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Le programme du Vénérable Pie XII

à travers sa première encyclique "Summi Pontificatus". Un article datant de 2010, moment où un acte courageux de Benoît XVI décrétait Pie XII vénérable, ouvrant la voie à la béatification - aujourd'hui à l'arrêt

Cet article fait partie d’un «dossier» du site Riscossa Cristiana en octobre 2010, à l'occasion de la publication du décret de Benoît XVI sur les vertus héroïques du Vénérable Pie XII. Il mérite sa place dans le brouhaha qui s'annonce autour la sortie du film « Sfumature di verità - une opération cinématographique qui pourrait avoir été supervisée par le Conseil Pontifical pour la Culture et son président le cardinal Ravasi.

La traduction en français de Summi Pontificatus est accessible sur le site du Saint Siège.

Il faudrait en recommander vivement la lecture. Nous qui avons soif du langage clair du Cardinal Burke et nous précipitons sur ses interviews dès qu'elles paraissent, nous devrions d'autant plus nous précipiter sur ce que Pie XII a écrit et qui semble être adressé à nous, aujourd'hui.
(Anna)

Le programme du Vénérable Pie XII à travers sa première encyclique "Summi Pontificatus".

www.riscossacristiana.it/il-programma/
Emilio Artiglieri, Secrétaire et Coordinateur du Comité « Papa Pacelli »
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Le Comitato Papa Pacelli qui rassemble des centaines de représentants, surtout laïques, du monde de la culture, des professions, du journalisme, des arts, dans le but de mieux faire connaître la figure du Vénérable Pie XII, entend ici célébrer l'acte de Benoît XVI autorisant la promulgation du Décret qui en reconnaît les vertus héroïques, avec la présentation de sa première Encyclique dont a été célébré, entre autres, en ce dernier mois d'octobre, le 70ème anniversaire.

Comme l'écrit le Père Robert A. Graham, dans un article fondamental sur le sujet (L'enciclica "Summi Pontificatus" e i belligeranti nel 1939. La "strana neutralità" di Pio XII, in La Civiltà Cattolica a. 135, 1984, vol. IV page. 137-151), "toute première encyclique revêt un intérêt particulier puisque, dans la nature des choses, elle est comme une sorte de programme du nouveau Pontificat".
C’était d'autant plus vrai en 1939, alors que l'Europe venait de replonger dans une nouvelle guerre fratricide, avec la réelle possibilité que le conflit s'élargisse à d'autres pays et d'autres continents. En de telles circonstances, que pouvait faire un Pape sinon proposer un guide moral à ses fidèles de l'un et de l'autre camp, énoncer les principes de caractère social et préparer les cœurs à une éventuelle honorable réconciliation?

Dans son analyse, Pie XII prenait pour cible les caprices arbitraires des pouvoirs étatiques, mettait en garde contre une moralité sans Dieu et exaltait la solidarité du genre humain contre les divisions introduites par le racisme.
En conclusion du document, le Saint Père ne put éviter d'aborder un sujet "spécifique"; le sort des polonais et de la Pologne. Ses remarques, bien que concises, suscitèrent une irritation spéciale en Allemagne où elles furent considérées comme non neutres…:

"Le sang d'innombrables êtres humains, même non combattants, élève un poignant cri de douleur, spécialement sur une nation bien-aimée, la Pologne qui …attend, confiante dans la puissante intercession de Marie Auxilium Christianorum, l'heure d'une résurrection en accord avec les principes de la justice et de la vraie paix".

C'était en nette opposition, remarque encore le Père Graham, avec les phrases crues prononcées juste avant par Hitler devant le Reichstag. L'allusion à la "résurrection"….suffisait, du point de vue de Berlin, à montrer que le Pape acceptait les thèses françaises, selon lesquelles la guerre serait terminée avec la défaite de l'Allemagne. Peut-être qu'aucun autre document papal des années de guerre ne fut aussi important pour faire connaître avec clarté à l'opinion publique l'attitude de Pie XII" (p. 138).

