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Le cauchemar du Burning man

... allégorie du futur que nous préparent les "maîtres du monde"? Un article passionnant et très documenté de Massimo Introvigne (30/9/2014)

>>> Nombreuses (et éloquentes) images ici: http://tinyurl.com/m8gn7yd

Dans le Paris-Match de la semaine, sur huit pages, il y a un reportage intitulé: «Festival Burning Man: Les fous du désert».
Il n'y a pratiquement que des photos, et il y a lourd à parier que le lecteur qui feuillette distraitement le journal de Lagardère n'imagine même pas ce qui se cache derrière les images, d'autant plus que le (maigre) texte d'accompagnement, est là pour endormir sa méfiance. Tout au plus pensera-t-il à une sorte de rave party géante (c'est aussi un peu cela), pour, au pire, s'en indigner, avant de passer à autre chose.
Le lecteur de Paris Match de 2014 en a tellement vu que plus rien ne l'étonne. La transgression de tous les tabous fait partie de son quotidien.

Sur la première page du reportage, un sous titre annonce «Au coeur du Nevada, 70000 allumés mettent le feu à la société de consommation».
Et au bas de la seconde:
«Sur le sable, ils construisent un rêve. Huit jours pour inventer une société idéale, sans argent, sans exclusion, et sans rien qui dure. Et c'est pourquoi au coeur de cet amphithéâtre, ils ont érigé une idole: Burning Man, mais pour y mettre le feu ... Une semaine durant ils vivent l'individualisme généreux et l'anarchie bien ordonnée. A Black Rock City, dans le Nevada, l'Amérique se souvient qu'elle s'appelle le Nouveau Monde».

Un rêve? Une société idéale?
Le «Nouveau Monde» de Paris Match est en réalité un cauchemar nauséabond et terrifiant.
Lisons les explications de Massimo Introvigne (qui, quand il ne parle pas du pape François, est toujours aussi passionnant)

     

SEXE, DROGUE ET NEW AGE. LES "POUVOIRS FORTS" SONT À NU
Massimo Introvigne
www.lanuovabq.it
30/09/2014
Ma traduction
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Il y a quelques jours, le New York Times a révélé que les deux fondateurs et patrons de Google, Larry Page et Sergey Brin, et leurs homologues de Facebook, Mark Zuckerberg, et d'Amazon, Jeff Bezos, se sont retrouvés, et ont échangé quelques idées sur la façon de gouverner le monde, avec d'autres entrepreneurs de tout premier plan, plus malins qu'eux pour ne pas faire savoir qu'ils étaient à la réunion. Mais déjà, les noms qui ont émergé sont suffisants.
Imaginez que vous ayez exprimé quelques idées, mais que Page et Brin fassent en sorte que personne ne vous trouve avec une recherche Google, que Zuckerberg vous chasse de Facebook et que Bezos élimine vos livres du catalogue universel d'Amazon. C'est comme être mort, ou peut-être pire, car il y a beaucoup de morts dont les idées continuent à circuler. Vous vous dites qu'il vous resterait Twitter? Il semble que les patrons de Twitter étaient aussi au rendez-vous, même si on ne peut pas le prouver avec certitude.

(NYT, 20/8/2014)

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Mais - vous demanderez-vous - à quoi sert le énième article sur le Bilderberg, la Commission Trilatérale, le Forum de Davos ou sur les loges couvertes (?) des franc-maçons? Mis à part les derniers, sur les autres organisations, on a écrit de tout et plus encore.
En effet, cet article ne parle pas de Bilderberg et d'autres cliques semblables; la nouvelle, c'est que les Zuckerberg et autres Page, c'est-à-dire les vrais puissants du XXIe siècle, n'en parlent pas beaucoup non plus.
Non, à la fin du mois dernier et au début du mois actuel les tout-puissants seigneurs de l'Internet se sont réunis dans un désert américain au milieu de cinquante mille hippies puants et à moitié nus. Mais, se demande toujours le lecteur, je croyais que les hippies n'existaient plus? Oui et non. Il y a encore des ex-hippies nostalgiques de leur jeunesse et des jeunots gagnés par la mode rétro.

