Accueil

Réquisitoire contre Humanae Vitae

Celui du Cardinal Martini dans son livre "Le rêve de Jérusalem". Le passage entier consacré à l'encyclique (1/6/2014)

Voir aussi:
¤
Plaidoyer pour Humanae vitae (Joseph Ratzinger en 1995)
¤ Le cardinal Martini et Humanae Vitae

     

Carlo Maria Martini
Le rêve de Jérusalem. Entretiens avec Georg Sporschill sur la foi et sur l’Eglise
Ed. DDB 2009, pages 141 et suivantes

Apprendre l’amour
-----

L'Église a toujours la réputation d'être hostile à tout ce qui touche le corps, ou encore d'être éloignée de la vie. Cette hostilité s'exprime en particulier dans l'encyclique Humanae Vitae dont l'opinion publique n'a retenu que l'interdiction de la pilule et de la contraception. On peut se demander si cette interdiction est encore défendable dans un monde marqué par le sida et par la médecine moderne. En tout cas, l'Église a ainsi dressé une barrière vis-à-vis de la jeunesse.

Cette critique, je l'ai rencontrée depuis de nombreuses années de tous côtés, y compris de la part d'hommes de science et d'hommes politiques sérieux, dans la mesure où ils cherchent le dialogue avec l'Église. Le plus triste, c'est que cette encyclique est en partie responsable du fait que beaucoup ne prennent plus du tout au sérieux l'Église comme partenaire d'un dialogue ou comme enseignante. Et surtout, la jeunesse de nos pays occidentaux ne songe plus guère à s'adresser à des représentants de l'Église pour des questions en lien avec le planning familial ou la sexualité. Je dois avouer que l'encyclique Humanae Vitae a malheureusement engendré en partie une évolution négative.
Beaucoup de gens se sont éloignés de l'Église, et l'Église s'est éloignée d'eux. Il y a eu de gros dégâts.
Pourtant la relation personnelle et physique constitue un domaine essentiel de la vie de l'être humain, dans lequel la jeunesse est appelée la première à trouver ses marques. À partir de la puberté, les jeunes connaissent, sur ce plan, de nombreuses turbulences. De nombreuses grandes décisions incluent les questions de la sexualité, du mariage ou du célibat. Il est tragique de constater, en un certain sens, que l'Église s'est à ce point éloignée de ceux qui sont concernés et qui cherchent une issue. L'encyclique Humanae Vitae est issue de la plume du pape Paul VI. Je l'ai bien connu et hautement apprécié. J'ai pu lui donner, ainsi qu'à ses collaborateurs du Vatican, des exercices spirituels; ceux-ci allaient être ses derniers avant sa mort survenue en 1978. Ce pape savait écouter; il se comportait de manière attentive envers les personnes. Avec son encyclique, il entendait être attentif à la vie humaine. À des amis personnels, il expliquait son dessein par une comparaison avec le langage. On ne doit pas mentir, disait-il en substance, et néanmoins parfois on ne peut pas l'éviter; il nous faut peut-être cacher la vérité, ou encore nous ne pouvons éviter un mensonge dicté par la nécessité. C'est l'affaire des moralistes de décider où commence le péché, surtout dans les cas où il existe une obligation supérieure à celle de la transmission de la vie.
Je ressens douloureusement le fait que le pape, par son « encyclique de la pilule » (comme on l'appelle couramment), se soit à ce point marqué aux yeux de l'opinion publique. Il a reçu en héritage de son prédécesseur Jean XXIII le Concile comme une tâche à poursuivre; et il a en effet poursuivi cette tâche avec une grande circonspection. C'est à sa pondération que l'on doit l'ouverture de 1'Église, pour laquelle il a pu réunir une grande majorité. Je mentionnerai également son grand intérêt pour la Bible. L’encyclique a souligné de façon correcte un grand nombre d'aspects humains de la sexualité. Cependant, de nos jours, nous disposons d'un horizon plus large pour aborder les questions touchant à celle-ci. Il y a lieu aussi de tenir compte, bien davantage, des demandes des directeurs de conscience et des jeunes. Nous ne pouvons pas les laisser seuls. Ils ont le droit de nous demander des repères ou des explications concernant les thèmes du corps, du mariage et de la famille. Nous cherchons donc une voie pour parler de manière appropriée du mariage, du contrôle des naissances, de la fécondation artificielle et de la contraception.
De la part des jeunes gens et de nombreux directeurs de conscience, j'entends exprimer souvent des inquiétudes, voire des angoisses, au sujet de ces questions d'une importance vitale. En même temps, je crois déceler dans ces discussions une nouvelle culture de la tendresse et une manière plus naturelle d'aborder la sexualité. Ces tendances vont en tout cas dans le sens d'une vie conjugale chrétienne.

Comment l'Église pourrait-elle indiquer un nouveau chemin pour la jeunesse et vers la jeunesse, avec une nouvelle parole ?

