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Les "conservateurs" catholiques contre François

Le point de vue (partisan, mais intéressant) de John Allen. Traduction d'Anna (18/10/2014)

Anna a traduit pour moi cet article de John Allen, et arrivée au bout de son travail, elle l'a regretté, jugeant sévèrement son parti-pris pro-François.
Je modulerais ce point de vue. Allen est un libéral dans tous les sens du terme, il jette sur les choses de l'Eglise (qu'il considère comme une institution strictement humaine, une simple multinationale) un regard qui se veut détaché, mais qui est surtout condescendant - un peu comme s'il couvrait la politique européenne, ou le Tour de France, enfin, quelque chose de non-américain, et par là-même un peu folklorique. Un regard partisan, à l'évidence, Allen est en plein dans le système, et il ne faut pas oublier qu'il y a encore un an, il travaillait pour le National Catholic Reporter, le "navire amiral du catholicisme de gauche" aux Etats-Unis.
Il collabore désormais à The Boston Globe, où il tient la rubrique hebdomadaire All Things catholique. Ses articles sont publiés entre autres titres par le New York Times, CNN, The Tablet.... C'est dire!
Ces limites étant admises, il dit des choses intéressantes (et très justes) sur la rupture que représente François, l'attitude à son égard des "conservateurs", et un autre problème crucial rarement abordé qui est celui de la désaffection des riches donateurs rebutés par ses options paupéristes et laxistes. Il y aura un "prix à payer" dit Allen. Un prix en espèces sonnantes et trébuchantes. Un "effet François" colatéral, en somme....

Il n'empêche, comme me l'écrit Anna: " Le dernier paragraphe sur le coup de fil à Palmaro mourant, comme exemple de la grande bonté de François, est insupportable".
Sans compter qu'il est totalement à côté de la plaque. L'héroïque Mario Palmaro ne s'est pas laissé acheter par une petite tape amicale sur la joue, il n'a pas été dupe un seul instant, et son associé Alessandro Gnocchi continue la lutte avec plus de pugnacité, si c'est possible..

Les faits auquels se réfèrent Allen sont tous documentés à différents endroits de ce site, je n'ai pas mis les liens.

     

LES CONSERVATEURS VONT-ILS SE RETOURNER CONTRE FRANÇOIS?
http://www.cruxnow.com/church/2014/10/16/will-conservatives-turn-on-pope-francis/
16 octobre 2014
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Alors que le Synode continue à produire des coups de théâtre, aujourd'hui sous la forme d'une décision surprise de publier les compte-rendus internes de ses débats, une question de fond mise en évidence par l'événement semble émerger clairement.
En un mot, est-ce qu'un tournant s'approche où les conservateurs qui étaient disposés à accorder au Pape François le bénéfice du doute, vont au contraire se retourner contre lui?
Des étiquettes comme "libéral" et "conservateurs" cachent souvent autant qu'elles révèlent, surtout si elles sont appliquées à l'Eglise. Toutefois elles saisissent quelque chose au niveau de l'ensemble, et le clivage entre droite et gauche est apparu particulièrement clair au cours des deux dernières semaines.
Bien avant le Synode du 5-19 octobre sur la Famille il y avait une petite mais bruyante aile de l'opinion catholique traditionaliste férocement critique envers le Pape.

En Février, l'écrivain et historien catholique italien Roberto de Mattei a mis en ligne dans le site de sa fondation Lépante un article affirmant que les événements depuis l'élection de François, y compris sa fameuse phrase sur les gays "Qui suis-je pour juger?", risquent de porter sur "une route qui conduit au schisme et à l'hérésie".
Un autre écrivain italien, Antonio Socci, vient de sortir un livre au titre "Ce n'est pas François: L'Eglise dans la Tempête ", affirmant en pratique que la résignation de Benoît XVI est invalide et que François n'est par vraiment le pape.
Dans le grand courant conservateur, nombreux sont ceux qui soutiennent que c'est le battage médiatique ou peut-être une involontaire ambiguité de la part du pape lui-même qui sont responsables de la fausse impression qu'il planifie un changement radical.
Ces derniers jours, toutefois, ces voix ont pris un ton plus dur.
On a vu un évêque paraguayen afficher ce qui suit dans son blog personnel: "Dans l'Eglise, et récemment en ses plus hautes sphères, de nouveau vents soufflent qui ne sont pas de l'Esprit Saint", faisant référenc à ce qui se passe au Synode.
Rogelio Livieres Plano, l'ex-évêque du diocèse de Ciudad Este, a dit "La situation est très grave, et malheureusement je ne suis pas le premier à remarquer que nous sommes en face du danger d'un grand schisme".
Livieres qui appartient à l'organisation catholique Opus Dei, a aussi accusé le cardinal retraité Walter Kasper et la revue éditée par les jésuites Civiltà Cattolica, qui a publié une fameuse interview avec François au début de sa papauté, d'être "les moteurs actifs portant à la confusion dans l'Eglise de Bergoglio".
Lundi soir, le cardinal américain Raymond Burke a ouvertement blâmé François de permettre à Kasper de semer la confusion dans l'enseignement de l'Eglise en matière de mariage, en promouvant son projet d'admettre les divorcés et remariés catholiques à la communion, suggérant en gros que le pape doit des excuses au monde.
Un claire affirmation de la doctrine Catholique de la part du Pape, a dit Burke, "n'a que trop tardé".

