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Introvigne vs Socci et viceversa

Antonio Mastino reproduit un échange plutôt vif entre deux catholiques italiens de pointe, l'un sociologe, l'autre journaliste, publié aujourd'ui sur Libero (13/8/2014)

>>> La colère d'Antonio Socci

     

Commentant hier l'article "coup de poing" d'Antonio Socci, j'écrivais: «Le "pompier" Massimo Introvigne est le premier à voler au secours de François... en prenant Benoît XVI comme témoin».

Je ne croyais pas si bien dire.
La querelle s'est poursuivie jusque dans les colonnes du journal "Libero", auquel collaborent à la fois Socci et Mastino: Introvigne a écrit une lettre ouverte au premier, qui lui répond derechef.
Antonio Mastino reproduit l'échange sur son site personnel.
On ne peut rêver illustration plus parfaite de ce que je disais ce matin....

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"Le véritable Islam et une adéquate interprétation du Coran s’opposent à toute violence." (Evangelii Gaudium, cf. [1])

>>> Images ci-dessous: Manifestations en octobre 2006 en "terre d'islam" avant la visite de Benoît XVI en Turquie - dont beaucoup pensaient qu'il ne reviendrait pas vivant, tellement les menaces et les pressions de toutes sortes avaient été fortes, deux mois à l'avance.
Le portrait du Pape est outragé, son effigie est brûlée. A l'évidence, les protagonistes de ces scènes honteuses (qui n'avaient à l'époque pas suscité la moindre indignation des médias, très occupés à jeter l'opprobre sur le pape pour son discours "islamophobe" de Ratisbonne) n'avaient pas la bonne interprétation du Coran...

     

Papale papale
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Un échange entre Introvigne, qui écrit une lettre pour contester l'article de Socci sur le silence du pape à propos du martyre des chrétiens de la part des islamique, et celui-ci, qui lui répond.
Dans sa conclusion Introvigne détermine qui est catholique et qui ne l'est pas.
Clairement, Introvigne plaide pour le «dialogue» avec les musulmans. Il y a quelques années, il invitait à répandre l'idée de l'"encerclement", parce que le problème n°1 et l'urgence de l'Europe mais aussi de l'Eglise étaient les musulmans. Mais entretemps l'administration américaine, le pape et de nombreux intérêts ont changé [2].

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La lettre de Massimo Introvigne

Cher Antonio,
Je lis toujours tes articles avec intérêt, et il n'est pas rare que j'y trouve une nourriture spirituelle et des informations utiles.
Je sais que tu es animé par une passion pour l'Eglise, pour la vérité et pour l'homme que nous partageons, et c'est pourquoi je me permets de te dire combien je me trouve mal à l'aise à la lecture de quelques-uns de tes derniers articles, en particulier celui du 10 Août sur la «honte» que le pape devrait éprouver pour ce qui, dans le jargon juridique serait appelé défaut de signalement les crimes de l'islam.

Permets-moi tout d'abord de te dire que je suis en désaccord avec une certaine dérive générale d'hostilité envers le pape François et de «nostalgie» pour les Papes qui l'ont précédé.
Dans l'encyclique «Caritas in Veritate», Benoît XVI nous a enseigné à appliquer l'herméneutique de la «réforme dans la continuité», non seulement aux documents de Vatican II, mais à l'ensemble du Magistère de l'Eglise. La formule a été parfois mal comprise, mais tu sais aussi bien que moi qu'elle invite à accepter loyalement les réformes - même quand elles ne nous plaisent pas - , en les interprétant non pas «contre» le Magistère précédent, mais dans la continuité de l'unique sujet Eglise. Cette règle précieuse vaut également pour les nouveautés du pape François. Parfois, je suis accusé d'être un «normaliste», c'est-à-dire quelqu'un qui ne voit pas la nouveauté radicale des réformes. Mais je pense que je la vois très bien, et que je l'accepte en appliquant la règle d'or de Benoît XVI.

