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Une soeur à "The Voice"

Est-ce l'effet François? Une religieuse ursuline italienne de 26 ans fait un tabac à l'émission The Voice (26/3/2014, mise à jour)

     

Comme je ne regarde pas la télévision, je ne sais pas exactement ce qu'est The Voice, dont j'ai juste entendu prononcer le nom. J'ai donc consulté wikipedia:

The Voice est un télé-crochet musical créé par John de Mol (fondateur d'Endemol). À la suite du succès de la version originale, The Voice of Holland, aux Pays-Bas en 2010, plusieurs chaînes à travers le monde ont acheté les droits pour adapter le télé-crochet.
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En 2013, selon une étude réalisée à travers 18 marchés stratégiques représentant plus de 780 millions de téléspectateurs potentiels. Le format a captivé 55,9 millions de téléspectateurs en moyenne et est ainsi le divertissement le plus regardé en 2013.

La presse française aussi s'enflamme (pour s'en moquer, pas forcément gentiment) pour Soeur Cristina, la petite religieuse sicilienne «qui participait mercredi dernier à la version italienne de "The Voice" sur la chaîne Rai 2 et qui a bluffé le public et les membres du jury, en interprétant "No One" d'Alicia Keys».
Le Nouvel Obs en ligne rapporte:

Lors de cette prestation "à l'aveugle", les quatre membres du jury devaient qualifier la chanteuse, en étant dos à la scène. Visiblement charmés par sa voix, ils se sont retournés pour admirer le spectacle. Le jury, sous le choc, a alors pu découvrir une jeune femme de 25 ans, vêtue de l'habit religieux. Sœur Cristina a répondu avec humour et simplicité aux questions, et a enflammé illico presto les réseaux sociaux.
Même le cardinal Gianfranco Ravasi, "ministre de la Culture" du Vatican, a tweeté, en reprenant une citation de l'apôtre Pierre: "Chacun de nous, selon le don qu'il a reçu, le met au service des autres #suorcristina".

"J'ai un don, je vous le donne", a expliqué Sœur Cristina à l'un des membres du jury, l'animatrice et chanteuse Raffaella Carrà, qui lui demandait si elle était "une vraie soeur". "Mais que dit le Vatican ?". "J'attends un coup de fil du pape François", a répondu sans se démonter la jeune femme, encouragée par trois autres religieuses en coulisse. "Il nous a dit de sortir de nos couvents, de dire que Dieu ne nous exclut de rien, au contraire qu'il nous porte à donner".

"Si je t'avais écouté chanter à la messe quand j'étais jeune, je serais pape à présent", lui a lancé le rappeur J-Ax, dont elle a choisi d'intégrer l'équipe...

Quelques captures d'écran valent mieux que de longs discours.


Espérons juste que la pauvrette ne se fera pas dévorer par ses mauvais nouveaux maîtres. C'est que je lui souhaite de tout coeur, tout en craignant le pire.

Video ici (il est intéressant d'observer les mimiques du jury, et ceux qui comprennent l'italien peuvent "apprécier" les répliques).

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Mise à jour
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Au moment où je mets en ligne ce billet, je tombe sur les contributions de deux religieuses, sur le site La Bussola. Toutes deux sont perplexes, sans vouloir trancher, peut-être par solidarité entre soeurs, peut-être par le souci de "ne pas juger".

Voici ce que dit Soeur Roberta Vinerba, une religieuse qui selon ses dires est très présente dans les médias (biographie en italien ici).
Je partage bien davantage sa (demie) perplexité que son (demi) optimisme, d'autant plus que, par bonté, elle refuse d'envisager l'intrinsèque perversité du monde de la télévision, bien perceptible dans les images.

Sœur Cristina, était-ce nécessaire?
Soeur Roberta Vinerba
http://www.lanuovabq.it/it/articoli-suor-cristinace-nera-bisogno-8776.htm
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Perplexe. Je ne sais pas comment décrire autrement le sentiment que suscite en moi le "fait" Soeur Cristina à la télévision
Il y a quelques jours, j'ai vu sur la page Facebook d'une fille que je connais, la vidéo de la performance de la jeune religieuse dans "The Voice" avec le commentaire «celle-la est une grande». Puis sur d'autres pages, j'ai assisté à une prolifération de vidéos et de commentaires, et enfin une forêt de messages en faveur de / contre. A ce point, j'ai été intrigée et j'ai regardé la vidéo.

Que dire? Je suis moi aussi une religieuse, moi aussi, aujourd'hui comme par le passé, je ne déteste pas le moyen de la télévision que je considère comme un excellent outil pour l'évangélisation. Je pense aussi que beaucoup d'entre nous, religieux et prêtres, nous ne savons pas comment utiliser cet outil, devenant de fait, ou bien l'Agneau immolé dans des émissions conçues à dessein pour transmettre une mauvaise image d'hommes et de femmes d'Église incapables de dominer la communication, ou bien des phénomènes de foire recourant à un moyen de communication qui s'intéresse plus à l'effet qu'à la substance. Peu d'entre nous savent comment se comporter dans ce monde. En somme, de la communication télévisuelles, je connais les avantages et les inconvénients. Je ne diabolise pas les médias, je les considère comme une chance pour l'Evangile, mais je pense qu'il faudrait mettre au point le pourquoi et le comment de notre présence de consacrées.

