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L'apport du chistianisme à la civilisation

L'un des derniers articles de Mario Palmaro (20/3/2014)

Cet article paru dans le numéro de décembre de la revue catholique "Il Timone" a été écrit par Mario Palmaro en décembre 2013, alors qu'il était sans doute déjà gravement malade.
A part ses articles "polémiques" co-écrits avec son ami Alessandro Gnocchi sur l'orientation du pontificat, c'est sans doute l'un de ses derniers textes.
Il entend illustrer l'apport du christianisme à notre civilisation. La relative briéveté du texte, imposée par le support d'un magazine, limite forcément le propos (j'imagine que des critiques pourraient trouver des arguments pour lui répondre, à plusieurs endroits) mais n'en enlève pas la force.
Le point de départ de sa réflexion est un film de Mel Gibson que j'ai moi-même beaucoup aimé, même si je l'ai regardé avec malaise et douleur, Apocalypto (voir à ce sujet sur mon site: benoit-et-moi.fr/2007).
Et bien sûr, cela me ramène à Benoît XVI

Voici en effet ce que disait Benoît XVI le 13 mai 2007, dans le discours d'ouverture du CELAM à Aparecida (www.vatican.va/):

Mais, qu'a signifié l'acceptation de la foi chrétienne pour les pays de l'Amérique latine et des Caraïbes?
Pour eux, cela a signifié connaître et accueillir le Christ, le Dieu inconnu que leurs ancêtres, sans le savoir, cherchaient dans leurs riches traditions religieuses. Le Christ était le Sauveur auquel ils aspiraient silencieusement. Cela a également signifié qu'ils ont reçu, avec les eaux du Baptême, la vie divine qui a fait d'eux les fils de Dieu par adoption; qu'ils ont reçu, en outre, l'Esprit Saint qui est venu féconder leurs cultures, en les purifiant et en développant les nombreux germes et semences que le Verbe incarné avait déposés en elles, en les orientant ainsi vers les routes de l'Evangile.
En effet, à aucun moment l'annonce de Jésus et de son Evangile ne comporta une aliénation des cultures précolombiennes, ni ne fut une imposition d'une culture étrangère.
Les cultures authentiques ne sont pas fermées sur elles-mêmes ni pétrifiées à un moment déterminé de l'histoire, mais elles sont ouvertes, plus encore, elles cherchent la rencontre avec les autres cultures, elles espèrent atteindre l'universalité dans la rencontre et dans le dialogue avec les autres formes de vie et avec les éléments qui peuvent conduire à une nouvelle synthèse dans laquelle soit toujours respectée la diversité des expressions et de leur réalisation culturelle concrète.

Il s'en était suivi une immédiate levée de bouclier (une de plus) de la part d'associations de militants pour les droits des minorités autochtones, bien cornaquées par la nébuleuse gauchiste mondiale et abondamment relayée par les médias (1), au point que le Saint-Père avait dû s'en expliquer lors de l'audience du 23 mai suivant où il faisait comme d'habitude le bilan du voyage (www.vatican.va):

Le souvenir d'un passé glorieux ne peut bien sûr pas ignorer les ombres qui accompagnèrent l'œuvre d'évangélisation du continent latino-américain: en effet, il n'est pas possible d'oublier les souffrances et les injustices infligées par les colonisateurs aux populations autochtones, souvent foulées au pied dans leurs droits humains fondamentaux. Mais le fait de mentionner, à juste titre, ces crimes injustifiables - des crimes par ailleurs déjà condamnés par des missionnaires comme Bartolomé de Las Casas et par des théologiens comme Francesco da Vitoria de l'Université de Salamanque - ne doit pas empêcher de prendre acte avec gratitude de l'œuvre merveilleuse accomplie par la grâce divine parmi ces populations au cours de ces siècles.

Mario Palmaro articule son argumentation en trois points: l'apport du christianisme à l'ordre juridique, économique et politique. Sur ce dernier point, on pense immanquablement aux deux célèbres discours de Benoît XVI, respectivement devant le Bundestag, le 22 septembre 2011 et devant le Parlement à Londres le 17 septembre 2010.