J'en viens à l'islam. Un certain monde catholique, et beaucoup plus «athée dévot», comme Giuliano Ferrara, se fait une image mythique de l'attitude de saint Jean-Paul II et de Benoît XVI.
Or, ces papes, avec une grande précision, ont condamné le fondamentalisme comme une perversion de la foi et ont répété l'enseignement du «Catéchisme de l'Église catholique» - par lequel le Pape François lui aussi nous invite souvent à nous laisser guider - qui dit que, quand les innocents sont attaqués et massacrés, la légitime défense, y compris avec le recours aux armes, et par la communauté internationale et pas seulement les Etats individuels, est - plus qu'un droit - un devoir.
Benoît XVI - au-delà des interprétations caricaturales du discours de Ratisbonne, qui feraient sourire si elles n'alimentaient pas précisément le fondamentalisme islamique - a mis en lumière la façon dont la tentation de la violence n'est pas accidentelle, mais intrinsèque à l'islam en raison du rapport non correct qu'il propose entre la foi et la raison.
Dans le même temps, Benoît XVI, avec d'autres, a écrit, et Jean-Paul II a promulgué, le «Catéchisme de l'Église catholique», où nous lisons au §841, sur le thème des «relations de l'Eglise avec les musulmans» , que «le dessein de salut inclut également ceux qui reconnaissent le Créateur, et parmi ceux-ci, en premier, les musulmans, qui, en déclarant qu'ils gardent la foi d'Abraham, adorent avec nous un Dieu unique, miséricordieux, qui jugera les hommes le jour final».

Tu cites à juste titre Saint Jean-Paul II et sa fermeté. Mais c'est le même pape qui à Ankara en 1979, a déclaré: «Je me demande s'il n'est pas urgent, précisément aujourd'hui où chrétiens et musulmans sont entrés dans une nouvelle période de l'histoire, de reconnaître et de développer les liens spirituels qui nous unissent». Penses-tu que ces «liens spirituels» n'existent pas?
Toujours à Ankara, Benoît XVI a déclaré en 2006 que le dialogue avec les musulmans «ne peut pas être réduit à une option: au contraire, il est une nécessité vitale, dont dépend dans une large mesure notre avenir».
Bien que manifestement divisés sur beaucoup de choses, le pape Ratzinger a expliquait alors: «Les chrétiens et les musulmans, suivant leurs religions respectives, portent l'attention sur la vérité du caractère sacré et de la dignité de la personne. C'est la base de notre respect réciproque et de notre estime».
Moi, je le sais, et toi tu le sais: «le respect et l'estime» ne résolvent pas à eux seuls les problèmes d'un dialogue très difficile.
Mais ils délimitent le périmètre d'une doctrine du dialogue, et d'un style à l'extérieur duquel on peut se sentir plus ou moins belliqueux, mais où l'on n'est plus catholique.

Cordialement
Massimo Introvigne

La réponse d'Antonio Socci

Cher Introvigne,

Je me contente d'être un simple catholique, qui fait le journaliste, c'est-à-dire qui sert la vérité.
Toi, je vois que tu te donnes beaucoup de mal pour donner le spectacle d'un ultrapapiste, très zélé dans sa volonté de démontrer quotidiennement, à travers des acrobaties linguistiques, que les choses que dit François sont les mêmes que celles qu'ont enseignées Benoît XVI, Jean-Paul II et Paul VI,

