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"Au service du système romain"

Suite des mémoires de Hans Küng qui interprère à sa manière la "marche romaine" de Benoît XVI. Il n'est pas difficile de percevoir dans ses propos encore plus de jalousie que l'incompréhension qu'il prétend ressentir devant le "mystère Ratzinger" (1er/4/2014)

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LA MARCHE A TRAVERS LES INSTITUTIONS? (1)

Le Professeur Ratzinger quitte Tübingen en 1969 pour Ratisbonne et, en 1977, il est ordonné archevêque de Munich, acceptant ainsi ce que Hans Küng considère comme une sorte d'asservissement au «système romain».
Hans Küng exprime sa perplexité à propos d'un collègue qu'il croyait bien connaître dans: «Mémoires. Mon combat pour la liberté», Novalis/cerf, 2006, p.544 à 546.

Je pourrais faire mon chemin, en tant que "Romain", au moins aussi rapidement que d'autres, vers une position ecclésiale importante, privilégiée, dans le Nord ou à Rome, peut-être bien même au Saint-Office, à l'instar d'un autre théologien de Tübingen qui, à peine établi à Tübingen, en prend congé pour aller à Ratisbonne, à la fin du semestre d'été 1969. Pourquoi?

On cherche toujours à nouveau à percer le mystère: comment un théologien aussi doué, aimable et ouvert que Joseph Ratzinger a pu changer à ce point et devenir, du théologien progressiste qu'il était, le Grand Inquisiteur romain? Ratzinger lui-même a toujours dit qu'il s'agissait là d'une évolution continue depuis Tübingen.(...) Certes, mon collègue, qui paraissait, malgré toute son amabilité, toujours un peu distant et réservé, s'était déjà à Tübingen gardé dans son coeur bavarois quelque chose comme un Herrgottwinkel (2) qui avait échappé aux Lumières. Il s'était aussi montré trop marqué par la vision du monde pessimiste d'Augustin et par la négligence platonicienne envers ce qui est empirique et visible, et dont Bonaventure fait preuve (contrairement à Thomas d'Aquin).[...]

Plus d'une fois (3), il nous est arrivé à tous deux que des étudiants bruyants d'autres facultés viennent faire un sit-in et nous empêchent de donner nos cours. Ce qui ne fut pour moi qu'une irritation temporaire eut manifestement un effet de choc durable chez Ratzinger. Il n'a pas voulu rester un semestre de plus à Tübingen. L'agitation d'un groupe révolutionnaire au sein de la communauté catholique étudiante qui voulait, dans une nouvelle constitution, subordonner complètement l'aumônier des étudiants à l'assemblée de la communauté (ce à quoi nous nous sommes opposés ensemble) l'a profondément atteint. Depuis et jusqu'à aujourd'hui, Ratzinger manifeste une crispation face à tous les mouvements qui viennent " de la base". [...]

C'est sans doute avec son départ de Tübingen, après trois années pendant lesquelles nous avons entretenu des relations harmonieuses, et son déménagement à Ratisbonne [...] que la marche de Ratzinger à travers les institutions a commencé: il est devenu archevêque de Munich et cardinal (1977), puis préfet de la congrégation pour la foi (1981). Le pouvoir spirituel procure sans doute aussi beaucoup de satisfactions terrestres.
Mais au profit de sa carrière ecclésiale, il a dû renoncer à «une oeuvre», une grande oeuvre théologique; voilà le regret qu'il exprime
aujourd'hui.[...] Il reste à espérer que malgré cette absence d'une oeuvre, il ne soit pas oublié aussi rapidement que le cardinal Merry del Val, par exemple, secrétaire d'Etat presque omnipotent du pape antimoderniste Pie X, ou encore le cardinal Ottaviani (4), dont même de jeunes théologiens ne se souviennent pas aujourd'hui, malgré ses nombreux discours et déclarations.

* * *

Notes:
(1) Ce titre est de Hans Küng
(2) "coin du bon Dieu"
(3) Au moment de la révolution étudiante de 1968.
(4) Le livre est paru en 2006 en France mais on dirait qu'il a été écrit avant l'élection de Benoît XVI ,car le texte ne mentionne pas le pontificat au sommet de l'"ascension" de Joseph Ratzinger. Küng compare donc aimablement son ancien collègue à des cardinaux (et non à des papes) qu'il tient en piètre estime et que, à son avis, l'histoire oubliera.

     

Commentaire

Hans Küng attribue à son ex-collègue une ambition qu'il n'a jamais eue.
Küng remarque que son collègue était réservé et distant: en fait il ne le connaît pas aussi bien qu'on pourrait le croire. Joseph Ratzinger est un mystère. La Renonciation de Benoît XVI est la plus éclatante démonstration du peu de prix que Joseph Ratzinger attribue au pouvoir et aux honneurs. On sait qu'il a accepté toutes ses "promotions" avec réticence, par obéissance et par esprit de service. Il a enduré dans la foi toutes sortes de vilenies pendant que Küng recevait tous les honneurs médiatiques et populaires et on cherche en vain "les satisfactions terrestres" que Küng semble attacher à "la marche à travers les institutions", marche qui lui a été interdite.
Küng pense-t-il vraiment que l'Eglise puisse se passer de hiérarchie et d'hommes voués au service du troupeau?
Küng se fait perfide quand il avance que son ex-collègue ne laissera pas d'oeuvre théologique (contrairement à lui!). Les faits lui donnent tort.

Monique T.