Accueil

L'Eglise au risque de l'idéologie mondialiste

Le cri d’alarme d’Ettore Gotti-Tedeschi, dans une interview à la Nuova Bussola. Traduction d’Anna (29/9/2014)

(..) puisque l'homme ne peut pas se sentir égal aux autres, même s'il est économiquement et socialement semblable aux autres, ayant été créé individuellement et ayant une âme qui le différencie dans sa personnalité, on ne pourra plus être égalitaires que par coercition.
Jusqu'où pourra-t-on priver l'homme de sa liberté au travers d'une dictature imperceptible? Jusqu'où un nihilisme global rendant possible l'endoctrinement global sera-t-il possible? Mais au-delà de cela, combien de temps un pareil monde vidé de valeurs va-t-il durer? Sans valeurs l'homme perd sa valeur, que sera cette vie?

Je suis convaincu que l'Eglise (…) ne doit pas s'efforcer de " plaire " afin de ne pas se faire exclure d'avance, mais elle doit être incisive.
Pour ce faire, elle doit être indépendante du pouvoir du monde, et elle doit l'être stratégiquement. Selon moi, ou bien l'Eglise parvient à convaincre le monde entier de l'importance de son autorité morale (ainsi que l'explique le Pape dans Lumen Fidei), indispensable au comportement (en pratique en catholicisant le monde), ou bien la foi catholique risque (à moins d'interventions surnaturelles) d'être progressivement éliminée, car dangereuse, en vue d'une nécessaire homogénéisation des valeurs dans le monde global.
...
Si l'Eglise maintenait ses dogmes vivants, en permettant de les vivre de façon, disons, mondaine (selon les règles du monde) l'Eglise y gagnerait en applaudissements et compliments à cause de sa capacité à comprendre les exigences du monde, mais celui qui continuerait à vivre intégralement sa foi et les dogmes serait jugé sectaire, pourrait même être considéré hors de l'Eglise et « cloué au piloris » car dangereux pour la société uniformisée.

LA MISÈRE MATÉRIELLE, CONSÉQUENCE DE LA MISÈRE MORALE
http://www.lanuovabq.it/it/articoli-la-miseria-materiale-e-conseguenza-di-quella-morale-10449.htm
-----

La crise économique en cours est en train de créer de nouvelles pauvretés, le Saint Père lui-même est intervenu à plusieurs reprises faisant référence aux thèmes économiques. Croyez-vous que la lutte contre la pauvreté doive être une priorité aussi pour notre Eglise?

Bien sûr, il faut enseigner qu'une grande partie de la pauvreté matérielle dans le monde est le fruit du péché, de l'égoïsme, de l’indifférence, de l’avidité, etc. Il faut savoir que même une répartition de la richesse ne résoudrait pas le problème de l'envie, la jalousie, l’avidité, l’attachement aux choses, etc. et on peut prévoir que même après la répartition, la concentration de la richesse et de l'inégalité se reproduirait. Le problème de la misère (matérielle) a son origine dans le péché, et ma conviction est que la pauvreté économique (pas seulement individuelle mais bien celle de populations entières) est la conséquence de la « misère morale » et que cette « misère morale » doit être résolue, dans une hiérarchie des problèmes, avant la misère économique.
Malheureusement, c'est surtout la vision catholique qui dans la pratique (pas seulement en paroles) est orientée vers cette solution, laquelle rencontre, par ailleurs, une grande opposition, n'étant pas ce que la culture globale, gnostique, veut que nous fassions. Cette culture globale voudrait que la foi catholique se résigne à devenir une éthique sociale utile au monde entier, en séparant la foi des œuvres. Et cette séparation ne peut que perpétuer la véritable indifférence - même masquée par des affirmations de convenance - envers les besoins de notre prochain, envers l'indigence, envers toute forme de pauvreté. N'oublions pas que (comme l'écrivit José Maria Escrivà) « plus qu'à donner, la charité consiste à comprendre ».

*

Mais pouvons-nous imaginer une solution du genre « pactes du Latran » du XXIe siècle à la suite desquels l'Eglise serait libre d'évangéliser, d'enseigner le Magistère, de consoler, de changer le monde avec sa foi opérative qui engendrerait la véritable charité, la véritable solidarité, et non de la philanthropie? Si cela était possible, avec qui traiter et discuter?

