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Un vieux rêve de Hans Küng

Une question de Hans Küng datée de 1971: "quel pourrait donc être le pape?" (3/4/2014)

Dans son livre "Infaillible? Une interpellation" (éd. Desclée de Brouwer, 1971, p. 252 à 254), Hans Küng nous présente le portrait du Pape qu'il appelle de ses voeux, une figure proche de celle de Jean XXIII... mais pas seulement... par anticipation (Monique T).

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Un vieux rêve de Hans Küng

Un tel pape serait pénétré d'une conception authentiquement évangélique de l'Eglise, et non d'une vue juridique, formaliste, statique et bureaucratique. Il verrait le mystère de l'Eglise à partir de l'évangile, à la lumière du Nouveau Testament: non comme une unité
administrative centralisée, où les évêques ne sont pas les délégués et les organes d'exécution du pape, mais comme une Eglise qui se réalise authentiquement dans les églises locales [...] qui partout, en tant qu'unique Eglise de Dieu, constituent une seule communion et qui, de cette manière, sont liées à l'Eglise de Rome comme au centre de leur unité.
Ce pape ne verrait pas, dans une décentralisation des pouvoirs, le dangereux prélude d'un schisme possible. Loin d'empêcher une légitime diversité, il la favoriserait dans les domaines de la spiritualité, de la liturgie, de la théologie, du droit canonique et de la pastorale.
Son but ne serait pas de concentrer le pouvoir en un point unique, mais de servir sans prétention la riche diversité des Eglises locales au sein de l'unique Eglise; non de supprimer le pluralisme des diverses théologies par des mesures de contrainte inquisitoriales comme aux siècles passés, mais en encourageant leur liberté et leur service pour l'Eglise; non en se prévalant jalousement de ses pleins pouvoirs, de ses prérogatives et de l'exercice d'une autorité conçue comme sous l'Ancien Régime, mais par une autorité de service dans l'esprit du Nouveau Testament, compte tenu des besoins du temps présent: coopération fraternelle entre égaux, dialogue, consultation, et collaboration avant tout avec les évêques et avec les théologiens de l'Eglise universelle, participation des personnes concernées à la prise de décisions, et invitation à la coresponsabilité.
De cette façon, le pape considèrerait sa fonction comme une fonction d'Eglise: un pape non au-dessus ou en dehors de l'Eglise, mais dans l'Eglise, avec l'Eglise et pour l'Eglise. Point d'isolationnisme ni de triomphalisme, et donc pas d'isolement du pape, mais son unité avec l'Eglise, unité sans cesse recherchée et réalisée d'une manière neuve par lui. Pour tous les documents importants et les décisions graves, il s'assurerait de la collaboration de l'épiscopat, des meilleurs théologiens et laïcs, et ne les désavouerait jamais après coup. S'il peut et doit même parfois agir "seul", il ne doit pourtant jamais le faire "à part", "séparé" de l'Eglise et de son collège épiscopal, mais en communion spirituelle et dans une solidarité indéfectible avec l'Eglise universelle. Il concevrait l'assistance promise à Pierre non comme une inspiration personnelle, mais comme un soutien particulier, accordé au sein de la délibération et de la coopération avec l'Eglise, à la totalité de laquelle l'Esprit a été promis. (1)
De cette façon, un tel pape briderait l'appareil administratif de la Curie et neutraliserait sa tendance à l'hégémonie. Il libérerait le centre d'inutiles lourdeurs bureaucratiques et administratives, et mettrait tous ses soins à une authentique internationalisation, à une réforme approfondie avec l'aide de théologiens et d'experts en sociologie, en gestion, en organisations internationales. Il souhaiterait un examen approfondi du système des nonciatures romaines, autant que la rénovation du système de la Curie romaine, d'après des critères objectifs et publics, rénovation qui la laverait du soupçon d'arbitraire. Il organiserait la coopération selon le principe de subsidiarité, et transformerait, en l'améliorant le système des visites ad limina, les rapports quinquennaux des évêques et bien d'autres choses.
De cette façon, ce pape ne serait pas contre le droit, mais contre le juridisme; non contre la loi, mais contre le légalisme; non contre l'ordre, mais contre l'immobilisme; non contre l'autorité, mais contre l'autoritarisme; non contre l'unité, mais contre l'uniformité. Ce serait un homme élu, non par un collège cardinalice, dominé par un certain groupe national, mais par un organe représentatif de l'Eglise universelle. (2)
Ce n'est pas sa nationalité, mais sa qualification qui en déterminerait le choix. Ce serait un homme(...] qui se concentrerait sur sa tâche pastorale pour l'Eglise universelle et pour son propre diocèse romain, et qui devrait attirer tous les regards par son rayonnement pastoral.[...]
Rome deviendrait un lieu de rencontre, de dialogue et de coopération loyale et amicale.

* * *

(1) Küng expose ici sa conception de l'infaillibilité. Il n'adhère pas au dogme de l'infaillibilité pontificale (Vatican I). Il croit à l'infaillibilité de l'Eglise.
(2) On ne sait pas très bien comment on constituerait un tel corps électoral. L'élection du Cardinal Bergoglio, que H. Küng considère comme une divine surprise, est bien issue de la volonté d'un collège cardinalice! H. Küng ne doit plus désavouer ce vieux système poussiéreux!

     

Commentaire

Ce qu'expose ce texte de 1971 semble se réaliser sous nos yeux en 2014, au moins en INTENTIONS: décentralisation, réforme de la Curie, recours à des experts extérieurs, redéfinition du rôle de la papauté, rejet du juridisme et du légalisme, collégialité accentuée, primauté absolue du rayonnement pastoral, Rome lieu de rencontre mondial.
Il est donc logique que le Pape François reçoive l'appui enthousiaste de toute cette frange de l'Eglise, consciemment ou inconsciemment proche de Hans Küng, qui attendait impatiemment une nouvelle aurore pour l'Eglise.
Une guerre de 50 ans entre cette mouvance et les Papes vient de prendre fin. Qui s'en plaindra? Mais interdiction de décevoir!

Monique T.