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Mais aujourd'hui, la foi est plus vivante...

En 1997, à l'occasion de la parution de sa biographie "Ma vie", le cardinal Ratzinger accordait une interviewe à la revue catholique de tendance libérale /"Famiglia Cristiana" (2/7/2014)

8 ans avant l'élection au Siège de Pierre - c'est donc un document d'un grand intérêt historique.
Relu 17 plus tard, on y retrouve cette grande continuité qui caractérise la pensée de Joseph Ratzinger/Benoît XVI.

     

«MAIS AUJOURD'HUI, LA FOI EST PLUS VIVANTE»
«Les situations de chrétienté se réduisent dans le monde, mais la foi, même si elle est minoritaire, est plus convaincue».
Angelo Bertani
23 avril 1997
http://www.stpauls.it/fc97/1797fc/1797fc78.htm
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Alors que sort en librairie «Ma vie: Souvenirs 1927-1997», le cardinal Joseph Ratzinger, bien qu'assiégé par mille engagements urgents, a voulu trouver le temps pour une interviewe à Famiglia Cristiana .
Dans son autobiographie, il reparcourt en effet le temps de la jeunesse, de sa formation théologique et de ses grandes responsabilités ecclésiales; et nous voulions ajouter quelques questions sur notre aujourd'hui .

Avec sa gentillesse et sa clarté habituelles, le cardinal a indiqué plusieurs points de difficultés et beaucoup d'autres d'espérance pour l'Eglise d'aujourd'hui: les problèmes doctrinaux, la relation avec les autres religions, le futur de la chrétienté, la distinction entre ce qu'on peut discuter et ce qui appartient à la doctrine de la foi. Et surtout, la nécessité d'apprendre à vivre dans l'Eglise dans le respect des sensibilités, vivant la primauté de l'amour .


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- Dans votre autobiographie, vous mentionnez les déviations après le Concile...

« Vatican II fut une tentative mondiale visant à présenter au monde d'aujourd'hui le sens de la foi chrétienne d'une manière nouvelle, mais naturellement fidèle. C'est justement cette tentative d'une nouvelle interprétation de l'Evangile du Christ toujours identique qui a fait croire à certains que tout devait changer, être différent ... Mais nouveauté et diversité ne sont pas la même chose. On en est venu à se demander s'il y avait encore l'autorité de l'Église et de la Tradition ou si tout pouvait être reconstruit avec les paramètres des sciences humaines et de l'analyse historique».

- Quels thèmes ont le plus suscité votre attention et votre intervention en qualité de sentinelle de la doctrine ?

« En synthèse: la présence de l'Evangile dans le monde contemporain était à repenser après le Concile, et ceci a créé réellement des dissensions profondes dans tous les aspects de la doctrine et de la vie chrétienne. Naturellement, cette crise était particulièrement sensible dans le domaine de l'éthique, où les défis d'une nouvelle ère ont également créé des problèmes nouveaux. Toute l'éthique chrétienne, l'anthropologie, l'éthique, politique et sociale, familiale et sexuelle devaient être repensées, et nous avons eu plusieurs problèmes. Je pense au cas de l'américain Curran (Charles Curran, théologien américain, né en 1934) , qui a présenté un éthique selon une clé plutôt laïque: intéressante, mais pas totalement fidèle à l'héritage chrétien. Ou à la théologie de la libération, une tentative de donner une nouvelle présence à la foi, mais de façon trop politique et partisane; etc. »

- Et maintenant?

« Maintenant, ce qui me semble particulièrement délicat, c'est le problème de la théologie des religions. L'idée se répand qu'au fond, le christianisme ne serait que l'une des religions du monde. La dimension divine, transcendante, resterait toujours cachée derrière les nuages du mystère. Et cela conduit à une relativisation et même à une dévitalisation de la foi, comme si elle n'avait plus une vérité réelle à dire, mais seulement des symboles à offrir».

- En ce qui concerne les autres religions, votre définition du bouddhisme comme "auto-érotisme spirituel" avait créé la polémique.

« Je n'avais pas été bien compris. Ce jugement ne s'appliquait certes pas au bouddhisme comme grand phénomène de l'histoire religieuse, avec de grandes intuitions et une vision très riche, qui a éduqué beaucoup de gens ... mais je parlais plutôt de son utilisation consumériste, d'un certain "marché" qui falsifie les grandes religions pour s'adapter aux goûts et aux modes du monde occidental moderne».

