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La lettre de Benoît et les nouveaux négationistes

Comme il fallait s'y attendre, Antonio Socci, qui est à l'origine de la lettre de Tornielli à Benoît XVI, répond. Et il ne manque pas d'arguments (28/2/2014).

>>> Cf. La lettre de Benoît XVI à Tornielli (avec le fac-similé)

>>> Tous les articles reliés: "L'affaire" Antonio Socci

Beaucoup de ceux qui ont voulu donner un avis sur cette affaire, n'avaient pas (ou ne voulaient pas avoir) tous les éléments en main.
Car tout a commencé avec un article du journaliste et écrivain italien, "vaticaniste" (lui aussi) de renom, Antonio Socci, publié le 9 février dernier et que j'ai traduit dans ces pages.
Sans cet arrière-plan, le reste est incompréhensible.
C'est Socci qui est à l'origine de la présence de Benoît XVI à la Basilique St Pierre lors du Consistoire, de la calotte qu'il a ôtée devant le Pape (pourtant très indifférent aux formes), de la lettre de Tornielli, et de la réponse de Benoît XVI.
Socci n'a jamais émis la moindre critique contre François, tout au contraire, il est donc inattaquable de ce point de vue.
Mais cela ne l'empêche pas, ayant mis le doigt sur ce qu'il croit être une anomalie, d'essayer de comprendre, de clarifier, de creuser. C'est dans l'ADN du (bon) journaliste. Chercher la vérité, c'est aussi douter.

On peut évidemment penser (comme mon amie Teresa) que Tornielli a lui aussi fait son job de journaliste en s'adressant au Pape émérite, pour les mêmes raisons de clarification.
Mais il saute aux yeux que ce ne sont pas les mêmes raisons, justement, et que les attitudes sont très différentes.
Tornielli est si impliqué dans la défense et l'exaltation - on pourrait presque dire la promotion - du Ponficat de François (chacun de ses articles en témoigne), qu'on ne peut s'empêcher de voir dans sa démarche davantage la mission d'un disciple, ou d'un militant, que l'enquête d'un journaliste.
Les choses auraient été différentes si cette démarche était venue d'un autre journaliste. Y compris Socci lui-même. Il ne l'a pas fait, par respect, ou parce qu'il a respecté le souhait du Pape émérite de vivre retiré du monde.

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Voici donc les dernières explications (et les questions) d'Antonio Socci, le nouveau négationiste!

     

Maintenant, le mystère s'épaissit.

Ratzinger et «La Stampa». Et mes questions sans réponse.
26 février 2014
http://www.antoniosocci.com
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Hier sur «La Stampa» et «Vatican Insider» (le site que ce journal dédie au Vatican) est apparu avec un grand relief ce titre, rapportant des mots attribués à Benoît XVI: «La renonciation est valide. Absurde de spéculer sur ma décision».
Cela résonne comme une réponse spectaculaire aux questions que j'avais posées dans ces colonnes, un an après sa démission historique.

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AUTOGOL (but contre son camp)
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Les collègues de «Vatican Insider-La Stampa», pour bien nous comprendre, sont les mêmes qui ont réagi avec colère au scoop par lequel, le 25 Septembre 2011, je préannonçais la démission du pape Benoît. Certains avaient écrit qu'ils étaient «scandalisés» par mon article.
Ces collègues se sont précipités pour faire les pompiers, interviewant des gens qui disaient que c'était complètement infondé et que mon article était absurde et ridicule.
Nous savons comment les choses ont tourné, et si ce que j'ai écrit était infondé.
Les amis de «La Stampa» auraient pu apprendre de cet épisode datant de 2011, qu'il ne faudrait jamais se contenter des «vérités officielles», sinon il suffirait de publier des communiqués de presse des différents palais.
Les journalistes sont là pour poser des questions, montrer des choses qui ne cadrent pas, enquêter et demander des explications sur les choses obscures ou imprécises.
Au contraire, les amis de «Vatican Insider» se sont empressés de faire les pompiers, demandant à Benoît de nous démentir. Mais le résultat risque d'être à l'opposé de celui recherché.
Depuis hier, en fait, les doutes quant à sa démission se sont amplifiés. Parce que - comme chacun sait - le Vatican ne dément jamais les nombreuses allégations ou les spéculations sans fondement qui apparaissent dans les médias.
Si dans ce cas, le Pape émérite lui-même a accepté d'intervenir (trop d'honneur!), c'est un signe qu'il y a un problème. Et il est énorme. On ne dérange pas un Pape, en effet, pour une broutille.