Tous se retrouvent depuis plusieurs années dans le désert du Nevada, entre fin Août et début Septembre pour quelque chose qui s'appelle le Burning Man Festival, le festival de l'homme qui brûle.
Le festival est né en 1986 sur une plage de San Francisco, mais en 1990, il s'est transféré dans le désert de Black Rock au Nevada, une région où la température s'élève à 50 degrés, et tellement isolée que les téléphones mobiles ne fonctionnent pas, et Internet non plus. Au premier festival en 1986, douze personnes ont participé. Ils ont ensuite atteint soixante-dix mille, jusqu'à ce que les autorités du Nevada, pour des raisons d'ordre public, décident de limiter le nombre à cinquante mille, même s'il semble que les limites n'aient pas été respectées.

De quoi s'agit-il? Sur le Burning Man Festival, plusieurs études universitaires ont désormais été publiées, mettant l'accent sur ses deux racines.

La première est le mouvement dit des «zones autonomes temporaires» (TAZ, Temporary autonomous zones) [1], lancé par le poète américain anarchiste Hakim Bey, pseudonyme de Peter Lamborn Wilson, né en 1945. Wilson, ou si vous préférez Bey, préconisait la création d'espaces - destinés à durer quelques jours ou une semaine - dans lesquels il n'y avait pas de lois et où la police ne pouvait pas entrer, où tout le monde pouvait faire littéralement tout ce qui lui passait par la tête. Selon l'idéologie anarchiste, dans ces zones, tout serait allé pour le mieux et les gens se seraient réglementés joyeusement tout seuls.

Wilson est un homme cultivé, et c'est l'un des grands spécialistes américains de Gabriele D'Annunzio (1863-1938): il prétend que l'État libre de Fiume dirigé par le poète italien en 1920 a été la première TAZ, et fait remarquer que sa constitution a été la première au monde à légaliser l'homosexualité, le nudisme et la consommation de drogues.
Le problème est que dans les TAZ, Wilson défend l'homosexualité libre, mais aussi la pédophilie libre.
Sa collaboration avec la NAMBLA (North American Man/Boy Love Association), la plus grande association américaine faisant la promotion de la liberté de la pédophilie, a fait de lui un personnage controversé, même dans les milieux anarchistes: oui, même l'anarchiste moyen découvre parfois qu'il a une conscience.
Wilson - mais surtout ses disciples - ont répondu par un tournant «mystique», critiqué par les anarchistes les plus «politiques», définissant de plus en plus les TAZ comme des zones où la plus grande partie de la journée est consacrée à la méditation et aux rituels de type New Age et néo-païen, c'est-à-dire inspirés par les populations amérindiennes.
Ces rituels - la seconde racine du Burning Man - devraient rendre tout le monde plus pacifique et meilleur, et éviter des dérives déplaisantes, en particulier dans le domaine délicat de la pédophilie.

L'idée des TAZ assaisonnées de «mystique» et de New Age a été relancée avec succès par Larry Harvey, l'artiste de San Francisco qui a inventé le Burning Man Festival.
Harvey a rassemblé autour de lui un groupe d'amis artistes, en majorité non homosexuels, mais dès le début, il a cherché l'alliance avec la communauté gay qui avait, dit-il, «plus d'argent, plus de drogue et plus de riches intéressés par la collection d'oeuvres d'art moderne».
Le succès fabuleux du Burning Man est né du talent d'organisateur de Harvey, mais aussi de la crise d'autres initiatives de la mouvance hippie et New Age, considérées comme vieillies et désuètes, et auxquelles le Burning Man a offert une alternative qui semble nouvelle, à la mode, «cool» et fréquentée par des artistes de renom, et parfois mêmedotés d'un talent réel.
Comme son nom l'indique, le centre du Burning Man Festival est une grande marionnette qui représente un homme - et même, «l'Homme» - à qui l'on met rituellement le feu. Autour de cet événement central, s'organisent des rituels, des moments de méditation, des incendies d'autres structures et même des œuvres d'art produites dans le but d'être brûlées.

C'est une semaine de vie alternative, de TAZ, justement, qui rappelle vaguement Woodstock et d'autres concerts et rassemblements hippies des années '60.
Il y a la drogue qui circule à flots, la nudité et les accouplements de toutes sortes; mais Harvey, avec sagesse, connaissant les dérives pédophiles du mouvement TAZ, interdit ou au moins décourage fortement la présence d'enfants.
Il y a la possibilité de faire l'expérience d'une société anarchique ou, si l'on veut, parfaitement communiste, où il n'y a pas de propriété privée - on ne peut rien vendre, juste donner ou échanger (ndt: en somme, un espace de liberté plein d'interdits!!), et il n'y a pas de maisons, on dort dans le désert ou sous la tente que chacun a pu transporter dans un sac à dos, - il n'y a pas de famille - l'esprit du festival favorise plutôt les accouplements éphémères et libres, dans toutes les directions - et il n'y a pas de religion, parce que quelles que soient ses convictions, on doit participer aux rituels les plus variées, voire contradictoires entre eux.