Bon courage, mais c'est à Bergoglio - et pas à toi - de montrer la continuité du Magistère.
Peut-être as-tu as été loin, comme à la fin de ta lettre, où tu décides même qui peut se dire catholique et qui ne le peut pas.
A ce sujet, je te fais calmement observer que tu es totalement hors sujet, parce que dans mon article que tu contestes, je ne me suis absolument pas occupé du dialogue entre l'Eglise catholique et l'islam.
Eventuellement de la relation des chrétiens avec la violence islamiste, avec les régimes ou les forces islamistes qui persécutent les chrétiens et les massacrent. C'est quelque chose de différent.
Je me suis occupé de personnes crucifiées et lapidées à mort, de femmes violées et vendues comme esclaves et d'enfants massacrés. Je m'étonne que tu n'en fasses pas mention, parce que c'est le sujet de l'article.
Et ma critique à Bergoglio porte sur sa réticence évidente: dans ses rares interventions sur cette tragédie en cours, il évite soigneusement de dire qui est responsable de ce drame humanitaire et quelles en sont les causes. Tout comme il évite soigneusement de réclamer - à la suite de Jean-Paul II - cette «ingérence humanitaire» qui permettrait d'éviter un massacre total et définitif (3).
Et pourtant, je te fais remarquer que c'est exactement ce que demandent les évêques de cette église (je cite pour tous Louis Raphaël I Sako, patriarche chaldéen de Bagdad et président de la conférence épiscopale irakienne). Et c'est aussi la solution qu'a suggéré, dans une interview il y a deux jours à Radio Vatican, Mgr Tomasi, observateur permanent du Saint-Siège à l'ONU.

Pourquoi le Pape ne se décide-t-il pas à faire sienne cette proposition à la communauté internationale? Plus le temps passe, et plus les massacres augmentent. Attendons-nous que ces communautés chrétiennes soient totalement détruites?
Et pourquoi ne dis-tu pas un seul mot à ce sujet?
Tout cela me paraît honteux.

Antonio Socci

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Notes

[1] Evangelii Gaudium, §252-253 (cf. aussi benoit-et-moi.fr/2013-III/actualites/commentaires-sur-evangelii-gaudium)

252. La relation avec les croyants de l’Islam acquiert à notre époque une grande importance. Ils sont aujourd’hui particulièrement présents en de nombreux pays de tradition chrétienne, où ils peuvent célébrer librement leur culte et vivre intégrés dans la société. Il ne faut jamais oublier qu’ils « professent avoir la foi d’Abraham, adorent avec nous le Dieu unique, miséricordieux, futur juge des hommes au dernier jour ». Les écrits sacrés de l’Islam gardent une partie des enseignements chrétiens ; Jésus Christ et Marie sont objet de profonde vénération ; et il est admirable de voir que des jeunes et des anciens, des hommes et des femmes de l’Islam sont capables de consacrer du temps chaque jour à la prière, et de participer fidèlement à leurs rites religieux. En même temps, beaucoup d’entre eux ont la profonde conviction que leur vie, dans sa totalité, vient de Dieu et est pour lui. Ils reconnaissent aussi la nécessité de répondre à Dieu par un engagement éthique et d’agir avec miséricorde envers les plus pauvres.

253. Pour soutenir le dialogue avec l’Islam une formation adéquate des interlocuteurs est indispensable, non seulement pour qu’ils soient solidement et joyeusement enracinés dans leur propre identité, mais aussi pour qu’ils soient capables de reconnaître les valeurs des autres, de comprendre les préoccupations sous jacentes à leurs plaintes, et de mettre en lumière les convictions communes. Nous chrétiens, nous devrions accueillir avec affection et respect les immigrés de l’Islam qui arrivent dans nos pays, de la même manière que nous espérons et nous demandons être accueillis et respectés dans les pays de tradition islamique. Je prie et implore humblement ces pays pour qu’ils donnent la liberté aux chrétiens de célébrer leur culte et de vivre leur foi, prenant en compte la liberté dont les croyants de l’Islam jouissent dans les pays occidentaux ! Face aux épisodes de fondamentalisme violent qui nous inquiètent, l’affection envers les vrais croyants de l’Islam doit nous porter à éviter d’odieuses généralisations, parce que le véritable Islam et une adéquate interprétation du Coran s’opposent à toute violence.

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[2] Je n'ai pas trouvé les déclarations que Mastino prête à Introvigne.
Dans mon site, plusieurs articles de ce dernier sur l'islam ici.

[3] Antonio Socci a-t-il été entendu? Le Pape vient d'écrire aujourd'hui une lettre à l'ONU

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