DOUTES
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Du reste, ce que publie «La Stampa» n'est absolument pas clair.
Tout d'abord, quand on dispose d'un document comme celui-là - la réponse d'un Pape - il est de bonne règle de le publier dans son intégralité, tel quel, avec la reproduction photographique. (ndt: Tornielli a depuis lors reçu le message, cf. La lettre de Benoît XVI à Tornielli )
Au lieu de cela, l'article d'Andrea Tornielli mentionné plus haut ne rapporte que quelques phrases extrapolées (ndt: en réalité la totalité de la très brève et très sèche lettre) et la photo de la signature et de l'en-tête. Sans nous dire quelles étaient les questions, et les réponses complètes.
Deuxièmement, les courts propos entre guillemets attribués au pape émérite démentent quelque chose que je n'avais jamais remis en question. En effet, il affirme que sa décision a été vraiment libre.
Mais cela, il l'avait déjà déclaré solennellement dans l'annonce du 11 février 2013. Que croyaient-ils, à «La Stampa»: que Benoît allait déclarer aujourd'hui qu'il avait menti?
J'ai toujours cru à sa déclaration à l'époque. En effet, dans l'article du 12 février, j'ai écrit: «Il n'est pas permis de douter de ses paroles, donc son geste était libre.»
Mais cela n'explique rien. Ce grand homme de Dieu avait dit avoir pris cette décision «non pas pour mon bien, mais pour le bien de l'Eglise», parce qu'il faut «toujours mettre en premier le bien de l'Église et non soi-même».
Compte tenu de la guerre qui avait été menée contre lui, on peut supposer que - voyant s'épaissir sur l'Eglise certaines menaces (sur l'Eglise, pas sur lui-même) - il a librement décidé de faire un pas en arrière pour éviter des tempêtes sur la barque de Pierre.
Dans ce cas, le choix était clair, toutefois déterminé par des circonstances extérieures qui restent à révéler. D'autre part, c'est le Pape Benoît lui-même - lors de sa messe inaugurale - qui avait demandé: «Priez pour moi afin que je ne fuie pas par peur des loups».
La renonciation n'est pas une fuite devant les loups, car - en effet - en tant que pape émérite, il soutient par la prière le pape régnant, François, dans la lutte. Toutefois, cette phrase retentissante révélait officiellement que le Vicaire du Christ avait à faire avec les loups.
Qui ils étaient, cela n'a jamais été clarifié. Cela se référait également au monde. Cependant, cette «attaque concentrique» avait «des sources extérieures, mais souvent aussi au sein de l'Eglise».
Tornielli lui-même (avec Paolo Rodari) l'a écrit en 2010 dans le livre intitulé «Attacco a Ratzinger», où étaient montrés l'isolement de Benoît et ses nombreux ennemis.
Là, il était révélé qu'immédiatement après le conclave, des cardinaux puissants de la Curie décrétaient déjà que ce pontificat durerait peu («seulement deux ou trois ans») et que «la seule chose que l'on ne pardonne pas à Ratzinger, c'est d'avoir été élu Pape».

D'autre part, samedi dernier, à Saint-Pierre, on a pu voir que Benoît est encore en excellente forme physique, et qu'il est intellectuellement extrêmement lucide.
Donc, les questions sur les véritables raisons de la renonciation se posent à nouveau (du reste, en deux mille ans d'histoire de l'Église, jamais un pape ne s'était retiré pour raison d'âge).

GARDE-ROBE
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L'autre réponse entre guillemets, rapportée par Tornielli, laisse sans voix.
Lorsqu'on lui demande pourquoi il a décidé de rester pape émérite (et pas évêque émérite, ou cardinal), avec l'habit de pape, Benoît aurait répondu textuellement: « Le maintien de l'habit blanc et du nom de Benoît est une chose d'ordre simplement pratique. Au moment du renoncement, il n'y avait pas d'autres vêtements à disposition»
Là, il me semble évident que l'intelligence superfine de Ratzinger ait voulu liquider avec une boutade surréaliste une question si sensible,
qu'actuellement il ne peut ni ne veut expliquer.
Et pourtant, les patrons de «La Stampa» considèrent que c'est une réponse exhaustive. Apparemment, ils croient qu'entre le 11 février (date de l'annonce) et le 28 février (la fin du pontificat), autour du Vatican et dans les magasins et les tailleurs de Borgo Pio, on n'a pas pu trouver une soutane sombre.
Plus encore, il a été confirmé par le cardinal Bertone que la renonciation avait déjà été décidée depuis des mois (comme je l'ai toujours écrit sur ce journal), il faudrait donc croire que pendant toute une année, il n'a pas été possible de trouver, dans le quartier du Vatican, une soutane sombre.
Pour cette raison, Ratzinger aurait décidé - contre l'avis de tous les canonistes (y compris la Civiltà Cattolica) - de rester Sa Sainteté Benoît XVI et de s'habiller de blanc.
Créant une situation unique dans l'histoire de l'Église, par la co-existence de deux papes et parce que cela n'a pas été défini, tant au niveau canonique qu'à celui théologique, le statut de Pape émérite (dans les siècles passés tous les papes qui se sont retirés sont retournés à leur condition d'avant l'élection).
Il me semble que cela se passe de commentaires. Du reste, le fait d'avoir décidé, au cours des dernières semaines, de garder les armoiries de Pape, refusant celles de pape émérite et de cardinal, quel rapport cela a-t-il avec l'habit dans l'armoire?