Tant Livieres que Burke ont eu les ailes coupées (!!)par le Pape François, et il y a peut-être quelque chose de personnel dans leur grief. Mais ils représentent aussi la ligne dure de l'aile conservatrice de l'Eglise.
La même chose ne peut pas être dite de l'Archevêque polonais Stanislaw Gradecki, qui s'est plaint cette semaine que l'accent du synode sur la miséricorde, une des jalons spirituels de François, ait été surjoué.
"On a donné l'impression que l'enseignement de l'Eglise a été jusqu'ici sans miséricorde, comme s'il ne commerçait que maintenant", a dit Gradecki.
Ce synode est en quelque sorte une procuration pour François, et la critique est souvent, au moins indirectement, aussi celle des forces qu'il a déchainées.
Il reste à voir jussqu'à quel point les détracteurs du rapport provisoire du synode de lundi, qui contenait une évaluation très positive des unions de même sexe et d'autres relations "irrégulières", seront tempérés par la relation finale adoptée dimanche.
Si le document final contient quelque chose ressemblant à l'avant-projet de Lundi, il est probable que les critiques contre Francois vont s'intensifier.
S'ajoutant aux rumeurs selons lesquelles dans un avenir proche, François va démettre Burke de sa position à la Signature Apostolique, le Tribunal suprême du Vatican, il n'est pas difficile d'imaginer que plusieurs catholiques de droite en déduiront, une fois pour toutes, que François n'est pas de leur côté.
Livieres a evoqué le spectre d'un schisme formel, mais la plupart des observateur le considèrent pour l'instant comme improbable.
Pour commencer, un schisme requiert un évêque disposé à couper avec Rome et à créer une église parallèle, et jusqu'à présent personne ne s'est porté volontaire pour ce rôle.
Ensuite, les conservateurs mécontents de l'actuel courant n'ont pas la même "stratégie de sortie" que les catholiques mécontents de gauche pour lesquels le lien avec l'Eglise institutionnelle n'a pas autant de valeur.
Il convient d'ailleurs de rappeler que c'est sous Paul VI, le dernier Pape modéré, que les graines du seul schisme formel qui a suivi le Concile Vatican II, ont été plantées, avec la rupture des traditionalistes par l'Archevêque français Marcel Lefebvre.

Lorsque dimanche François béatifiera Paul VI, il peut avoir une toute autre raison pour lui demander de l'éclairer.
Le scenario le plus probable est moins un schisme que deux autres options.
¤ La première, plusieurs conservateurs peuvent se situer dans un espèce d'exil intérieur, se concentrant dans leur paroisse locale, ou leur diocèse et ignorant le Vatican.
Un conservateur américain important a affirmé la semaine dernière qu'il a un bon évêque et une bonne situation dans son église locale et que pour sa santé spirituelle, il est décidé à ne pas prêter attention à Rome .
¤ La deuxième option est que des conservateurs peuvent cesser de défendre François, et de lui donner le bénéfice du doute, s'enfermant ainsi dans un cycle de suspicion et de désaccord avec pratiquement tout ce qu'il dit et fait.
Si cela arrive - et en quelque sorte le processus est déjà en cours - ce ne serait pas une nouveauté. Les deux options étaient pratique courante parmi les catholiques libéraux pendant les années de Jean-Paul II et Benoît XVI, la seule différence étant que la chaussure est désormais à l'autre pied (the shoe is on the other foot: expression imagée dont on comprend le sens dans le contexte).
Et pourtant il y aura un prix à payer.
Ceux que les gens considèrent généralement comme "conservateurs" catholiques sont souvent parmi les membres les plus dévoués de l'Eglise, servant entre autre chose comme important donateurs financiers. Déjà cette semaine, le chef d'un think tank conservateur à Rome dit qu'il a reçu un appel d'un de ses bienfaiteurs disant que si les choses continuent d'aller de cette façon, il arrêtera de payer.
Dans l'ensemble, les catholiques généralement décrits comme "conservateurs" sont souvent des gens qui apportent l'eau à l'Eglise à tous les niveaux, du local à l'universel. Si ce bassin de capital humain commence à se tarir, il peut se révéler très difficile pour François de poursuivre son agenda.
Quoi qu'en en dise, François n'est pas politiquement naïf et a déjà montré sa capacité à désarmer ses critiques.
Un exemple a été son appel inattendu à Mario Palmaro, un écrivain italien co-auteur d'une critique de François pour le journal Il Foglio avec le titre délibérément provocateur "Pourquoi ce Pape ne nous plaît pas", alors qu'il était très malade. Lorsque Palmaro a essayé de dire quelque chose à propos de son essai, François l'a interrompu "Je sais que vous avez écrit ces choses par amour", a dit le pape, "et j'avais besoin de les entendre".
François peut avoir besoin d'offrir de tels gestes de générosité dans le prochain futur… pour autant qu'il veuille vraiment éviter le point de non retour qui semble se rapprocher de plus en plus.







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