L'Eglise catholique apostolique, romaine, va de moins en moins se confronter et établir des accords avec l'Etat dans lequel elle vit, car cet Etat aura de moins en moins d'autonomie de pouvoir. Un Etat de plus en plus vidé de pouvoir réel, étant intégré dans un contexte indéfinissable que nous appelons par convention « monde global », n’ayant plus de culture ou de projet qui lui sont propres pour ceux de ses citoyens qui d’une certaine façon se reconnaissaient dans ce qu’on nomme racines chrétiennes.
Ne reconnaissant plus une nature humaine déterminée par son Créateur avec des lois naturelles, ces racines chrétiennes affirmaient encore jusqu'à il y a quelques décennies, une culture basée sur ces valeurs.
Dans le monde global qui s'est développé de façon accélérée pendant les trois dernières décennies, il y a une majorité de cultures où l'on voudrait que les religions n'aient pas un Dieu Créateur qui a établi des lois naturelles à respecter. Si Dieu n'est pas reconnu ou prévu par des Etats qui de plus en plus dominent économiquement et culturellement le monde global, ceux-ci ne se limiteront pas à une domination économique et parviendront bientôt à imposer de nouvelles cultures. En acceptant inévitablement leur culture on parviendra bientôt à la séparation de l'éthique comportementale de celle morale. Mais attention, la dignité de l'homme dans ces cultures envahissantes n'est pas toujours celle à laquelle nous sommes habitués, en dépit de siècles d'hérésies - Lumières, positivisme et nihilisme. Si le système culturel et politique du monde global décide que la nature est origine et fin en elle-même et qu'il n'y a pas de législateur et juge, et que les rapports sont réglés sur la base de ce que les Etats décident être les règles, le sens de la vie sera établi (plus que jamais) par la culture dominante qui inspirera le gouvernement du monde.
Je crois que personne ne s'étonne que depuis des décennies, les institutions internationales enseignent ce qui est bien et ce qui est mal et imposent des lois (de plus en plus mauvaises) concernant les droits et devoirs moraux, à ne pas discuter. L'Eglise aura du mal à enseigner que la vie a une signification surnaturelle et que l'on ne peut pas séparer la foi des œuvres.
Le risque est donc que les actions deviennent de plus en plus « pragmatiques », en accord avec une constitution agnostique dans un monde où le plus fort aura davantage raison, ne croira en rien et justifiera tout.
La conséquence prévisible de ce risque est que la religion universelle qu'on essayera de proposer sera une écologie (environnementalismo) naturaliste et panthéiste.
La gnose (séparation dualiste entre esprit et matière) provoquera une rupture supplémentaire entre la sphère naturelle et la surnaturelle, engendrant ainsi la rupture définitive entre les pouvoirs civil et religieux au niveau global. Il en résultera un passage progressif vers un sécularisme global qui effacera définitivement tout principe justificatif de tout ordre, toute hiérarchie, autorité et valeur morale. Ainsi, sans une « richesse morale » globale, l'injustice et la pauvreté matérielle vont de plus en plus augmenter au niveau global.

*

Mais cela n'implique-t-il pas un risque de perte d'influence morale de la part de l'Eglise?

