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Relations juifs-chrétiens: pas simple!

Le rabbin di Segni recevait la presse étrangère à Rome à l'occasion de l'imminent voyage du Pape François en Terre Sainte. Le compte-rendu de Giuseppe Rusconi, sur son blog Rossa Porpora (22/5/2014).

Le grand rabbin de Rome a rarement perdu une occasion de confier à droite et à gauche, pendant huit ans, tout le mal qu'il pensait de Benoît XVI (et ses propos étaient bien sûr pieusement recueillis par les médias).
On en trouvera de nombreuses traces dans ces pages: http://tinyurl.com/pd46vd6
Il semble que François, lui non plus, ne trouve pas totalement grâce à ses yeux... Disons qu'il est en période de probation.

     

VISITE DU PAPE EN TERRE SAINTE: LES PAROLES FRANCHES DU RABBIN DI SEGNI
GIUSEPPE Rusconi
www.rossoporpora.org (ma traduction)
21 mai 2014


La visite du pape en Terre Sainte se présente sous de bons auspices du point de vue religieux, mais du point de vue politique, cela reste un défi semé d'embûches
Les évaluations que le grand rabbin de Rome, Riccardo Di Segni a exprimées cet après-midi au cours de la rencontre avec la presse étrangère le confirment - Les fleurs à la tombe de Theodor Herzl, les éloges - mais aussi les «oreilles tirées» (!!!) à François - L'amertume persistante pour la visite de Paul VI.


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Ce sera une visite qui, sur le plan du dialogue interreligieux et interconfessionnel se présente sous des auspices très positifs: pensons par exemple à l'accolade œcuménique entre François et le patriarche orthodoxe Bartholomée, ou même au fait qu'un rabbin et un iman accompagneront le successeur de Pierre dans son pélerinage. Sur le plan politique, cependant, les épines demeurent, il n'est pas sûr que le bilan final sera au moins satisfaisant. Cela a été confirmé lors de la rencontre de cet après-midi entre le grand rabbin de Rome, Riccardo di Segni (accompagné par le président de la Communauté Riccardo Pacifici) et la presse étrangère. Di Segni est connu pour son calme, pour l' humour qu'il sait distiller avec mesure et aussi pour son franc-parler. Des vertues encore réitérées à l'occasion, très importantes car déployées trois jours avant le début de la visite apostolique de François en Terre Sainte.
Voici un aperçu éclairant des thèmes abordés, propre à susciter différentes réflexions chez le lecteur.

¤ Terre Sainte.
En introduction, Riccardo di Segni a souligné que la notion de «Terre Sainte» a été beaucoup élargie au fil du temps, «même jusqu'à l'Euphrate». En réalité, la vraie Terre Sainte est beaucoup plus limitée. Et aussi le nom par lequel elle est citée, signifie étymologiquement «terre de Celui qui est saint», ce qui introduit une différence non négligeable par rapport à l'acceptation courante.

¤ Visites de Paul VI et Jean-Paul II.
Il y a eu trois voyages pontificaux qui se sont concrétisés jusqu'ici. La grande différence a été entre le premier, celui de Paul VI en 1964 et le second, celui de Jean-Paul II en 2000. Quand le Pape Montini est allé à Jérusalem, la ville était encore divisée et le Pape «n'a même pas appelé le président d'Israël». Ici, Di Segni a noté: «Ce fut une visite marquée par l'absence de respect». Avec Jean-Paul II, en revanche, il y a eu «un tournant significatif», caractérisé entre autres par l'insertion d'un texte - «un texte important» dans le Mur des Lamentations et la visite à Yad Vashem, le mémorial de l'Holocauste (ndt: le rabbin est atteint d'une forme aigüe d'amnésie... il ne se souvient plus du nom du Pape entre Paul VI et JP II)

¤ Des fleurs au Mont Herzl.
En réponse à notre question, le grand rabbin de Rome a souligné l'importance du dépôt d'une couronne de fleurs - par le Pape - à la tombe de Theodor Herzl, co-fondateur du mouvement sioniste. C'est une première absolue. Riccardo Di Segni a rappelé ici le refus que Saint-Pie X a opposé à la demande de soutien de la part de Herzl: «Non possumus - aurait dit le pape, selon les mémoires de Herzl - parce que les Juifs n'ont pas reconnu Jésus, et alors nous, nous ne pouvons pas reconnaître votre état. Même si vous réussissez dans votre entreprise, nous le remplirons d'églises et de prêtres». Pour le grand rabbin, «110 ans après ce refus, l'Eglise catholique reconnaît maintenant l'Etat d'Israël».

