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Le maître de JM Bergoglio soutient Kasper

Andrea Tornielli résume un article publié sur la Civiltà Cattolica, du Père Scannone un jésuite argentin ami du Pape et qui fut professeur du jeune JM Bergoglio lors de son noviciat (6/6/2014)

     

Andrea Tornielli a eu accès par anticipation à un article de la Civiltà Cattolica, la revue jésuite à laquelle le pape François a accordée une longue interviewe programmatique en septembre 2013.
Né en 1931, le Père jésuite Scannone "plus grand théologien argentin vivant" collabore à la Civiltà Cattolica depuis l'élection de son "élève".
Il a été professeur de grec et de littérature du jeune Bergoglio, quand celui-ci était novice. Elève de Karl Rahner, c'est un représentant de ce courant de pensée très lié au contexte argentin, appelé "théologie du peuple" et considérée comme une des déclinaisons de la Théologie de la libération" (dixit encore Tornielli).

Le fait que l'auteur de l'article soit Andrea Tornielli n'est pas insignifiant. En effet, ce dernier est de moins en moins témoin passif, mais de plus en plus protagoniste actif du Pontificat, et l'on peut supposer que ce qu'il écrit ici a reçu l'aval du Pape, et est destiné à alimenter le débat en prévision du Synode sur la famille, voire à préparer l'opinion publique.
En dehors de l'hommage appuyé à Kasper, le message transmis par le Père Scannone, malgré une expression absconse et souvent confuse (tout le monde n'a pas le don de la fluidité du langage...), est assez clair; même s'ils ne sont pas explicitement cités, il s'adresse aux Pères synodaux, en vue du prochain synode sur la famille, et pourrait se résumer en un slogan: ne cédez pas à la peur, ne vous repliez pas sur vous-mêmes, soyez ouverts à la nouveauté.

     

«LA CIVILTÀ CATTOLICA» SOUTIENT LA «THÉOLOGIE À GENOUX» DE KASPER
Le théologien Scannone, sans les citer, semble se référer à quelques réactions négatives à la relation du cardinal allemand surla famille.
vaticaninsider.lastampa.it
Andrea Tornielli
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C'est un mini-essai très érudit et scientifiquement équipé que le Père Juan Carlos Scannone - le jésuite argentin qui fut professeur de Bergoglio - publie dans le numéro de «La Civiltà Cattolica» qui sera distribué samedi. Un article dans lequel, à partir de l'éloge fait par le Pape François à la relation du cardinal Walter Kasper au consistoire de Février, Scannone explique l'importance non seulement de «ce» qui se dit, mais aussi du «comment» on le dit, puisque ce «comment» fait partie du contenu, ce n'est pas une simple circonstance accidentelle extrinsèque.

Le point de départ est l'éloge que François a adressé à Kasper. En effet, le Pape a parlé de «théologie à genoux», remerciant publiquement le cardinal devant le consistoire, après que la relation sur la famille, dans laquelle se trouvait également un chapitre sur les sacrements aux divorcés remariés, eût suscité diverses réactions contraires. Le Père Scannone rappelle également le discours de Bergoglio, le 10 Avril, aux professeurs et aux étudiants de plusieurs universités pontificales, quand il a parlé d'une philosophie et d'une théologie faite «avec un esprit ouvert et à genoux», se référant à «l'attitude existentielle» qui doit les accompagner pour qu'elles soient fécondes. A cette occasion, François ajoutait: «Le théologien qui se complaît dans sa pensée complète et conclue est un médiocre. Le bon théologien, le bon philosophe a un esprit ouvert, c'est-à-dire incomplet, toujours ouvert au maius de Dieu et de la vérité, toujours en développement» (w2.vatican.va).

A l'opposé, observe Scannone, nous trouvons «une pensée unique, qui n'est ouverte, en utilisant l'analogie du langage, ni à la transcendance, ni à la nouveauté historique, ni à l'altérité irréductible des autres». Une fermeture qui est «souvent causée par la peur de ces nouveautés, ces altérités, et même de sa propre liberté et de l'imprévisibilité du Dieu toujours plus grand».