Le père Graham attire encore notre attention sur le fait que "le signe le plus spectaculaire de la signification que la Summi Pontificatus avait pris aux yeux des contemporains fut le lancement, de la part de l'Aviation française, de milliers de ses copies sur le territoire allemand.
Qui pourrait douter, se demande le père Graham, que le "bombardement" soutenu reflétait la conviction des français que l'Encyclique constituait une bonne propagande anti-allemande?" (ibidem, pp. 138-140).

A son tour l'Angleterre, par la voix de son Secrétaire des Affaires Etrangères le vicomte Halifax, déclarait que le document papal "de notre point de vue peut être considéré comme vraiment satisfaisant" (ibidem p.141).

A ce jugement correspondait de façon symétrique celui allemand, qui affirmait, selon les termes de Reinhard Heydrich, chef du bureau responsable de de la sécurité du Reich, que: "L'Encyclique est dirigée uniquement contre l'Allemagne sur le plan idéologique comme aussi en ce qui concerne le conflit germano-polonais. Le danger qu'elle représente pour la politique intérieure et extérieure est évident" (ibidem p.143; voir M.L. Napolitano, Pio XII tra guerra e pace. Profezia e Diplomazia di un Papa (1939-1945), Roma 2002, p. 94).

A part les paroles des protagonistes, les faits indiquent de toute façon combien l'attitude de Pie XII, d’opposition directe au Troisième Reich, fut bien claire depuis le tout début.

Nous avons déjà mentionné le lancement de milliers de copies du texte de l'encyclique par l'Aviation française: le geste s'explique par le fait que, du côté allemand, de très sérieux obstacles étaient créés à la diffusion de l'Encyclique.

On en a confirmation, entre autres, dans une lettre que le bienheureux Clemens August Von Galen, l'intrépide Evêque de Münster, adressa à Pie XII le 29 janvier 1940:

" Dès la réception du texte de l'Encyclique de Votre Sainteté Summi Pontificatus du 20 octobre 1939, j'ai veillé à faire en sorte que son texte intégral fût reproduit et distribué à mes fidèles. Je n'ai toutefois trouvé aucune imprimerie qui jugeât opportun de pouvoir courir le risque d'assurer l'impression du texte de l'Encyclique.
Suite à une demande d'information envoyée à Berlin, on me fit savoir que, en cas d'impression et de diffusion de l'entière l'Encyclique, on aurait recours aux mesures de police
Le 15 novembre 1939 la Centrale de la Gestapo de la ville de Münster, distribuait à tous les postes de police locaux une directive, dont ci-joint une copie, donnant ordre de surveiller la lecture et la diffusions de l'Encyclique dans toutes les Eglises et de dénoncer tous les religieux impliqués" .
(voir S. Falasca, Un Vescovo contro Hitler. Von Galen, Pio XII e la resistenza al nazisme. Cinisello Balsamo, 2006, p. 143).

Von Galen poursuit son récit, expliquant comment il réussit à contourner, au moins en partie, les iniques restrictions:

"Et néanmoins, afin de porter au moins en partie, à la connaissance des fidèles de mon diocèse les enseignements importants et les exhortations bénéfiques de Votre Sainteté, je me suis permis d'utiliser, dans la Lettre Pastorale pour le Carême ci-jointe, de larges passages tirés de l'Encyclique" (ibidem).

La solution adoptée par Von Galen, d'insérer de longues citations de l'Encyclique dans les Lettres Pastorales du Carême de 1940, fut adoptée aussi par d'autres évêques allemands, sauf par l'Archevêque de Fribourg Mgr Gröber, qui commenta directement le document papal de sa chaire dans la nuit de la Saint Sylvestre de 1939, recevant pour cela la mention explicite de Pie XII et provoquant la colère du précité Heydrich (voir R.A. Graham, article cité, p. 147).

Mais à part la référence à la situation polonaise, quels étaient les contenus de l'Encyclique qui semblaient une attaque directe à la politique nazie?

Pie XII jugeait le conflit qui venait d'éclater comme étant la conséquence de néfastes erreurs consolidées dans le temps.

1. La première erreur, écrit l'Encyclique, et qui représente "la racine profonde et uktime des maux que Nous déplorons dans la société moderne" est la "négation et le rejet d'une règle de moralité universelle, soit dans la vie individuelle, soit dans la vie sociale et dans les relations internationales".