     

Le christianisme a construit les piliers de notre civilisation: droit, économie et politique
Titre original: Nel campo della civiltà,
Mario Palmaro
Il Timone, décembre 2013
(source, traduction benoit-et-moi)
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Le christianisme est sans aucun doute un facteur de développement et d'abandon d'habitudes aberrantes: il suffit de penser à «Apocalypto», l'un des films les plus originaux de Mel Gibson

Le christianisme a construit les piliers de notre civilisation: le droit, l'économie et la politique. Transformant la brutalité du monde païen en une société imparfaite, mais éclairée par l'idée de bien commun et de dignité de la personne. Toujours ad maiorem Dei gloriam
Que serait le monde dans lequel nous vivons sans le christianisme? Une chose est certaine: il serait complètement différent.
Probablement, pour en avoir une idée, il faut retourner avec la mémoire à l'un des films les plus originaux de Mel Gibson, Apocalypto. Le film commence par une phrase éloquente: «Une grande civilisation n'est conquise de l'extérieur que lorsqu'elle est détruite de l'intérieur».
L'histoire se déroule dans le Yucatán. Nous sommes au XVe siècle, et les Mayas sévissent dans la région, enlevant hommes et femmes pour en faire des esclaves destinés à des sacrifices humains au dieu Kukulkan. Un horrible massacre, que Gibson décrit dans tous ses aspects effroyables. Le protagoniste, l'Indien Patte de Jaguar parvient à s'échapper de la pyramide des sacrifices humains, avec sa femme et ses enfants. Les Mayas le poursuivent et sont sur le point de le rattrapper, quand l'inattendu se produit: en mer sont mouillés d'énormes navires espagnoles, avec les bannières qui flottent au vent, montrant le signe de la Croix. Le christianisme vient en Amérique, entraînant la fin de la «civilisation» des sacrifices humains et de l'horreur sanguinaire.

1) LE MONDE JURIDIQUE ET LE NAZARÉEN
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Le christianisme est indubitablement un facteur de développement et d'affranchissement de coutumes et d'habitudes aberrantes. Il suffit de penser au domaine du droit. On doit admettre que la civilisation juridique a des origines anciennes, parce qu'il n'y a pas de société sans système juridique. 1800 années avant Jésus-Christ, càd il y a près de 4000 ans Hammurabi monta sur le trône de Babylone, et édigea son fameux code «pour faire resplendir la justice dans le pays, pour détruire le mal et l'iniquité, pour faire en sorte que le fort n'opprime pas le faible».
La plus grande civilisation juridique de tous les temps fut comme on le sait, la civilisation romaine qui construisit lentement - avec le réalisme typique de la Rome antique - un merveilleux système de règles, dont les architectures sont toujours un point de référence pour tous les systèmes d'occident. Toutefois, le droit sans le Christ est un système rigide, enclin à la cruauté, qui ne connaît pas la miséricorde, et le pardon. L'Evangile ne nie pas la nécessité de garantir la justice - il en fait l'un des béatitudes - mais nous raconte des paraboles où le maître remet des dettes à ses serviteurs, et nous décrit le Fils de Dieu qui emmène le bon larron avec lui au Paradis (lequel par ailleurs qu'il «subit justement» le terrible supplice de la croix). Les systèmes juridiques sans le christianisme ne connaissent pas la primauté de la personne, sa dignité intrinsèque. Certaines institutions - comme par exemple l'esclavage - même s'ils n'ont pas été tout de suite agressés par l'avènement du christianisme, ont finalement disparu en vertu des paroles de l'Evangile et l'enseignement de l'Eglise. L'Eglise elle-même a eu le rôle de pionnier en sauvant le droit romain de la destruction de l'empire par, en innervant ce droit païen d'influence chrétienne, en créant son propre admirable système juridique - le droit canon - et en garantissant la plus importante collection de lois et derèglements, bien avant la naissance du système moderne de codification. En outre, le christianisme est à la base des premières règles de protection de l'accusé dans un procès pénal. Ce sera l'inquisition qui introduira des principes de protection du suspect, dans une époque historique où le caractère sommaire des procès était une constante. En 1631, le jésuite allemand Friedrich von Spee publie la «Cautio criminalis seu de processibus contra sagas», texte fondamental dans lequel - partant de la reconnaissance de la gravité aussi sociale des crimes de sorcelleri - est introduit le principe de «n dubio pro reo», la nécessité d'écouter des témoins à décharge et de garantir un avocat, la responsabilité des juges iniques, la possibilité d'abolir la torture, instriment inadapté pour découvrir la vérité de l'affaire, ou tout au moins de la limiter (2).