Le théologien jésuite, parlant de l'importance d'un langage adéquat pour «la proclamation et l'acceptation de l'Evangile», cite les mots du Pape dans l'exhortation «Evangelii gaudium»: «Parfois, en écoutant un langage complètement orthodoxe, celui que les fidèles reçoivent, à cause du langage qu’ils utilisent et comprennent, c’est quelque chose qui ne correspond pas au véritable Évangile de Jésus Christ» (w2.vatican.va).

Le Père Scannone, après avoir observé que «dans toutes les circonstances, le Pape François parle avec simplicité (ndt: ce qui n'est à l'évidence pas le cas du père jésuite), mais sans pour autant cesser d'être profond», il analyse et approfondit l'éloge adressé au cardinal Kasper et ce qu'il appelle «le caractère serein de sa théologie».

Et il met en garde contre ce qu'il appelle la «peur de la nouveauté inattendue ou du futur inconnu, qui sont toujours un défi et peuvent retourner le plan de notre (apparente) sécurité. Le proverbe dit que la peur est le pire des conseillers: elle ne l'est pas seulement dans les décisions pratiques, mais aussi dans les affirmations théoriques (quand elles supposent le moment pratique d'option herméneutique pour une interprétation particulière ou la compréhension de l'élément humain, historique, moral, social, politique, culturel, religieux); et elle l'est surtout quand il s'agit de la peur de la liberté (soit la sienne propre, soit celle de l'Esprit Saint)».

Le risque est que «la crainte d'une nouveauté imprévue - propre à l'action de Dieu comme mystère insondable et libre -, du risque de la liberté et de l'irréductible altérité de toute autre personne, image de Dieu» se reflète «en une pensée et un langage univoques, c'est à dire non ouverts à la transcendance de Dieu, de l'imprévisible et des autres, peut-être par crainte de perdre la sécurité. En matière de morale, la personne a tendance à se replier dans une pure casuistique anhistorique et abstraite, qui fait abstraction des contextes réels et personnels, les formalise en de simples applications syllogistiques, les réduisant ainsi à de simples "cas" d'une règle générale».

«D'où l'importance - poursuit le théologien jésuite - de ce que Bernard Lonergan appelait "conversion affective" (conversion d'une affection désordonnée à la sérénité de laisser être la vérité elle-même). Pour ce spécialiste de la méthode, elle est également nécessaire pour la méthodologie des sciences, en premier lieu pour la théologie. Combien plus alors dans les décisions de la vie courante, en particulier dans la cohabitation avec les autres, à la fois dans les relations personnelles, et dans les "macro-relations", à travers la médiation des institutions et des structures, parce que, comme Benoît XVI l'enseigne (cf. Caritas in veritate, §2), la charité doit informer les deux» [types de relation?] www.vatican.va/holy_father/benedict_xvi)

Enfin, l'article de «La Civiltà Cattolica», s'inspirant du théologien Hans Urs von Balthasar, distingue clairement «la peur négative» dont il a été question à propos de «l'herméneutique de la peur», de la «fonction essentielle (bien que ce ne soit pas la plus essentielle) qui dans l'Eglise a la crainte d'être infidèle à la tradition».

Von Balthasar dit que tous les chrétiens «partagent le principe marial, puisque Marie est mère, image et prototype de toute l'Église et de chacun de nous dans l'Eglise et comme Eglise». Ainsi, même ceux qui en elle ont le charisme, et exercent la tâche de préserver la tradition «ne cessent de participer avant tout au principe marial et son état d'âme correspondant d'amour désintéressé pour tous et pour les autres, et de miséricorde maternelle envers ceux qui souffrent». Et leur «crainte fondée d'être infidèles à la tradition - conclut le Père Scannone - n'est jamais la peur de la liberté - mauvaise conseillère - mais fait partie de l'approche communautaire du peuple de Dieu à la vérité dans la charité, et donc saura également reconnaître opportunément la voix qui dit à l'Eglise ce que Gabriel a dit à la Vierge Marie: "N'aie pas peur, Marie" »

L'approfondissement du Père Scannone n'entre pas dans le débat en cours sur le prochain Synode sur la famille. Mais il est évident que - au-delà du mérite des différentes positions sur la question des sacrements aux divorcés remariés - ce qui est mis en discussion c'est une façon d'aborder ces thématiques et d'en parler qui «tend à se replier dans une pure casuistique anhistorique et abstraite» et qui fait abstractin «des contextes réels» de la vie des personnes.