2. La deuxième erreur est l'oubli de la loi de charité, c'est à dire "est l'oubli de cette loi de solidarité humaine et de charité, dictée et imposée aussi bien par la communauté d'origine et par l'égalité de la nature raisonnable chez tous les hommes, à quelque peuple qu'ils appartiennent, que par le sacrifice de rédemption offert par Jésus-Christ sur l'autel de la Croix à son Père céleste en faveur de l'humanité pécheresse."

3. La troisième erreur est représentée finalement, selon Pie XII, par ces conceptions "qui n'hésitent pas à délier l'autorité civile de toute espèce de dépendance à l'égard de l'Etre suprême, cause première et maître absolu, soit de l'homme soit de la société, et de tout lien avec la loi transcendante qui dérive de Dieu comme de sa première source. De telles conceptions accordent à l'autorité civile une faculté illimitée d'action, abandonnée aux ondes changeantes du libre arbitre ou aux seuls postulats d'exigences historiques contingentes et d'intérêts s'y rapportant."

Telles sont, selon la leçon du Pape Pacelli, les grandes ruptures opérées dans corps de la vie sociale et qui ont préparé les conditions favorables à l'éclatement du conflit armé.
Le sens d'une vraie moralité s'est en effet cassé, pas uniquement celle des individus, mais celle des Etats aussi : le lien de la charité surtout s'est cassé, avec la diffusion des lois raciales qui, brisant la fondamentale unité du genre humain et portant atteinte au lien de la paternité de Dieu, ont permis que se répète le geste de Caïn, agresseur et tueur de son propre frère; on a voulu enfin émanciper l'Etat de Dieu, l'établissant donc comme le but ultime et suprême des citoyens, arbitre de la loi et de la moralité, doué d'une autorité absolue, limitée en aucun cas ni de personne, au point de nier avec les droits de Dieu aussi bien ceux des hommes, au point de violer jusqu'à l'intimité de la conscience, au point d'envahir le champ sacré de la famille, alors que dans les relations entre les peuples s'ouvrait la voie à la violation du droit d'autrui et devenait de plus en plus difficile l'entente et la pacifique coexistence entre les nations.
On voit bien (et cela fut en effet bien vu, de part et dautre), dans les arguments de Pie XII, une explicite condamnation du totalitarisme nazi et du paganisme "corrompu et corrupteur", qui grâce à lui tentait de resurgir, détruisant ce qui restait de la civilisation chrétienne, surtout avec la reconnaissance de l'unité de la famille humaine sous la loi de la charité.

Et au cas où les mots n'auraient pas suffi, il les fit suivre immédiatement après par un "fait".

L'Encyclique fut publiée le 27 octobre 1939. Rentrant de Castelgandolfo le 28 octobre, le Pape Pacelli conférait le jour suivant, fête du Christ Roi, dans la Basilique de Saint Pierre, la consécration épiscopale à 12 évêques missionnaires de toutes les nations et races, dont 4 indigènes, réaffirmant ainsi l'universalité de l'Eglise romaine.
Dans l'homélie prononcée lors de ce rite sacré, Pie XII soulignait que "alors que le désir des choses terrestres (?), les haines intestines et les jalousies trop souvent séparent et divisent les âmes des hommes, l'Eglise de Dieu, Mère très aimante de tous les peuples, embrasse avec immense charité toute la famille humaine, sans distinctions de races et de grade, et pourvoit, autant avec la prière qu'avec l'action externe, au salut et au véritable bonheur de tous" (reporté dans L'opera della Santa Sede per la pace. Nel I anniversario di Pontificato di S.S. Pio PP. XII. Testi e documenti, Milano, 1940, p.94).

Serait-ce là le Pape "de Hitler"?

Non seulement l'affirmer serait une folie, mais également ne pas le nier vigoureusement serait presque une revanche sardonique de ceux qui s'étaient sentis, à juste titre, visés par les propos sans équivoque du programme pacellien, basé sur des principes de justice, de paix et de fraternité universelle, un programme auquel s'est inspiré tout son "héroïque" Pontificat, surtout dans les terribles années de la guerre, et qu'aujourd'hui, grâce à Benoît XVI, nous pouvons certainement désigner comme tel.

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