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Le théologien du Pape

Kasper, bien sûr (4/6/2014)

     

Un lecteur attire mon attention sur cet article sur le cardinal Kasper publié sur le site très progressiste National Catholic Reporter (et qui a été traduit ici)
J'ai donc relu le texte original en anglais et fait quelques modifications à ladite traduction selon mon goût: elles ne changent pas le sens - sauf une, concernant la citation de Kasper sur Vatican II:

La traduction donnait «le Concile Vatican II a modifé l'enseignement traditionnel sur la liberté religieuse et le dialogue oecuménique», mais c'était plutôt «le Concile Vatican II a inversé l'enseignement traditionnel sur la liberté religieuse et le dialogue oecuménique» (“the Second Vatican Council reversed long-standing teachings against religious freedom and dialogue with other believers.”): ce qui change pas mal la perspective, car "car la liberté religieuse et le dialogue inter-religieux sont sans doute les deux sujets qui ont posé le plus de problèmes dans la réception de Vatican II".

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Voir aussi:
¤ L'interviewe de Kasper au magazine américain Commonweal: Miséricorde partout
¤ L'article de Ross Douthat cité ci-dessous: Le coup de fil du Pape

     

Le cardinal Kasper est le théologien du Pape

David Gibson
3 juin 2014
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A entendre le cardinal Walter Kasper, il est devenu l'homme-clé du pape pour la réforme de l'Eglise catholique grâce à un heureux hasard, ou si l'on préfére, grâce à la Providence, avant que quiconque ne sache que François allait être le prochain pape.
La genèse de leur partenariat, a rappelé Kasper lors d'un récent voyage à New York, a été une rencontre providentielle qui a eu lieu quelques jours avant le dernier conclave, alors que les électeurs du collège des cardinaux logeaient dans la maison d'hôtes du Vatican.
La chambre de Kasper se trouvait juste en face de celle du cardinal Jorge Mario Bergoglio. Théologien allemand de renom qui venait d'avoir 80 ans, Kasper avait récemment reçu la traduction en espagnol de son dernier livre, «La miséricorde : essence de l'Evangile et clé de la vie chrétienne». Il avait apporté quelques exemplaires avec lui et en donna un à Bergoglio.
«Ah! La miséricorde», s'écria le cardinal argentin en voyant le titre, «c'est le nom de notre Dieu!»

Les deux hommes se connaissaient déjà un peu - Kasper avait été à Buenos Aires à plusieurs reprises pour des affaires ecclésiastiques - mais il s'avère que la réaction de Bergoglio n'était pas juste un de ces compliments formels que l'on adresse à une connaissance lors d'une rencontre littéraire. La miséricorde avait longtemps été un principe directeur du ministère de Bergoglio, et il a dévoré, la vaste étude de Kasper durant les jours qui ont précédé le vote du conclave.
Puis, dans la soirée du 13 mars, c'est Bergoglio qui est apparu sur le balcon de la basilique Saint-Pierre en tant que pape François. Quatre jours plus tard, le nouveau pape s'est adressé à une foule immense Place St Pierre - et alors qu'un Kasper, surpris, le regardait à la télévision, il a entendu François le louer comme un «théologien de valeur» (teologo in gamba) et faire la publicité de son étude: «Ce livre m'a fait beaucoup de bien», a dit François (w2.vatican.va).
«Mais ne pensez pas que je fais de la publicité pour les livres de mes cardinaux!» a très vite ajouté le nouveau pontife.
Trop tard. Les éditions ultérieures du livre de Kasper ont été favorisées par l'éloge de François, et depuis, Kasper s'est retrouvé doté d'une influence qui, il y a peu de temps, aurait été aussi inimaginable que les types de réformes promues par François.

« UN PAPE RADICAL »
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Kasper avait longtemps été à part, dans la structure du pouvoir romain. Quand il était évêque en Allemagne dans les années 1990, Kasper s'était efforcé de persuader le pape Jean-Paul II de trouver un moyen de permettre l'accès à la communion aux catholiques divorcés remariés. Mais il avait été contrecarré par les conservateurs romains, dirigés par un autre théologien allemand, le cardinal Joseph Ratzinger, de longue date tsar doctrinal de Jean-Paul.
Toutefois, Kasper avit continué à pousser aux réformes, ferraillant souvent avec Ratzinger dans les pages de revues catholiques. Malgré tout, Jean-Paul II avait nommé Kasper cardinal en 2001 et plus tard lui avait confié le dicastère pour les relations avec les autres Eglises.
Le poste s'est avéré une sorte d'étape dans l'itinéraire de Kasper, et quand Jean-Paul II est mort en 2005, on évoqua Kasper comme le dernier grand espoir pour un virage progressiste dans l'Eglise : «Kasper le pape sympa», ironisèrent certains.
A la place, ce fut Ratzinger, le rival de longue date de Kasper, qui émergea de la Chapelle Sixtine en tant que pape Benoît XVI, pour apparemment bétonner le virage de l'Eglise vers le conservatisme. Kasper prit alors sa retraite et se mit à écrire des livres sur des sujets tels que la miséricorde.
Après la démission de Benoît, Kasper faillit ne pas participer au conclave : les cardinaux de plus de 80 ans perdent leur qualité d'électeur, et le 80e anniversaire de Kasper était le 5 mars - un jour avant que les cardinaux commencent à délibérer; 24 heures plus tard, il n'aurait pas été électeur.
Dix jours plus tard, François était élu.
Clairement, François partage avec Kasper une passion pour la miséricorde; mais il s'appuie aussi sur Kasper non seulement pour apporter un fondement théologique à ses idées, mais aussi pour promouvoir son renouvellement du catholicisme.
«Ce pape n'est pas un pape libéral. C'est un pape radical!» a déclaré Kasper lors d'une conférence à l'église de Saint-Paul l'Apôtre dans l'Upper West Side de Manhattan, pendant un séjour d'une semaine aux Etats-Unis. «Ce pape retourne à l'Evangile».

