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Les Papes et les ouvriers

Le 26 mars 2011, Benoît XVI recevait les habitants de la cité industrielle de Terni, le grand centre sidérurgique d'Ombrie, qui subissaient de plein fouet la crise économique et craignaient pour leur emploi (3/9/2014)

>>> Photo ci-contre: Benedetto XVI Forum.

     

On va sans doute m'accuser d'en rajouter dans la comparaison entre les deux papes... mais en plus d'assumer, je plaide non coupable.

Je lis sur un forum fréquenté par des catholiques qu'on ne peut certes qualifier de progressistes une discussion intitulée "Le Saint-Père défend la classe ouvrière!".
Suit une dépêche de l'AFP, qui commente les propos du Pape François à l'issue de la catéchèse de ce jour.
Je me reporte au bulletin VIS de ce jour:

Saluant les pèlerins provenant du diocèse italien de Terni - Narni - Amelia, il a dit sa grande préoccupation pour les familles d'ouvriers des usines Thyssen-Krupp menacés de perdre leur emploi: Je renouvelle mon appel "à ce que la logique du profit ne l'emporte pas sur celle de la solidarité et de la justice. Au coeur de toute question, c'est la personne et sa dignité qui doivent prévaloir. On ne joue pas avec l'emploi! Quelle que soit la raison, financière ou commerciale, on ne doit pas sacrifier le travail mais respecter la dignité du travailleur".

Lisant le titre dudit forum - ce n'est pas une critique, plutôt une mise au point de ma part - , et l'article de l'AFP, et sans porter de jugement sur les propos du Pape, on a presque l'impression que les papes précédents étaient forcément du côté des patrons (il vaudrait mieux dire des multinationales) et du capitalisme impitoyable et se souciaient peu du sort des ouvriers. Heureusement, les choses ont (auraient) changé avec François, le pape qui LUI se préoccupe de justice sociale, au point que, dit l'AFP, les néoconservateurs américains l'ont accusé d'être "un Pape marxiste" (j'imagine que pour l'agence, ce n'est pas un défaut).

Rien n'est évidemment plus faux.
J'en veux pour preuve cette rencontre qui avait eu lieu le samedi 26 mars 2011, et qui m'est revenue en mémoire.
Le Pape recevait dans la Salle Paul VI des pélerins venus de Terni, l'important centre sidérurgique d'Ombrie, durement secoué par la crise économique, avec en 2004-2005 la fermeture du pôle d'acier électrique par la multinationale allemande Thyssen Krupp. Ils étaient accompagnés par leur évêque, Mgr Paglia, avant que ce dernier ne soit appelé à la Curie (au Conseil pontifical pour la famille)... et qu'un administrateur apostolique ne soit nommé pour assainir la situation financière de son diocèse - mais c'est une autre histoire.
Ces pélerins, très nombreux, venaient commémorer le 30e anniversaire de la visite de JP II à la "cité de l'acier".

Voici le discours du Pape (ma traduction d'alors)

     

Chers frères et sœurs,

Je suis très heureux de vous accueillir ce matin d'adresser mes salutations cordiales aux autorités présentes, aux travailleurs, et à vous tous qui êtes venus comme pélerins au siège de Pierre. ... Vous êtes venus en grand nombre à cette rencontre - je suis désolé que certains n'aient pu entrer -, à l'occasion du trentième anniversaire de la visite du pape Jean-Paul II à Terni. Aujourd'hui, nous voulons le rappeler de façon particulière, pour l'amour qu'il a montré au monde du travail: nous l'entendons presque répéter les premiers mots qu'il a prononcés, à peine arrivés à Terni: "L'objectif principal de cette visite, qui a lieu le jour de la Saint-Joseph... est d'apporter une parole d'encouragement à tous les travailleurs et à exprimer ma solidarité, mon amitié et mon affection" (19 Mars 1981).
Je fais miens ces sentiments, et je vous embrasse tous de tout coeur ainsi que vos familles.
Le jour de mon élection, je me suis présenté avec conviction comme un «humble travailleur dans la vigne du Seigneur», et aujourd'hui, avec vous, je voudrais rappeler tous les travailleurs et les confier à la protection de saint Joseph travailleur.

