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Jean XXIII vu par Hans Küng

Hans Küng, qui de 1962 à 1965 prit part au concile comme expert (comme Joseph Ratzinger), est un témoin oculaire du Pape Jean XXIII, mort en 1963 et bientôt canonisé. Un extrait de ses mémoires (8/4/2014)

(Un grand merci à Monique)

Jean XXIII vu par le théologien du concile Hans Küng.
«Un pape qui fut un chrétien» tel est le titre d'un chapitre du livre de Hans Küng: «Mémoires. Mon combat pour la liberté» (Novalis/cerf, 2006, p. 391 à 393).

Contrairement à ses prédécesseurs, Jean XXIII n'a pas cherché à être un grand homme de l'Eglise, un grand orateur, un diplomate, un érudit ou un organisateur, mais plutôt, comme il l'a déjà dit dans son allocution de couronnement, un bon pasteur. Suivant l'exemple du Pierre biblique, il a voulu consoler, fortifier et motiver ses frères et soeurs. Avec le temps, il s'est avéré de plus en plus grand dans le service et s'est ainsi appuyé sur la parole d'un Autre qui a rendu sa grandeur inattaquable: «Celui qui veut être le plus grand parmi vous sera votre serviteur».
Il n'a pas enseigné, mais il a mis en oeuvre par sa vie un nouveau style de papauté. C'est précisément de cette façon qu'il a amorcé un changement de paradigme qui a fait époque pour la papauté: au lieu du primat d'un pouvoir romain absolu, comme ce fut le cas depuis Grégoire VII et Innocent III jusqu'à Pie IX et Pie XII, il a vécu un primat de service pastoral. Une papauté à visage humain et chrétien.[...]
Est-ce que Papa Roncalli est un saint? Sans aucun doute, il paraît non seulement comme un homme bon, mais comme un véritable chrétien.
Son «Journal de l'âme» manifeste, parfois de façon un peu simplette, la sagesse d'un grand coeur. C'est l'imitation du Christ qui lui importe, profondément. Dans toute sa normalité, il veut être «à l'image du bon Jésus» et, en tant que pape, «le serviteur de Dieu et le serviteur des serviteurs de Dieu». Ce n'est pas un homme extraordinaire et encore moins un saint de son vivant: pas de visions de la Vierge ou même du Christ, pas de secret de Fatima ni de comédie pieuse.[...]
Un pape qui n'a pas besoin d'être canonisé, même pas par les historiens des conciles qui passent sous silence ses erreurs de jugement. A quoi bon ce mot «saint», dont on fait un usage abusif, à quoi bon cette «canonisation» romaine, dont on se sert à des fins politiques (et qui procure de grands avantages financiers à la curie)? Un pape qui est chrétien, voilà la sensation!

En lieu et place de miracles, des oeuvres de miséricorde: en effet, qui parmi ses prédécesseurs a jamais, en tant que pape, rendu visite aux pauvres, consolé les malades dans les hôpitaux, visité les prêtres qui avaient fait naufrage? Qui a trouvé le chemin de la grande prison d'Etat de la ville de Rome, avec ses mille deux cents détenus? Et qui a trouvé les mots appropriés, là où même de grands orateurs peuvent facilement se trouver à court de mots? Papa Giovanni a tout simplement raconté à ces détenus et à ces criminels, qui n'ont jamais rêvé d'une telle visite, que depuis ses années d'enfance, les prisons l'ont toujours beaucoup angoissé puisque son propre oncle a été emprisonné pour braconnage.[...]
Mais chaque fois que Papa Giovanni prenait la parole , ses mots, inspirés par l'Evangile, allaient droit au coeur. Depuis toujours il vivait son engagement pastoral à partir de la Bible, telle qu'il l'avait toujours connue, surtout dans son missel et son bréviaire. C'est justement de cette façon qu'il s'est libéré tout tranquillement de certains stéréotypes et clichés romains. Même devenu pape, il lisait toujours les écrits du théologien réformateur italien Antonio Rosmini, qui se trouvaient pourtant à l'index. [...]

Malgré toutes ses faiblesses dans la gestion de la curie, Jean XXIII a créé spontanément et sans aucune pression spirituelle, ni menace ni sanction, seulement par l'humanité clémente et la nature chrétienne toute simple dont il rayonnait, ce grand consensus nouveau dans l'Eglise (consensus ecclesiae) qui lui importait tant et qui s'étendait bien au-delà des frontières de l'Eglise catholique.

     

Tout commentaire est superflu. Chacun peut voir tout seul la parenté entre le pontificat de Jean XXIII et celui de François; et même, il suffirait de changer quelques noms et supprimer un ou deux qualificatifs pour voir le portrait de François tel qu'il est aujourd'hui diffusé par les médias.

Contrairement à ses prédécesseurs, [François] n'a pas cherché à être un grand homme de l'Eglise, un grand orateur, un diplomate, un érudit [ou un organisateur], mais plutôt (..) un bon pasteur...
Il n'a pas enseigné, mais il a mis en oeuvre par sa vie un nouveau style de papauté. C'est précisément de cette façon qu'il a amorcé un changement de paradigme qui a fait époque pour la papauté: au lieu du primat d'un pouvoir romain absolu, comme ce fut le cas depuis Grégoire VII et Innocent III jusqu'à [Jean Paul II et Benoît XVI], il a vécu un primat de service pastoral. Une papauté à visage humain et chrétien.[...]
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Il est par ailleurs amusant de voir le théologien contestataire citer Antonio Rosmini, le même auquel le pape François a fait allusion (mais sans citer son nom) dans l'homélie du 4 avril (cf. Le Pape François mal compris, ou surinterprété), et avec le même argument: son oeuvre avait été mise à l'index... au motif qu'il était réformiste. Rappelons quand même à Küng que le processus de sa béatification avait été initié en 1994, sous Jean Paul II, avec le Nihil obstat de la CDF présidée alors par le cardinal Ratzinger; et c'est Benoît XVI qui en 2006 avait signé le décret reconnaissant ses vertus héroïques, avant de le déclarer bienheureux l'année suivante.

Comme le rappelle aussi Francesco Colafemmina, seules deux oeuvres de Rosmini furent inscrites à l'indes, et il ne fut nullement "persécuté". Tous les Papes ses contemporains appréciaient Rosmini et Pie IX déjà parlait de lui comme d'un saint (voir la notice wikipedia en italien).