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Souvenirs de Tübingen

Suite des mémoires de Hans Küng, qui raconte ici dans quelles circonstances le Professeur Ratzinger est devenu son collègue à l'Université de Tübingen (30/3/2014)

(Merci à Monique)

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LE PROFESSEUR RATZINGER EST NOMMÉ À L'UNIVERSITÉ DE TUBINGEN.

Le collègue de Küng en théologie dogmatique quitte son poste et il faut lui trouver un remplaçant.
Voici ce qu'écrit à ce sujet Hans Küng dans son livre: "Mémoires. Mon combat pour la liberté", Novalis/cerf, 2006, p. 540, 541:

Qui sera son successeur? Dans mon esprit, ce ne pourrait être personne d'autre que Joseph Ratzinger, à l'époque professeur de théologie dogmatique à Münster. Bien qu'âgé de trente-sept ans seulement, il jouit d'une grande renommée, comme en témoigne jusqu'alors sa carrière. Il a sa propre perspective de recherche, tout en étant très ouvert aux questions du temps présent; ce sont des conditions pour une bonne collaboration. Aux temps du concile, je l'avais également trouvé sympathique sur le plan humain. Ce sont donc ces arguments que je présente, contrairement à mes habitudes, dès le début de la réunion de la faculté.
En tant que doyen et, en même temps, titulaire de l'autre chaire de théologie dogmatique, je crois en avoir le droit. J'ai un succès retentissant. Unanimement, on accepte ma proposition de présenter Joseph Ratzinger unico loco (c'est-à-dire sans y ajouter un deuxième ni un troisième candidat) sur la liste de nominations.
J'ai évidemment pris d'abord des précautions auprès de Ratzinger. Déjà après mon élection au décanat, je l'avais proposé à la faculté pour une conférence universitaire, le 8 juillet 1964. Ratzinger m'écrit à ce propos qu'il a l'intention de toucher à l'un des sujets les plus brûlants de la doctrine de l'eucharistie: «La transsubstantiation: la doctrine du changement de substance et du sens de l'eucharistie». La conférence, qui dérange d'abord par le ton de la voix, est très bien accueillie par les collègues et par les étudiants. Le 2 mai 1965, je rends visite à Ratzinger à Münster, après une rencontre avec des journalistes catholiques et protestants à Hardehausen, et je lui parle d'une éventuelle nomination à Tübingen. Dans une lettre du 11 mai, je lui rappelle encore une fois tout ce qui rend Tübingen attrayant pour lui: «la collaboration scientifique avec des collègues catholiques et protestants, dans un lieu d'une grande tradition de liberté, d'excellentes conditions de travail, la proximité de votre région d'origine... Je crois donc que tout ce qui m'a motivé à l'époque de ne pas quitter Tübingen pour Münster, pourra vous motiver à quitter Münster pour Tübingen».
Immédiatement avant la réunion décisive de la faculté, Ratzinger m'assure au téléphone qu'il accepterait une nomination qui serait proposée par moi, unico loco.
La décision unanime de la faculté est suivie, quelques semaines plus tard, par la décision unanime du Grand Sénat. Cependant, Ratzinger n'arrivera à Tübingen qu'après ses trois années à Münster, pour le semestre d'été 1966. Entre-temps, je trouve pour lui et pour sa soeur, à qui il ne peut pas demander «de rester indéfiniment seule ici dans le nord», ce que je lui avais promis: une belle maison neuve qu'il peut louer dans un bon quartier de Tübingen, dans la Dannemannstrasse.
Notre professeur en théologie fondamentale [...] m'a dit plus tard que cela avait beaucoup impressionné les collègues de la faculté que je sois allé chercher mon plus grand concurrent. Je lui dis qu'il va de soi que l'on nomme le meilleur.
J'écris à Ratzinger, le 8 juillet 1965: «Je me réjouis énormément de votre réponse positive».
Mais n'est-il pas vrai que je prends certains risques avec cette nomination? Je suis conscient qu'il reste plus que moi attaché à la tradition néoscolastique et que l'autorité des Pères de l'Eglise (notamment celle d'Augustin), à qui il consacre aussi son cours inaugural, est plus importante pour lui que pour moi. Mais des accents et des perspectives de recherche différents ne sont que des avantages. D'ailleurs sa chaire porte le nom de chaire «pour la théologie et l'histoire des dogmes», alors que la mienne porte le nom de chaire «pour la théologie dogmatique et oecuménique».
Ce qui m'importe davantage, c'est que nous partagions les mêmes opinions, dans l'esprit du deuxième concile du Vatican: orientation vers la rénovation de la théologie et de l'Eglise et pour une entente oecuménique. Pour y arriver, la liberté dans l'Eglise est fondamentale.
Notre entente se manifeste dans le mot d'introduction à la collection «Okumenische Forschungen», que nous éditons ensemble.


     

Cet extrait met en relief la notoriété de Joseph Ratzinger après le concile et l'admiration que lui voue alors Hans Küng. Ce dernier, qui a pu apprécier l'envergure de Joseph Ratzinger au concile, tient à doter sa faculté du meilleur corps enseignant possible. C'est bien H. Küng qui rend possible cette nomination dans la prestigieuse université de Tübingen. On voit que Joseph Ratzinger n'intrigue nullement pour «faire carrière». C'est une constante dans sa vie: il accepte ce qu'on lui propose mais il ignore l'ambition. La preuve: il quittera Tübingen, peu d'années après, pour une université bien moins prestigieuse.
Concernant sa fameuse conférence à Tübingen, située avant même les rumeurs de nomination, on remarque son absence de démagogie: il choisit un des thèmes les plus ardus et les moins consensuels qui soient (surtout par rapport aux protestants très présents à l'université).
C'est encore une constante de sa vie: rechercher la vérité sans se soucier des applaudissements les plus larges possibles. Sa conférence est bien accueillie mais il aurait pu être violemment contesté.
A trente-sept ans, Joseph Ratzinger, a déjà tous les traits de l'homme exceptionnel qu'il sera plus tard.
Monique T.