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François: les années d'exil à Cordobà

Les auteurs d'"Aquel Francisco", la biographie "argentine" du Pape, présentent leur livre dans un article sur l'OR, le jour de son anniversaire. Et le commentaire de Sandro Magister (19/12/2014)

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Photo ci-contre sur <Settimo Cielo>

>>> Cf. Une biographie argentine "autorisée" de François

J'ai déjà eu l'occasion de parler de cette curieuse biographie papale en octobre dernier, ici.
On trouvera ci-dessous la confirmation que le pape a suivi de très près la rédaction du livre, à laquelle il a personnellement participé.
Il est évidemment difficile d'en tirer des conclusions sur lui. Sauf cette question: pourquoi a-t-il fallu attendre plus d'un an et demi pour voir paraître enfin un travail d'enquête un peu plus sérieux que les ouvrages hagiographiques écrits à la chaîne depuis le 13 mars 2013, par ailleurs contrôlé par le principal intéressé, sur sa bigraphie en Argentine? Qu'ont fait les journalistes d'investigation, qu'on avait connus si pointilleux avec Joseph Ratzinger?

     
Le cadeau d'anniversaire de l'Osservatore Romano

LE PRIX DE LA SOLIDITÉ
Les années difficiles de Córdoba
Javier Cámara et Sebastián Pfaffen
L'Osservatore Romano
16 décembre 2014
(ma traduction)
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«Allo?»; «Allo? Oui? Qui est à l'appareil?», «Jorge Bergoglio»; «... pardon?»; «Jorge Bergoglio»; «Vraiment? Le Saint-Père?»; «Oui! Tu veux que je te le dise en cordobais?».
Lundi 3 Février 2014, avant midi, Jorge Bergoglio, le Pape François, m'a appelé à la maison.

Huit mois plus tôt, en Juin 2013, j'avais commencé à faire des recherches sur les jours que le Pontife actuel de l'Église avait passés à Córdoba, en tant que novice entre 1958 et 1960, puis en tant que prêtre entre 1990 et 1992.

En peu de temps, l'histoire que j'avais entre les mains est devenue plus grande que moi, alors je me suis tourné vers le collègue et ami Sebastian Pfaffen, témoin direct à Rome - en tant qu'envoyé spécial de la chaîne Canal 12 de Córdoba - du conclave historique qui a élu le premier Pape argentin et latino-américain, la même personne qui pendant plusieurs années a vécu dans notre ville. Ainsi, Sebastian est devenu co-auteur de ce livre (Aquel Francisco, Córdoba, Raiz de dos, 2014, 348 pages), et nous avons commencé à écrire l'histoire à la première personne du pluriel.

Il n'y a jamais eu d'interview formelle avec le pape. Mais il nous a éclairci quelques doutes et nous a offert quelques commentaires et souvenirs très importants sur ce que nous avions examiné et partagé ensemble.

L'histoire qui lie Bergoglio à Córdoba, les jours que l'actuel pape François a passés dans cette ville et dans cette province, d'abord comme novice jésuite, puis comme prêtre de l'ordre ignatien, sont essentiels à la compréhension de ses actions en tant que Pontife et aussi pour comprendre sa vision de Dieu, de l'Eglise, de la vie, de l'histoire, de la politique et de lui-même.

Il ne s'agit pas de minimiser la configuration de vie qu'ont imprimé en lui sa vie de famille comme enfant et adolescent, ses expériences pastorales d'enseignement et de gouvernement à l'extérieur de Córdoba. Et encore moins sa condition évidente de porteño (ndt: habitant de Buenos Aires, en génral fils d'immigrés né en Argentine). Mais il s'agit d'affirmer que ces séjours continentaux ont été des moments «cardinaux« dans la vie de l'homme qui est maintenant le Pasteur Suprême de l'Eglise. Dans ces pages, nous essayons de raconter tout cela.
Et lui, le Pape, le sait. Il approuve. Quand nous lui avons demandé ce qu'avaient signifié dans sa vie religieuse ses deux longs séjours dans cette ville, ses années de formation, ses visites de passage, les œuvres et les actes qu'il a accomplis ici comme provincial de la Compagnie, il a répondu avec conviction: «Mes années à Córdoba ont déterminé, d'une certaine façon, une solidité spirituelle. Parce que, d'abord comme novice, puis ces deux années, où j'étais là-bas en tant que prêtre, entre 1990 et 1992, qui étaient comme une nuit, avec une certaine obscurité intérieure, m'ont aussi permis d'accomplir mon travail apostolique, et m'ont aidé à me consolider comme pasteur».

Les explications de Sandro Magister

LE PÈRE JORGE ET SES CONFRÈRES.
Pourquoi ils voulaient se débarrasser de lui
Settimo Cielo
(ma traduction)
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Le jour de l'anniversaire de François, le 17 Décembre, égayé par le tango dansé sur la Place Saint-Pierre par des milliers de ses «aficionados», L'Osservatore Romano a publié une page d'un livre publié en Argentine , auquel Jorge Mario Bergoglio tient particulièrement et à la rédaction duquel il a lui-même participé.