SUJETS CONTROVERSÉS
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Après que François eût publiquement fait l'éloge du travail de Kasper, un cardinal âgé de Rome s'est approché du pape et a insisté : «Saint-Père, vous ne devriez pas recommander ce livre. Il contient de nombreuses hérésies». Le pape souriait en racontant l'histoire à Kasper, puis il l'a rassuré en lui disant : «Cela entre par une oreille et ressort par l'autre».
Une preuve supplémentaire de la confiance de François en Kasper est venue en février quand le pape lui a demandé de prononcer une longue intervention lors d'une réunion de tous les cardinaux rassemblés pour discuter de la modernisation de l'Eglise autour de plusieurs sujets brûlants.
La rencontre, ou Consistoire, était la première d'une série de discussions que François avait prévu de relancer sur des sujets controversés - l'un d'eux étant l'accès des divorcés remariés à la communion. Ce n'est pas le sujet le plus sexy qui soit mais il est au centre d'une grave crise pastorale, étant donné que beaucoup de catholiques se sont remariés sans avoir obtenu d'annulation et ne peuvent s'approcher de la Sainte Table. «Même un meurtrier peut se confesser et communier» comme Kasper se plaît à dire.
«J'ai dit au pape, "Saint-Père, mon intervention suscitera une controverse"», a dit Kasper. Le pape s'est mis à rire et lui a répondu : «C'est bien,c'est ça qu'il nous faut!»
Effectivement, les critiques féroces n'ont pas manqué.
«Un tel changement ne provoquerait pas seulement la grogne des conservateurs, elle entraînerait une menace de schisme pure et simple», a averti Ross Douthat du New-York Times. Phil Lawler, rédacteur en chef de Catholic World News, a convenu qu'un tel changement était inadmissible: «La proposition Kasper, dans sa forme actuelle, est inapplicable», écrit-il.
A dire vrai, Kasper lui-même n'a pas exactement calmé le jeu lors de ses dernières interventions sur les campus catholiques américains et à l'occasion de ses entretiens avec les médias.
S'adressant au magazine catholique libéral Commonweal, Kasper a déclaré que le pape lui-même «estimait que 50 % des mariages ne sont pas valides» - une affirmation qui a laissé de nombreux conservateurs atterrés. «Je suis stupéfait de l'insouciance pastorale d'une telle assertion. Simplement abasourdi », a écrit l'avocat canoniste et blogueur populaire Edward Peters.
Lors d'une conférence publique à l'Université de Fordham à New York, Kasper a également irrité les conservateurs, et ravi les progressistes quand il égratigné le préfet de la Congrégation de la doctrine de la foi, le cardinal Gerhard Müller, qui venait d'adresser une critique cinglante aux leaders de la plupart des congrégations religieuses féminines américaines (LCWR). Kasper a exprimé son «estime» pour Müller et a déclaré que son office (dicastère) avait tendance à avoir une vision «étroite» et devait être plus ouvert au dialogue et au changement. Cela, aussi, a déclenché une nouvelle série de plaintes.

RISQUER LE CHANGEMENT
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Malgré les oppositions, les collègues de Kasper le décrivent comme rajeuni par la réforme lancée par François.
«Je ne sais pas si mes propositions seront jugées acceptables», a déclaré le cardinal avec un haussement d'épaules. «Je les ai faites en accord avec le pape, ce n'est pas moi tout seul qui ai pris cette initiative. J'ai parlé au préalable avec le pape, et il a été d'accord »
Les idées de Kasper sont controversées non pas tant pour leur contenu, que parce qu'elles sont au coeur de la question : l'Eglise peut-elle changer et comment ?
«Le changement est toujours un risque - a dit Kasper - mais ne pas changer est aussi un risque. Même un plus grand risque, je pense».
Kasper s'est dit confiant que le débat initié par Francis sur le thème de la famille et de la sexualité entraînerait des réformes importantes, en partie «parce qu'il y a des attentes très élevées».
Il a noté que l'Eglise a souvent changé, ou s'est «développée», au cours des siècles, et tout récemment dans les années 1960 lorsque, par exemple, le Concile Vatican II a inversé l'enseignement traditionnel sur la liberté religieuse et le dialogue oecuménique.
Kasper réaffirme qu'il ne plaide pas pour un changement du dogme de l'Eglise sur la sainteté du mariage, mais un changement de la «pratique pastorale» concernant ceux qui peuvent recevoir la communion. «Dire que nous n'admettrons pas les divorcés remariés à la sainte communion? Ce n'est pas un dogme, c'est l'application d'un dogme dans le cadre d'une pratique pastorale concrète. Ceci peut être changé».
Kasper a dit que c'est la voix des fidèles qui a fait la différence. «Le soutien le plus fort vient du peuple, et vous ne pouvez pas perdre cela de vue».
«S'il y a un abîme entre ce que les gens font et ce que l'Eglise enseigne, cela ne sert pas la crédibilité de l'Eglise», a-t-il dit. «Il faut que cela change».