Une fois abolies la religion, la famille et la propriété, on est prêt à absorber un véritable bombardement d'idéologie relativiste.
Comme l'explique Harvey, le Burning Man enseigne la philosophie «postmoderne» qui semble très compliquée, mais au fond, est très simple: il n'y a pas de vérité, seulement des expériences, les doctrines divisent, les rituels unissent à condition qu'ils ne transmettent pas une doctrine, mais seulement l'idée que toutes les croyances sont de valeur égale.
L'homme - le mâle, le père, qui en tout cas mérite de brûler un peu plus que la femme ou l'homosexuel - disparaît dans le feu chaque année pour rappeler à tous qu'aucune identité n'est permanente ni ne dure dans le temps. L'un des plus beaux édifices de la fête est le Temple, réalisé par des sculpteurs et architectes de talent notable - pour ceux qui apprécient le genre - chaque année consacré à une religion différente, souvent inventée ou fantastique. Eh bien, aussi beau qu'il soit, le temple lui aussi brûle, parce que la vérité présumée ne dure pas plus d'une semaine, la religion qui est vraie cette année sera fausse l'année prochaine. Mais ne vous inquiétez pas: il y aura un autre temple plus grand et plus beau, et nous y mettrons également le feu, et ainsi de suite jusqu'à l'infini. Peut-être les nouveaux hippies ne connaissent-ils pas Friedrich Engels, le co-fondateur avec Karl Marx du Parti communiste, mais le Burning Man met en scène sa devise: «Tout ce qui existe mérite de mourir».

Tout cela, pour ceux qui regardent de l'extérieur, a un nom: la dictature du relativisme, et à la puissance n (ndt: je rappelle que "à la puissance 2" signifie "élevé au carré"!).
Le Cardinal Ratzinger, réaffirmant la condamnation catholique de la franc-maçonnerie, expliquait que les loges n'ont même pas besoin d'enseigner le relativisme avec des mots: pour le transmettre, il suffit de «la force du rituel». Il suffit de penser à la force du rituel du Burning Man, proposé à des personnes déjà placées dans un état altéré de conscience et d'excitation par la chaleur du désert, la drogue, les excès sexuels.

Il y a deux générations, les «pouvoirs forts» se réunissaient dans les loges maçonniques, plus traditionnelles.
L'avocat Giovanni Agnelli expliqua, en exagérant, que dans les loges, il risquait désormais de rencontrer son coiffeur, et que sa génération préfèrait les différents Bilderberg.
Aujourd'hui, les patrons de Google, Facebook, Amazon, qui exercent un contrôle sur nos vies infiniment plus diffus que les «maîtres de forges» du passé, se retrouvent au Burning Man.

Le New York Times nous révèle qu'il y a un truc: les VIP ne se mélangent pas vraiment avec les hippies ou ex-hippies qui ne se lavent pas, suent et sentent mauvais - sans parler du fait, révélé par un journaliste curieux qui est allé voir par lui-même, qu'au Burning Man, tout n'est pas paix et amour, les violences charnelles, les overdoses et même les suicides se multiplient.
Non, les maîtres du monde se rendent au Burning man en jet privé, et là, il dorment dans des tentes de luxe avec air conditionné, serveurs et cuisiniers étoilés. Ils paient 25000$, pas le prix d'entrée normal de 300$, mais à l'intérieur des tentes, ils trouvent les plus beaux modèles, et des modèles qui, par les temps qui courent, n'ont pas payé le billet à quatre (?) zéros. Mais il ya beaucoup de façons de payer.
Pourtant - laissons au New York Times la responsabilité de ces affirmations - on dit que la droge court aussi dans les tentes de super-luxe, et certainement les seigneurs d'internet participent avec enthousiasme au bûcher des statues et des temples et manifestent leur assentiment à l'idéologie de Burning Man.

Que ceux qui commandent vraiment soient passés de l'ambiance feutrée des loges et de Bilderberg à l'hécatombe de corps nus, de drogués pas trés propres, de Burning Man - voilà qui nous fait comprendre beaucoup de choses sur ce qui se passe dans le monde et le futur que ces seigneurs veulent nous préparer.

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NDT:
A propos des TAZ, on lira la notice wikipedia assez développée, et très intéressante.

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