Intitulée « Aquel Francisco», écrit par Javier Cámara et Sebastián Pfaffen, deux journalistes de Córdoba, paru chez Raíz de Dos, un éditeur de cette même ville, le livre reconstitue avec précision et avec une grande quantité de témoignages directs les deux périodes cruciales de la vie du pape actuel, passées précisément à Córdoba: les deux années de noviciat, entre 1958 et 1960, et surtout les deux autres années où il fut évincé de toute charge dans la Compagnie de Jésus, entre 1990 et 1992 , dans cette sorte d'exil qu'il aime aujourd'hui définir comme «purification intérieure».

Informés en Décembre 2013 par l'archevêque de Córdoba, en visite à Rome, que les deux journalistes écrivaient un livre à ce sujet sur cette double période de sa vie, François les a appelés au téléphone, non pas une mais plusieurs fois, et n'a pas lâché prise. Il échangea avec eux une abondante correspondance par mai. Il a puisé dans ses souvenirs et transformé le livre en une sorte d'autobiographie cordobaine, avec de nombreux jugements et récits [de lui] entre guillemets.

Il y a au moins deux points qui intriguent, dans ce livre.

Le premier concerne les véritables raisons qui ont causé la chute en disgrâce de Bergoglio dans la Compagnie de Jésus, après qu'il en ait été, dans les années soixante-dix, le numéro un argentin.
Celui qui l'envoya en exil à Córdoba était un jésuite qui le connaissait de très près, le père Víctor Zorzin, qui avait été son «associé», c'est-à-dire le second de Bergoglio quand celui-ci était à la tête de la province argentine, et qui en 1986, devint le provincial, restant en charge jusqu'en 1991.
Entre Zorzin et Bergoglio, il y avait un profond désaccord sur les méthodes de gouvernement, de même qu'entre Bergoglio et le successeur Zorzin, le père Ignacio García-Mata, provincial de 1991 à 1997.
Ce désaccord se concrétisa - c'est ce que prouvent les auteurs du livre - dans une «campagne de diffamation» insistante contre Bergoglio, à laquelle, à Rome, le supérieur général de la Compagnie de Jésus lui-même - à l'époque le Néerlandais Peter Hans Kolvenbach - fut sensible. On fit circuler le bruit - comme en témoigne entre autres le père Ángel Rossi, actuel supérieur de la résidence cordobaine où Bergoglio avait été exilé - que cet ex-provincial des jésuites, autrfois «si brillant», avait été envoyé en isolement à Córdoba «parce que malade, fou».

Celui qui en 1979 remplaça Bergoglio en tant que provincial, et est resté son ami, le Père Andrés Swinnen, fournit pourtant aujourd'hui une explication plus consistante. La «faute» de Bergoglio fut de continuer à exercer un fort leadership personnel sur une fraction de la Compagnie, même après qu'il n'y eût plus de rôle de dirigeant. On l'avait d'abord nommé recteur du Colegio Máximo de San Miguel, puis on l'avait expédié en Allemagne, à Francfort, pour y faire un doctorat, mais il rentra très vite en Argentine, après quoi on le muta pour enseigner la théologie au Colegio del Salvador. Pourtant, partout, il a continué à agir - dit le père Swinnen - «comme un supérieur parallèle», influençant de nombreux jésuites, en particulier les jeunes, en une décennie où plus d'une centaine d'entre eux avaient quité l'ordre et le sacerdoce. Et cet exode aussi lui fut imputé, bien que «la majorité des sortants appartînt au groupe de ceux qui n'étaient pas du côté de Bergoglio mais voulaient se débarrasser de lui».

Une autre révélation intéressante du livre concerne ce que Bergoglio a écrit au cours des deux années d'exil à Córdoba.
Dans cette ville, Bergoglio raconte aujourd'hui qu'il a écrit deux livres: «Reflexiones en esperanza» et surtout «Corrupción y pecado», ce dernier inspiré d'un épisode dramatique de 1990, le meutre d'un jeune de dix-sept ans, à Catamarca, par des membres de la haute société.
Le thème de la «corruption» revient constamment dans la prédication de François. Mais il y a aussi un autre de ses écrits de la période de Córdoba qui réapparaît avec force dans son magistère de pape.

«A Córdoba - révèle Bergoglio dans 'Aquel Francisco' - je me suis remis à étudier pour voir si je pouvais avancer un peu dans l'écriture de ma thèse de doctorat sur Romano Guardini. Je n'ai pas réussi à la terminer, mais cette étude m'a beaucoup aidé pour ce qui m'est arrivé après, y compris la rédaction de l'exhortation apostolique 'Evangelii gaudium', dont la section sur les critères sociaux est entièrerement tirée de ma thèse sur Guardini».

Et c'est bien le cas. Dans 'Evangelii gaudium', il y a une citation de Guardini, de son essai «La Fin des temps modernes» (traduit en français en 1952, ed. du Seuil, cf. www.laprocure.com). Et elle se trouve au sein de la section (§217-237) dans laquelle François illustre les quatre critères qui, à son avis, sont ceux qui favorisent le bien commun et la paix sociale: 1. le temps est supérieur à l'espace; 2. l'unité prévaut sur le conflit; 3. la réalité est plus important que l'idée; 4. le tout est plus grand que la partie.

Ces critères sont en permanence présents chez François. Non seulement dans sa prédication, mais aussi dans sa façon de gouverner l'Eglise.