Tandis que je regarde la vidéo, je comprends que je suis confrontée à un phénomène nouveau: mignonne, jeune, avec une grande capacité de communication et une voix incroyable, Sœur Cristina a du charisme à revendre. Dans le même temps, je reste perplexe devant son exhibition, me demandant: mais était-ce nécessaire? Quel avantage pour l'Evangile? J'ai gardé mes pensées pour moi, sincèrement désireuse de comprendre, de ne prendre parti ni pour les fans, ni pour les détracteurs de la religieuse.

Sur Facebook, deux façons différentes d'envisager la tâcher et la présence des consacrée dans l'arène médiatique s'affrontent.
Beaucoup défendent bec et ongles le choix de Sœur Cristina et de ses sœurs, disant qu'il s'agit enfin d'une Église qui communique, qui sait toucher ceux qui n'auraient jamais songé à "supporter" une religieuse et que c'est un moyen pour apporter l'évangile là où il ne pénètre jamais. Ceux-là parlent du pape François, d'une Église plus jeune, plus fraîche, enfin prête à affronter les fameuses périphéries existentielles. Ils accusent ceux qui sont en désaccord avec ce style d'être des bigots, extérieurs au vent nouveau qui souffle dans l'Église.
Et puis il y a ceux qui sont scandalisés, ceux qui ne digèrent pas qu'une religieuse s'exhibe ainsi à la télévision: une véritable trahison de la sacralité de l'habit religieux. Certains, moins intransigeants, se demandent si ce succès qui va la submerger sert vraiment à quelque chose, et craignent pour cette vocation qui, il faut se rappeler, n'est pas encore définitive, car ce n'est qu'en Juillet que Sœur Cristina fera sa profession religieuse finale.

Et moi, je me demande, de quel côté suis-je?
Je ne suis d'aucun côté. Dans le sens que je suis en train de comprendre et, surtout, de m'écouter, en consacrée que je suis. Ma perplexité vient du fait que je n'ai pas encore répondu aux questions de la première heure. Pourquoi? Était-ce nécessaire? Certes, Sœur Cristina et ses sœurs, ses supérieurs ont prié, opéré un discernement, ils n'ont certainement pas abordé ce choix à la légère. Ils ont leurs raisons. Sauf que je n'arrive pas à les comprendre. Beaucoup auront été touchés par la joie explosive de cette religieuse et c'est une bonne chose. Beaucoup se seront posés des questions qu'autrement ils n'auraient pas eu l'opportunité de se poser. J'en suis convaincue.

Et pourtant, cela ne suffit pas pour me faire dire oui, cette présence, ce style me convainquent. D'autre part, je ne parviens pas à me débarrasser du malaise d'une présence déplacée, d'un centre non centré. Et pas parce que c'est la télévision, pas parce qu'il s'agit d'un programme «non-confessionnel»; les chrétiens, comme le sel et le levain sont bien partout et doivent être partout. Mais chacun a son propre don, pour citer Sœur Cristina. Jusqu'à présent, je suis d'accord avec elle, mais ce don, mis en circulation de cette manière, laisse-t-il percevoir le dispensateur de tous les dons? Je n'ai pas encore de réponse.

J'aurais tendance à me distancier de cette façon de présenter la vie consacrée et je dis cela en tant que consacrée souvent critiquée pour sa présence dans les médias, pour un style peut-être trop éloigné des canons traditionnels associés à la représentation de la vie consacrée. Je pense qu'il y a vraiment besoin d'une nouvelle présence dans le monde de ceux, hommes et femmes qui ont choisi la voie de la virginité. Mais je crois aussi qu'elle devrait être approprié à notre "être" dans le monde, mais pas du monde, et qu'un habit, bon gré mal gré, vous demande de faire certaines choses et d'en abandonner d'autres.

Et je pense à Fra Alessandro Brustenghi, le frère d'Assise, ami cher qui, célèbre dans le monde entier, a choisi de faire don de sa belle voix seulement pour chanter les chants du répertoire sacré. Pour ce qui me concerne, c'est plus dans mes cordes. Mais l'Eglise est grande, l'Evangile s'incarne dans les différentes situations par les moyens les plus inattendus, et le choix de Sœur Cristina, radicalement différent, pourrait lui aussi être gagnant. «Par leurs fruits vous les reconnaîtrez». Je ne dois pas juger ou dire aujourd'hui si ce à quoi nous assistons est un bien ou pas, si cela vient de Dieu ou pas. La prudence et la nécessaire obéissance à l'Esprit Saint qui souffle où et quand il le veut, m'impose aujourd'hui de ne pas trancher par des jugements téméraires, que ce soit pour ou contre.

Je continue à me questionner, en admettant que c'est quelque chose qui ne correspond pas à ma façon de voir la vie consacrée et sa mission dans le monde. Mais nous verrons. Pour le moment, je veux simplement souhaiter sincèrement, à cette jeune religieuse, tout bien, et que Dieu la conduise là où Il veut, même sur des routes inhabituelles. Et prier pour elle et pour sa consécration.