Dès 1964, une commission composée de spécialistes des domaines de la médecine, de la biologie, de la sociologie, de la psychologie et de la théologie, a remis au pape Paul VI un rapport détaillé sur les thèmes traités par la suite dans Humanae Vitae. Mais le pape, mû par un sens solitaire du devoir et une conviction personnelle très profonde, publia l'encyclique. Il s'appliqua consciemment à soustraire le sujet aux délibérations des pères du Concile; dans ce domaine, il entendait prendre personnellement tonte la responsabilité. Mais cette manière solitaire de décider n'allait pas, à long terme, créer des conditions favorables pour le traitement du thème de la sexualité et de la famille. Son successeur, Jean-Paul II, une personnalité puissante, a suivi le chemin d'une application stricte. Il ne voulait pas laisser subsister des doutes à ce sujet; il aurait même envisagé de faire une déclaration analogue pour laquelle il aurait fait valoir la prétention à l'infaillibilité papale.
Après la parution de l'encyclique Humanae Vitae, les évêques autrichiens et allemands, ainsi que beaucoup d’autres, ont publié des déclarations exprimant leur inquiétude et ont ainsi pris un chemin que nous pourrions poursuivre aujourd'hui. Une période de quarante ans, comme celle que nous venons de vivre - aussi longue que la traversée du désert par Israël -, pourrait nous permettre de porter un regard nouveau sur ces questions.

Dans quelle direction orientez-vous ce nouveau regard ? Et à quel point de nouvelles réponses sont-elles urgentes ?

Ouvrons 1'Évangile et écoutons la voix de Jésus. Il nous appelle au don de soi. Celui qui fait le don de lui-même gagnera la vie. Où quelqu'un fait-il le don de soi pour construire d'autres hommes? C'est la question centrale dans la relation des uns avec les autres, bien présente également dans le domaine de la sexualité. Lorsqu'un renoncement est exigé, il ne peut être que le résultat de l'amour et du don de soi. Je ne peux pas exiger un renoncement sans montrer combien le but est attrayant. Pour l'amour, le renoncement en vaut la peine.
Je suis pour ma part fermement convaincu que la hiérarchie de l'Église peut montrer un meilleur chemin que celui tracé par l'encyclique Humanae Vitae. L'Église y retrouvera sa crédibilité et sa compétence. On sait à quel point le pape Jean-Paul Il a aidé à faire revivre la relation entre l'Église et le judaïsme, comme la relation entre 1'Église et la science, parce qu'il a prononcé les inoubliables aveux de culpabilité qui exercent un grand effet de nos jours, plusieurs siècles après l'injuste condamnation de Galilée ou de Darwin. Pour les sujets où il s'agit de la vie et de l'amour, nous ne pouvons en aucun cas attendre si longtemps. C'est un signe de grandeur et de confiance en soi lorsque quelqu'un est capable de reconnaitre ses fautes et son manque de lucidité d'hier.

Admettons que le pape présente des excuses et retire l'encyclique Humanae Vitae. Dans ce cas, il reste encore à souhaiter que l'Église dise aujourd'hui quelque chose de positif sur le thème de la sexualité.

Le pape ne retirera probablement pas l'encyclique, mais il peut en écrire une nouvelle et, dans cette dernière, faire des pas en avant. Le souhait que le magistère de l'Église dise quelque chose de positif sur le thème de la sexualité est légitime. On en a peut-être trop dit autrefois, du c6té officiel de 1'Église, dans le domaine du sixième commandement. Quelquefois, le silence eût été préférable.
L'amour touche directement les hommes, ils ne peuvent pas être mis à l'écart de la recherche d'une réponse et d'un chemin dans ce domaine. Pensons à l'épisode biblique où les docteurs de la loi traînent devant Jésus une femme adultère et demandent si elle doit être lapidée. Jésus ne répond pas à la question, mais il condamne les docteurs de la loi pour avoir fait de la femme un objet et ne pas l'avoir écoutée. En outre, l'homme ayant participé à l'adultère n'était même pas présent. Les questions de la sexualité et de la famille devraient être traitées en tout cas par l'Église de telle façon que la responsabilité de ceux qui aiment tienne un rôle porteur et déterminant. Quoi que l'Église puisse dire, cela devrait être porté par un grand nombre, en particulier par tous les chrétiens adultes qui veulent être attentifs dans le domaine de l'amour. Lorsque je pense à la problématique du sida (environ quarante millions d'humains sont infectés, selon les Nations unies, par le virus du sida, pour la plupart en Afrique; pour l'année 2006, le même rapport enregistre trois millions de morts), je me rends compte que cela fait entrer en jeu non seulement la médecine, mais également la politique et la coopération pour le développement. Si l'Église pouvait faire parler tous ces participants, puisqu'elle est capable de poser les questions et de bien écouter les réponses, ce serait certainement là une initiative positive.
Au Vatican, on discute de l'utilisation des préservatifs, en particulier parce que le pape se fait beaucoup de soucis au sujet de l'épidémie du sida. Même si les préservatifs sont autorisés, en tant que « moindre mal », pour les couples mariés infectés par le virus, cela ne suffit sans doute pas. Cette prise de position, on le sait, m'a conduit à quelques controverses. Je suis devenu le cardinal do camisinho, comme me le dit en riant un prêtre brésilien. Cela signifie, en portugais, « cardinal du préservatif ». C'est ainsi que je suis parfois présenté sous un faux jour, en particulier par certains journaux.