RÉPONSES MANQUANTES
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Je n'ai pas trouvé dans la page de «La Stampa», la réponse à ma question sur la phrase que Benoît a prononcée le 27 février 2013, pour définir son choix. Parlant de son ministère pétrinien, il a dit: «Le "toujours" est aussi un "pour toujours" - il n'y a plus de retour à la vie privée. Ma décision de renoncer à l'exercice du ministère actif, ne révoque pas cela».
Que signifie cette renonciation à «l'exercice actif», ce «pour toujours» et ce ministère pétrinien «non révoqué»? Il aurait été intéressant qu'un grand théologien comme Benoît éclaire toute cette situation.
Tout comme il aurait été intéressant de lui demander ce qu'il était advenu de si urgent, vendredi soir, pour que François téléphone directement au pape Benoît, lui demandant d'aller le lendemain matin, au Consistoire public à Saint-Pierre.
Il s'est agi d'un fait qui contredisait ce que Benoît avait annoncé («Je serai caché au monde»). Pourquoi cette urgence?

JOURNALISTES
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À cet égard, je dois souligner que - contrairement à d'autres, auxquels Tornielli fait peut-être allusion - personnellement je n'ai jamais opposé les deux papes, soulignant qu'ils apparaissent vraiment comme Moïse priant sur la montagne et Joshua combattant dans la vallée. Ensemble pour sauver l'Eglise dans un moment dramatique comme elle n'en a peut-être jamais vécu en deux mille ans.
Avec Tornielli, que je connais depuis 30 ans, et dont je me considère comme ami, j'ai eu récemment une petite dispute.
J'avais été frappé par le fait que dans deux articles consécutifs, samedi et dimanche, il avait utilisé, pour Benoît, les termes «premier parmi les cardinaux», puis «évêque émérite de Rome», sachant bien que Benoît avait précisément refusé de prendre ces titres et avait opté à la place pour «Pape émérite».
Je lui ai demandé, en plaisantant, pourquoi il avait cru bon de dégrader Benoît, mais il m'a répondu avec colère, et j'ai éludé.
Personnellement, je crois que notre tâche à nous, journalistes, n'est pas de «normaliser» une situation objectivement unique, peut-être en nous improvisant fan d'un pape ou d'un autre (qui n'ont certainement pas besoin de fans).
Notre tâche est d'essayer de comprendre, de poser des questions, de faire émerger la complexité d'une situation. Il se peut que nos questions et notre enquête dérangent, mais il est de notre devoir de chercher la vérité, toujours (et du reste, notre devoir en tant que chrétiens est aussi celui-la).

CALOTTE
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J'ai des raisons de croire, par exemple, qu'on ait fait remarquer au pape Benoît que, parmi les questions posées par moi, il y avait la constatation de l'absence de baiser à l'anneau lors des deux rencontres publiques entre les deux papes.
Il semble que c'est pour cela que Benoît, au Consistoire de samedi, a fait le geste d'ôter sa calotte devant François (jamais fait avant), un geste qui a été énormément amplifié par les vaticanistes (ndt: Tornielli est d'ailleurs le premier a avoir noté ce geste et sa signification sur Vatican Insider).
Toute cette emphase, cependant, me semble hors de propos, car il est évident que François est le pape régnant; Benoît, déjà avant le conclave lui a assuré son respect et son obéissance. Comme nous devons tous le faire en tant que catholiques (personnellement dans ces colonnes j'ai toujours soutenu et défendu le pape François).
Mais les faits sont têtus, ils existent, et ils questionnent: l'accent mis sur la calotte me semble souligner une fois de plus que samedi dernier, il n'y a pas eu le baiser de l'anneau (un aspect qui reste mystérieux et fait réfléchir).
Si, pour la première fois, Benoît devait faire ce geste, nous devrions penser qu'il y a eu de fortes pressions sur lui (et qu'il y en a eu aussi dans le passé).
En tout cas, le mystère s'épaissit.

Antonio Socci