- Après une saison vivace, n'y a-t-il pas aujourd'hui un calme plat, l'abandon de la recherche et du débat?

« Dans un certain sens, il existe un manque de dynamisme, mais je vois encore aujourd'hui dans la nouvelle génération un grand désir de vivre la foi et de lui donner une présence dans le monde d'aujourd'hui. Le risque existe, mais il n'est pas général.»

- Dossetti (*) disait que dans le futur proche, la foi n'auront plus le soutien du milieu social, ni les instruments culturels d'une chrétienté.

« Certes, les situations de chrétienté se réduisent de plus en plus. Des sociétés jusqu'ici imprégnées par le christianisme deviennent de plus en plus païennes ou au moins religieusement neutres. Mais nous ne devons pas penser que la capacité de l'Evangile d'influer le rythme de la vie disparaisse complètement. Il est juste de faire ce qui est possible pour garder dans la société quelques-uns des éléments humanisants de la foi. Et pourtant, aujourd'hui, la foi devient "plus foi" dans le sens où elle n'est plus conditionnée par les coutumes d'une certaine société; elle est minoritaire, plus que dans le passé, mais plus vivante, plus confiante».

- Dans l'Eglise, on doit affirmer la primauté de l'amour. Mais l'œcuménisme semble être en crise. Pourquoi?

« La capacité d'aimer est le principal défi que notre Seigneur nous a confié. Bien sûr, ceux qui attendaient une sorte d'œcuménisme politique (aujourd'hui, nous discutons, demain, nous signerons un contrat) sont déçus par la "crise". En fait, il s'agit de processus vitaux. Nous devons apprendre cela, aller ensemble devant le Seigneur et avec le Seigneur, en nous aimant justement dans les contrastes qui existent et qui peut être féconds. Les séparations ont aussi le sens d'une purification mutuelle et nous apprenons peut-être de nouveaux modèles de patience et d'impatience œcuménique».

- Y a-t-il aujourd'hui dans l'Eglise dune place pour l'opinion publique, pour le dialogue entre des positions différentes sur ce qui est discutable?

« Ici, nous devons bien distinguer ce qu'on entend par opinion publique. Il y a les pensées, les évaluations, les choix faits par des chrétiens sur les enjeux éthiques de cette époque, ou sur l'Albanie ou l'Afrique et sur les questions politiques discutables, même s'ils contiennent un facteur éthique très important. Autres sont les valeurs de la vie ecclésiale, de la participation des laïcs; autres encore celles qui se rapportent à la vie liturgique; et enfin, il y a le plan doctrinal. Il me semble que nous n'avons pas encore appris l'art de faire la distinction entre ces différents niveaux. Sur le chemin vers le millénaire, il sera important que dans toute l'Eglise, jusque dans les paroisses, on apprenne à vivre ensemble entre mouvements et groupes divers, entre réalités et positions différentes, mais tous dans l'unité de la foi.

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NDT:
(*) Giuseppe Dossetti (1913-1996), théologien et religieux italien, participa aux travaux du Concile, où il a sans doute au moins croisé le jeune théologien Ratzinger.
Il est le fondateur de l'"école de Bologne" connue dans le monde entier principalement à cause de sa monumentale "histoire de Vatican II", mais il fut également acteur influent de ce même concile.
L'école de Bologne (dont le représentant actuel le plus médiatique est le théologien progressiste Vittorio Mancuso) représente la pointe la plus avancée, du point de vue progressiste, de l'interprétation de Vatican II comme "rupture" par rapport à une partie de la tradition (cf. Magister), et s'oppose donc à l'herméneutique de la réforme dans la contibnuité que Benoît XVI devait défendre lors des fameux voeux à la Curie romaine de décembre 2005.

Le Père Scalese consacrait à Dossetti un article en septembre 2009, à la suite de la parution d'une biographie, et il écrivait:

J'avoue que je ne connaissais pas le rôle de premier plan joué par Dossetti pendant le Concile Vatican II, comme "secrétaire des modérateurs" (ce qui explique pourquoi l'"école de Bologne", se soit ensuite considérée comme l'interprète autorisé de Vatican II et le gardien de l'authentique "esprit du Concile") . Je ne connaissais pas sa tentative de donner un tournant radical au Concile en mettant au vote la Déclaration sur la collégialité de l'Eglise, tentative qui trouva en Paul VI tenter un adversaire inflexible.

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