2) ÉCONOMIE
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La comparaison entre les pays de tradition chrétienne et les pays étrangers à l'avènement du Christ est tout simplement impressionnant. En général, les premiers sont constitués de nations à l'économie florissantes (...); les seconds stagnent ou même semblent arrêtés à des âges archaïques. Et pourtant, parfois, ces pays peuvent se vanter de civilisations qui sont nées et se sont développées dans des temps bien antérieures à la civilisation européenne. Qu'est-ce que tout cela signifie? Évidemment, l'Evangile n'empêche pas, par principe, le développement humain, ne condamne pas la construction d'un système économique, ne juge pas négativement la propriété privée et l'acquisition d'un certain bien-être. Mais tout cela à une seule condition: que tout soit ramené au Christ-Roi, à sa primauté, à son gouvernement. Ici, il est nécessaire d'éviter un aplatissement du christianisme sur le modèle économique bourgeois et libéral: au contraire, celui-ci présente beaucoup de points moralement problématiques. Disons plutôt, que, pour Jésus-Christ, commercer et faire fructifier ses talents est un devoir; et ce principe éclaire également la sphère économique, rendant efficaces et proactifs les hommes d'une civitas ristiana. Ce fut, par exemple, l'expérience du Moyen Age, où les artisans et les nobles, les clercs et les chevaliers coexistent dans un système harmonieux soutenu par la tradition et le développement.


3) POLITIQUE
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Grâce à la figure providentielle de Constantin, le christianisme est devenu un phénomène essentiel pour la redéfinition de l'Empire romain, et la construction des modèles politiques futurs. L'idée du bien et du droit naturel commun, corroborés par la Révélation, sont à la base des systèmes politiques chrétiens. Des systèmes qui sont bien représentés par les célèbres paroles de Jésus, quand on lui a demandé s'il était juste de payer des impôts à Rome: «Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu». Cette formule est très dense, et il est nécessaire de la soustraire à sa banalisation typique de l'époque contemporaine. Elle dit certainement la nécessité de ne pas confondre et de ne aps superposer l'Église avec l'État, l'empereur avec le pape. Mais elle ne s'arrête pas là, comme le voudrait la pensée libérale et laïque contemporaine. Tout d'abord, Notre Seigneur ordonne de donner à Dieu ce qui lui appartient, et ce devoir incombe principalement à chaque souverain, qu'il soit un roi ou un parlement. De cette manière, la foi se taille un rôle public indéniable, et se propose comme guide de l'État pour reconnaître la vérité et le bien. L'histoire montre que, sans cette boussole, les Etats glissent toujours dans le relativisme le plus inhumain. D'autre part, Jésus rappelle au chrétien que son devoir est d'être un loyal sujet des pouvoirs en place, à condition que l'autorité ne soit pas inique et respecte l'Église et le bien commun avec ses lois et ses décrets.
Cette admirable leçon de christianisme fut à la base de siècles de systèmes politiques, même si aujourd'hui le monde - à cet égard - a objectivement pris un chemin complètement différent.

     

Notes de traduction

(1) Voici une dépêche de l'AFP, reproduite à l'époque par LA CROIX.

" Les peuples indigènes d'Amérique latine indignés par les propos du pape
L'Organisation nationale indigène de Colombie (ONIC) a exprimé lundi l'émoi des Indiens d'Amérique après les propos du pape Benoît XVI selon lequel le catholicisme n'avait pas été imposé sur le nouveau continent.
"Nier que l'imposition de la religion catholique a été utilisé comme un mécanisme de domination sur les peuples indigènes, c'est vouloir occulter l'histoire", a déclaré à l'AFP Luis Evelis Andrade, directeur de l'ONIC.
"En tant que peuples indigènes, si nous sommes bien croyants, nous ne pouvons accepter que l'Eglise nie sa responsabilité dans l'anéantissement de notre identité et notre culture", a-t-il ajouté.
Après une visite de cinq jours au Brésil et peu avant son retour à Rome dimanche, le pape avait nié la responsabilité de l'Eglise dans la destruction des civilisations précolombiennes.
Les propos de Benoît XVI ont tranché avec la position de son prédécesseur Jean-Paul II qui s'était excusé auprès des peuples indigènes pour la participation des chrétiens dans la conquête de l'Amérique."

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(2) Rappelons qu'en France, c'est Louis XVI, le Roi qui plus que tous les autres mérite le qualificatif de "Roi très chrétien" qui a aboli la torture en abolissant successivement la "question préparatoire" en 1780, puis la "question préalable" en 1788