Terni est marquée par la présence de l'une des plus grandes usines d'acier, qui a contribué de manière significative à la croissance d'une réalité ouvrière. Un chemin marqué de lumière, mais aussi de moments difficiles, comme celui que nous vivons aujourd'hui. La crise de l'industrie met à dure épreuve la vie de la ville, qui a besoin de repenser son futur. Tout cela implique également votre vie professionnelle, et celle de vos familles.
Dans les paroles de votre évêque, j'ai entendu l'écho des préoccupations que vous portez dans votre cœur. Je sais que l'Église diocésaine les fait siennes, et ressent la responsabilité de vous être proche, pour vous communiquer l'Évangile de l'espérance et la force de construire un monde plus juste et plus digne de l'homme. Et elle le fait à partir de la source, l'Eucharistie.
Dans sa première lettre pastorale, L'Eucharistie sauve le monde, votre évêque vous a montré quelle est la source où puiser et où revenir pour vivre la joie de la foi et la passion d'améliorer le monde. L'Eucharistie dominicale est ainsi devenue le coeur de l'action pastorale du diocèse. C'est un choix qui a porté ses fruits; une participation accrue à l'Eucharistie dominicale, dont part l'engagement du diocèse pour le chemin de votre Terre. De l'Eucharistie, en effet, où le Christ se rend présent dans son acte suprême d'amour pour nous tous, nous apprenons à habiter dans la société en chrétiens, pour la rendre plus accueillante, plus ouverte, plus attentive aux besoins de chacun, surtout les plus faibles, plus riche d'amour. Saint Ignace d'Antioche, évêque et martyr, définissaient chrétiens ceux qui "vivent selon le dimanche" , autrement dit "selon l'Eucharistie". Vivre de manière "eucharistique" signifie vivre comme un seul corps, une seule famille, une société réunie par l'amour. L'exhortation à être "eucharistique" n'est pas une simple invite morale adressé aux particuliers, mais c'est beaucoup plus: c'est une exhortation à participer au dynamisme même de Jésus qui offre sa vie pour les autres, afin que nous soyons tous une seule chose.

Dans cet horizon s'inscrit également le thème du travail, qui aujourd'hui vous préoccupe, avec ses problèmes, surtout celui du chômage. Il est important de garder toujours présent à l'esprit que le travail est un élément fondamental à la fois de la personne humaine et de la société. Les conditions de travail difficiles ou précaires rendent difficiles et précaires les conditions de la société elle-même, les conditions d'une vie ordonnée selon les exigences du bien commun. Dans l'Encyclique "Caritas in Veritate" - comme l'a rappelé Mgr Paglia - j'ai exhorté à poursuivre sans relâche "et en priorité l'objectif de l'accès au travail et de son maintien pour tous" (n. 32).

Je tiens à souligner le grave problème de la sécurité au travail (1). Je sais que plus d'une fois, vous avez dû faire face à cette réalité tragique. Tous les efforts doivent être mis en place pour que la chaîne des mort et des accidents soit brisée.
Et que dire de la précarité du travail, surtout quand il concerne le monde de la jeunesse? C'est un aspect qui ne manque pas de créer de l'anxiété chez tant de familles! L'évêque a également mentionné la situation difficile de l'industrie chimique de votre ville, ainsi que les problèmes de l'industrie sidérurgique. Je vous suis particulièrement proche, mettant entre les mains de Dieu tous vos soucis et préoccupations, et je souhaite que, dans la logique de la solidarité et de la générosité, on puisse surmonter ces moments, afin de garantir un emploi sûr, stable et décent.

Le travail, chers amis, aide à se rapprocher de Dieu et des autres. Jésus lui-même était un ouvrier, il a même passé la majeure partie de sa vie terrestre à Nazareth, dans l'atelier de Joseph. L'évangéliste Matthieu souligne que les gens parlaient de Jésus comme du «fils du charpentier» ( Mt 13:55) et Jean-Paul II à Terni a parlé de l' "Evangile du travail", affirmant qu'il était "écrit principalement par le fait que le Fils de Dieu fait homme, a travaillé de ses propres mains. En effet, son travail, qui était un vrai travail physique, a occupé la plus grande part de sa vie sur cette terre, et il est ainsi entré dans l'œuvre de la rédemption de l'homme et le monde" (Discours aux travailleurs , Terni 19 Mars 1981). Cela en dit long sur la dignité du travail, et même sur la dignité spécifique du travail humain qui s'insére dans le mystère de la rédemption. Il est important de comprendre cela dans la perspective chrétienne. Souvent, cependant, il n'est vu que comme un moyen de gain, quand ce n'est pas, dans diverses situations du monde, comme un moyen d'exploitation et donc d'offense à la dignité de la personne humaine.

Je voudrais également mentionner le problème du travail le dimanche. Malheureusement, dans notre société, le rythme de la consommation risque de nous voler aussi le sens de la fête et du dimanche comme jour du Seigneur et de la communauté.


Chers travailleurs, tous chers amis, je voudrais conclure ces brèves paroles en vous disant que l'Eglise soutient, conforte et encourage tous les efforts visant à garantir à tous un travail sûr, digne et stable. Le Pape vous est proche, il est à côté de vos familles, de vos enfants, de vos jeunes, de vos aînés et vous porte tous dans son cœur devant Dieu. Que le Seigneur vous bénisse vous, votre travail et votre avenir. Merci

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(1) Les « morts blanches », dûes aux accidents du travail, sont une plaie sociale en Italie.

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