Si par influence morale nous entendons le fait d'inspirer des normes qui se réfèrent à la Vérité absolue de notre foi, orientant la conduite des hommes, expliquant le sens des actions de façon cohérente avec le sens surnaturel de la vie, la réponse est « je crains que oui ». Si par morale nous entendons les normes de comportement éthique civil, par tous acceptées, mais qui ne se réfèrent pas aux lois d'un Dieu Créateur, je crois que ce risque n'est pas très élevé.
La conséquence du risque de perdre le rôle de guide moral de la part de l'Eglise ainsi que de la dégradation de la valeur anthropologique de la dignité humaine, pourra devenir aussi la perte d'une forme de démocratie dans le monde global avec un risque totalitaire. Les causes de ce risque se retrouvent dans l'imposition (à l'aide de justifications diverses: telles qu'empêcher les guerres, problèmes de racisme, de sexisme, etc.) d'un inévitable uniformisme rendu nécessaire par l'homogénéisation culturelle qui en réalité servira au pouvoir et qui finira par gagner en imposant une forme de totalitarisme, au moment pas encore bien perçue.
L'affirmation de la foi en un Dieu Créateur, en des lois naturelles réglant la Création, la dignité de l'homme créature de Dieu, l'importance de la naturelle individualité de l'homme et la conséquente inégalité/différence qui en résulte, pourrait même être considérée immorale et être punie.
Mais puisque l'homme ne peut pas se sentir égal aux autres, même s'il est économiquement et socialement semblable aux autres, ayant été créé individuellement et ayant une âme qui le différencie dans sa personnalité, on ne pourra plus être égalitaires que par coercition.
Jusqu'où pourra-t-on priver l'homme de sa liberté au travers d'une dictature imperceptible? Jusqu'où un nihilisme global rendant possible l'endoctrinement global sera-t-il possible? Mais au-delà de cela, combien de temps un pareil monde vidé de valeurs va-t-il durer? Sans valeurs l'homme perd sa valeur, que sera cette vie?
La majorité est comme la conscience individuelle: ou bien elle est formée et responsable, ou bien elle est inconsciente, conditionnable et provoque des dégâts irréversibles.
La fameuse égalité, par exemple, est incompatible avec la liberté qui produit justement l'inégalité.
L'injustice et la misère économique sont les effets de la misère morale qui à son tour cause envie, égoïsme, cupidité. Qu'arriverai-t-il si la foi catholique devenait « évolutionniste » et cédait sur les dogmes voulus par Dieu pour le bien de l'homme?
Il faut nous convaincre que dans le catholicisme il y a un absolutisme doctrinal basé sur la Révélation, qui explique qu'il doit affirmer un seul Dieu, une unique Foi, une unique Eglise, une unique Vérité. Etre tolérant envers son prochain et intolérant envers soi-même c'est du catholicisme, alors que tolérer des contradictions dans la foi n'est pas de la tolérance, c'est de la tiédeur.
Le fait de séparer la foi et les œuvres, d'accepter une forme de métamorphose du péché originel, de ne pas essayer d'expliquer la Vérité absolue qui est préliminaire à la liberté conduit les fidèles à accepter les conventions humaines au sujet de ce qui est une valeur, de ce qui est bon, licite, légal. Les conventions sont établies par les majorités, pas par les intelligences illuminées par la Grâce. Si ces majorités réussissaient à imposer une nouvelle théologie, celle-ci pourrait être contrainte d'incorporer les demandes modernes de morale, les traduisant (ou les justifiant) en vérités de foi. Si on arrivait à convaincre le catholique qu'il est prioritaire de s'occuper de pauvreté matérielle, si on pouvait humaniser le catholicisme en lui enlevant le surnaturel, on parviendrait à l'illusion de pouvoir rendre l'homme mûr, autonome, responsable, en le détachant de son union avec Dieu. Ce serait la fin.

*

Et donc, que devrait faire l'Eglise?

Je suis convaincu que l'Eglise doit s'efforcer d'affronter prioritairement ce problème, elle ne doit pas s'efforcer de « plaire », pour ne pas se faire exclure d'avance, mais elle doit être incisive.
Pour ce faire, elle doit être indépendante du pouvoir du monde, et elle doit l'être stratégiquement. Selon moi, ou bien l'Eglise parvient à convaincre le monde entier de l'importance de son autorité morale (ainsi que l'explique le Pape dans Lumen Fidei), indispensable au comportement (en pratique en catholicisant le monde), ou bien la foi catholique risque (à moins d'interventions surnaturelles) d'être progressivement éliminée, car dangereuse, en vue d'une nécessaire homogénéisation des valeurs dans le monde global.
Il s'agit là d'une considération forte, mais il ne faudrait pas s'en étonner, la tâche du catholicisme universel est en effet de convertir tout le monde, avec la parole et l'exemple. C'est la volonté du Christ, pas celle d'hommes plus ou moins capables.
Mais nous sommes déjà en train de vivre plusieurs symptômes de ce qui pourra advenir.
D'abord, nous sommes en train de vivre la progressive négation des droits d'exprimer des évaluations de ce qui est bien-mal, licite-illicite. Ensuite, le droit individuel de vivre pourrait être nié.
Si l'Eglise maintenait ses dogmes vivants, en permettant de les vivre de façon, disons, mondaine (selon les règles du monde) l'Eglise y gagnerait en applaudissements et compliments à cause de sa capacité à comprendre les exigences du monde, mais celui qui continuerait à vivre intégralement sa foi et les dogmes serait jugé sectaire, pourrait même être considéré hors de l'Eglise et « cloué au piloris » car dangereux pour la société uniformisée.
Si quelqu'un laissait penser que l'Eglise puisse être prête à l'acceptation de l'erreur et à déprécier le péché, eh bien il serait bon qu’il lise d'abord le magistère des Papes (surtout Lumen Fidei [*] du pape François, avec beaucoup d'attention) et fasse les exercices spirituels de Saint Ignace de Loyola. Dans un silence absolu.

----

[*] On observera que Ettore Gotti Tedeschi cite l’unique (à ce jour) encyclique de François, un texte dont on s’accorde généralement à attribuer la paternité à Benoît XVI

  © benoit-et-moi, tous droits réservés