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Le Maître de la Terre

La préface de Mgr Luigi Negri au roman prophétique de Robert Hugh Benson (24/1/2015)

Une société dans laquelle il n'y a donc plus de différences, aucun genre de différences: qu'elles soient religieuses, sociales, culturelles, elles sont ressenties comme négatives et la tentative est de réaliser une unification, une uniformisation pourrait-on dire de la planète entière.

(...) L'intuition de Benson est qu'on irait vers une négation de Dieu à travers la construction d'une société objectivement sans Dieu.
Or, afin que cette société se construise, il faut diviniser la tentative qu'on est en train de réaliser, comme aux temps de la construction de la tour de Babel; il faut absolutiser le projet et on doit diviniser ceux qui réalisent ce projet et comme la logique de l'unité est une logique strictement humaine, il faut absolutiser celui qui est effectivement en train de guider cette opération.

Il a été question à différents endroits de ce site du livre prophétique de Robert Hugh Benson, traduit en français sous le titre "Le Maître de la Terre".
La dernière fois, c'était en mai 2013: benoit-et-moi.fr/2013-II/livres-dvd/le-maitre-de-la-terre - reprenant un autre article d'août 2011 (ici).

Le pape François l'a évoqué à plusieurs reprises, encore tout récemment, dans l'avion de retour des Philippines (version "officielle" ici: w2.vatican.va).
Sans exclure évidemment l'hypothèse d'une parfaite sincérité de sa part, l'habile homme de médias que beaucoup voient en lui ne peut pas ignorer que des esprits malicieux ont pensé au roman de Benson devant le printemps de l'Eglise inauguré le 13 mars 2013...

Mgr Negri a préfacé la ré-édition italienne du livre: il me semble que cette préface remonte à 2011, donc est bien antérieure à l'avènement de François, mais ses propos trouvent un écho particulier aujourd'hui.
Voici la traduction de la préface, par Anna, qui a trouvé ce texte sur le site cristianesimocattolico.wordpress.com , repris d'un article publié le 21 janvier sur www.tempi.it.

Seule une présence peut nous sauver de l'Antéchrist soft.

Le Pape François en a parlé plusieurs fois, la dernière lors de son voyage de retour des Philippines, et en a vivement recommandé la lecture.
Il s'agit du "Maître du Monde", roman dystopique écrit en 1907 par Rober Hugh Benson (1867-1914).
L'auteur, fils d'anglicans, se convertit au catholicisme et devint prêtre en 1904. Son roman se situe dans le futur et raconte la prise du pouvoir par Julian Felsenburg, derrière lequel se cache l'Antéchrist, et qui au nom de l'humanitarisme et du communisme, abat l'Eglise catholique et conquiert le monde.
A l'occasion du centenaire de la disparition de l'auteur, le roman a été re-publié par
Fede e Cultura dans une nouvelle traduction.
Avec l'aimable autorisation de l'Editeur, nous reproduisons la préface écrite par Mgr. Luigi Negri, archevêque de Ferrara-Comacchio.

* * *

Très chers amis,
je suis heureux de pouvoir accompagner avec quelques mots la ré-édition du "Maître du Monde", un des livres qui a le plus profondément influencé ma personnalité. Je peux d'ailleurs vous dire qu'en parlant avec le Saint Père Benoît XVI, il m'a confié que pour lui aussi, la lecture du Maître du monde, dans la première édition allemande, fut un événement de grande importance. Ecrit en 1907 par un grand chrétien, ce livre est une prophétie terrible par la réalité et la spécificité du monde où nous vivons et du parcours qui a conduit à ce monde. D'un côté, cet énorme système qui uniformise les personnes, groupes sociaux, les nations, les peuples, sur la base d'un humanisme essentiellement athée, avec des références à des valeurs communes qui sont des valeurs chrétiennes profondément laïcisées et sécularisées.

Une société dans laquelle il n'y a donc plus de différences, aucun genre de différences: qu'elles soient religieuses, sociales, culturelles, elles sont ressenties comme négatives et la tentative est de réaliser une unification, une uniformisation pourrait-on dire, de la planète entière.
Il y a aussi les différences qui surgissent menaçantes comme tout l'est, tout l'orient, mais au delà de la spécificité des situations, l'intuition de Benson est qu'on irait vers une négation de Dieu à travers la construction d'une société objectivement sans Dieu.
Or, afin que cette société se construise - et celle ci est également une intuition formidable - il faut diviniser la tentative qu'on est en train de réaliser, comme aux temps de la construction de la tour de Babel; il faut absolutiser le projet et on doit diviniser ceux qui réalisent ce projet et comme la logique de l'unité est une logique strictement humaine, il faut absolutiser celui qui est effectivement en train de guider cette opération.
Voici l'image de Julian Felsenburg qui est en substance l'antéchrist, l'antéchrist soft, mais l'antéchrist d'une société qui veut se passer de Dieu et donc du Christ. Mais l'intuition formidable, non seulement au niveau de l'analyse culturelle et sociale, mais bien du point de vue ecclésial est que Benson indique la voie que l'Eglise ne peut pas ne pas parcourir, même dans les terribles situations dans lesquelles elle vit, la voie de la présence, d'être des chrétiens présents comme l'a rappelé le Saint Père Benoît XVI.

Face à cette présence qui se réduit progressivement, numériquement de façon effrayante mais sans s'épuiser, en dépit des tentatives contre cette différence, tous les moyens sont utiles, mais surtout est réhabilitée la violence, une violence cynique, parce que dès que la peste du christianisme aura été éliminée la société pourra faire voile vers le futur sans retenue ni conditionnements. On poursuit donc et on réalise la destruction totale de Rome et de toute possible émergence de la grande tradition chrétienne.

Humanisme athée et violence envers le christianisme, l'Eglise résiste toutefois, elle se réduit progressivement, et garde un fort sentiment de l'unité autour de Pierre et de son successeur. Et pourtant, même en étant très gravement conditionnée, elle ne meurt pas et même si c'est en des proportions numériquement réduites elle reste une réalité vivante, coagulée autour de cette grande idée d'un seul ordre religieux du Crucifié , qui a été la grande intuition du protagoniste du roman qui finira per être le Pape extrême.
Voilà, je crois que l'Eglise d'aujourd'hui doit apprendre, non pas de l'examen socioculturel, mais bien de ce vigoureux rappel à la vérité de la communion ecclésiale, à la force du témoignage, à la nécessité d'aller en mission, se confrontant à toutes les tentatives de violence, même celle qui éclate au sein du Sacré Collège, réduit a quelques unités et qui reproduit, de manière dramatique, la trahison de Judas.

Le chemin que ce livre nous a fait parcourir est néanmoins un chemin de santé culturelle, intellectuelle et morale et pour les chrétiens il peut se révéler une aide dans la re-découverte du caractère extraordinaire de l'expérience de la foi et de la responsabilité de la mission.

Luigi Negri

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