¤ Louanges et «oreilles tirées» pour le pape François.
Chaque pape «a son propre style, son histoire, son caractère», a noté le grand rabbin. Jorge Mario Bergoglio «abbat les formalités, conserve une ancienne relation avec des rabbins d'Argentine, a une vision théologique un peu différente de celle de son prédécesseur» (Note de Giuseppe Rusconi: à cet égard, Di Segni a cité une position apparemment différente par rapport à la question du salut: ne peut-il être réalisé qu'avec le Christ? Ou aussi par d'autres voies?). Louanges, oui, mais aussi une préoccupation, «une perplexité, une protestation manifestée dans la presse juive» au sujet de sa façon de communiquer. Dans certains homélies matinales à Santa Marta, a noté Di Segni, le pape a sévèrement critiqué les pharisiens: «Cela peut prêter à des simplifications. Et, si on ne fait pas la distinction, certains mots ont l'effet médiatique de mettre le peuple juif sous une lumière déplaisante». En bref, le grand rabbin a transmis ses préoccupations au pape, qui l'a appelé: «Nous avons échangé nos points de vue, il a montré une grande capacité d'écoute. Pour la suite, nous verrons. »

¤ Cénacle et alentours.
«Jérusalem - a souligné Riccardo Di Segni - est faite d'endroits controversés, chaque centimètre a des milliers d'années d'histoire et est âprement disputée par diverses confessions et religions... Voyez ce qui se passe entre les chrétiens à l'intérieur du Saint-Sépulcre. Pour la salle qui est censé être celle du Cénacle, au deuxième étage d'un édifice dont le premier abrite le "Tombeau de David", la question est très complexe: difficile d'imaginer qu'un accord sera atteint sur la souveraineté du lieu.

¤ Dialogue en Europe, dialogue au Moyen-Orient.
Le grand rabbin a ensuite noté qu'en Europe occidentale, nous sommes désormais habitués à un dialogue régulier, correct entre catholiques et juifs. Dans d'autres parties du monde, en revanche, la nouveauté n'a pas encore été absorbée dans l'habitude quotidienne. Par exemple, au Moyen-Orient, où la différence religieuse est encore souvent connotée comme "opposition radicale". De ce point de vue, le défi est grand pour ce pape: se faire comprendre et se faire respecter. Si Jean-Paul II y avait pleinement réussi, Benoît XVI en partie seulement (tiens! le rabbin a retrouvé la mémoire... pour cracher son venin). «Nous espérons tous que le pape François réussira dans l'entreprise de se faire comprendre et respecter «même dans un territoire dans lequel une partie de la population ne le comprend pas».

¤ Autres.
Lors de la rencontre, on a aussi parlé d'autre chose, mais nous avons voulu mettre en évidence quelques points intéressants de l'après-midi. Il faut cependant noter que le président de la Communauté Riccardo Pacifici s'est surtout occupé de la progression de l'antisémitisme (sous diverses formes) en Europe, exprimant son inquiétude sur l'issue probable des élections le 25 mai. Pacifici a également souligné la nécessité d'une collaboration transversale pour la défense de la liberté religieuse dans le monde. Il a également abordé l'épineuse question de la relation entre l'Espagne et les expulsés de 1492, en partie réparé dans la péninsule (Juifs séfarades). Un événement, celui de l'«expulsion», qui, a-t-il dit, recouvre d'ombres lourdes le chemin vers la béatification éventuelle d'Isabelle de Castille.