui, malgré toutes les faiblesses humaines présentes en elle, nous amène à Jésus-Christ. Ce n'est qu'à travers l'Eglise que je peux Le recevoir comme une réalité vivante et puissante, ici et maintenant. Sans l'Eglise, l'image du Christ s'évaporerait, elle s'effriterait, elle disparaîtrait . Et qu'adviendrait-il de l'humanité privée du Christ?

Je suis dans l'Eglise pour les mêmes raisons que je suis un chrétien. Parce qu'on ne peut pas croire isolément. La foi est possible en communion avec d'autres croyants . La foi par sa nature même est une force qui lie. Et cette foi doit être ecclésiale, ou ce n'est pas la foi. Et de même qu'on ne croit pas isolément , mais seulement en communion avec les autres, on ne peut avoir la foi de sa propre initiative ou de sa propre invention.

Je reste dans l'Eglise parce que je crois que la foi, réalisable seulement dans l'Eglise , et non pas contre elle, est une vraie nécessité pour l'être humain et pour le monde .

Je reste dans l'Eglise, car seule la foi de l'Église professe peut sauver l'homme. Le grand idéal de notre génération est une société libre de la tyrannie , de la souffrance et de l'injustice. Dans ce monde , la souffrance ne vient pas seulement des inégalités de richesse matérielle et de pouvoir.
Certains voudraient nous faire croire que nous pouvons réaliser notre humanité sans la maîtrise de soi, sans la patience de l'abandon et l'effort pour surmonter les difficultés; qu'il n'est pas nécessaire de faire des sacrifices pour sauvegarder les compromis que nous acceptons , ou pour supporter avec patience la tension constante entre ce qui devrait être et ce qui est réellement.

En réalité, l'homme ne peut être sauvé que par la Croix et l'acceptation de sa propre souffrance, ainsi que celles du monde, qui trouvent leur résolution dans la Passion du Seigneur. Seulement ainsi l'homme peut devenir libre. Toutes les autres «offres à bon marché» ne peuvent qu'aboutir à un échec .

L'amour n'est pas simplement esthétique et acritique. La seule possibilité de changer l'homme dans un sens positif est de l'aimer vraiment en le transformant graduellement de ce qu'il est à ce qu'il peut être.
C'est ce que peut faire l'Église .

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(1) En faisant une recherche sur le titre, j'ai trouvé qu'il s'agit d'une version abrégée d'un texte plus élaboré publié dans le livre "Joseph Ratzinger, Discours fondateurs. 1960-2004" , Fayard, Paris 2008, pp. 145-166. (cf. Belgicatho)