Page d'accueil

Pie XII s'adresse aux artistes

Discours prononcé le 5 septembre 1950 devant les artistes catholiques

>>>
Dossier Pie XII

L’art aide les hommes, nonobstant toutes les différences de caractère, d’éducation, de civilisation, à se connaître, à se comprendre, du moins à se deviner mutuellement et, par suite, à mettre en commun leurs ressources respectives en vue de se compléter les uns par les autres. Une première condition s’impose pour que l’art puisse produire un si désirable résultat : à avoir sa valeur expressive, faute de laquelle il cesse d’être un art véritable. La remarque n’est pas superflue aujourd’hui où trop souvent, en certaines écoles, l’œuvre d’art ne suffit pas par elle-même à traduire la pensée, à extérioriser les sentiments, à révéler l’âme de son auteur. Mais dès lors qu’elle a besoin d’être expliquée en langage verbal, elle perd sa valeur de signe pour ne servir à procurer aux sens qu’une jouissance physique, qui ne dépasse pas leur niveau, ou à l’esprit celle d’un jeu vain.

Digression...

Voici l'éditorial du TGV Magazine de ce mois-ci (cf. lesalonbeige.blogs.com)

Carré blanc sur fond blanc

1918. En réalisant son Carré blanc sur fond blanc, Kasimir Malevitch signe pour beaucoup la mort de la peinture. Pour l'artiste, au contraire, il s'agit d'une étape vers une plus grande liberté. 2015, l'art contemporain n'en finit pas d'être libre. La dernière tendance, c'est l'art invisible ou l'arty show. C'est rigolo en français, ça sonne comme un nom de légume, mais dans les galeries branchées on se bouscule. Certains artistes font disparaitre leurs œuvres, pour quelque temps ou pour toujours, l’absence, les amoureux le savent, créant le désir. D'autres vont plus loin et produisent des performances invisibles, à l'heure du tout/trop visible, tout/trop matérialiste. Ainsi, à New York à l'automne dernier, le show Generator de l'artiste serbe Marina Abramovi n'avait rien à montrer, à vendre, à photographier. Les yeux bandés, un casque sur les oreilles, dans un espace vide, les visiteurs étaient là juste pour ressentir l'énergie produite par l'artiste. Less is more.

Un commentaire à ce tissu d'âneries serait aussi superflu qu'un trait de crayon sur le génial carré blanc de Malevitch.
C'est à ce chef-d'oeuvre de stupidité (côté commentaire) et d'escroquerie pas seulement culturelle (côté "artiste') que j'ai pensé en lisant cette "allocution aux artistes catholiques" prononcée par Pie XII le 5 septembre 1950. Evidemment, on m'objectera que c'était une autre époque... En effet!

Je n'oublie pas non plus que le 21 novembre 2011, dans la Chapelle Sixtine, Benoît XVI avait lui aussi rencontré les artistes. Le choix (discutable) des invités, par Mgr Ravasi - qui n'avait pas encore reçu la barrette cardinalice - avait soulevé quelques polémiques.... pas dans le milieu habituel, mais Benoît nous avait régalé d'une inoubliable "leçon de beauté".

¤ Dossier ici: benoit-et-moi.fr/2009.
¤ Discours du Pape: w2.vatican.va.

Le discours de Pie XII

C’est une opportune et utile initiative que vous avez prise, très chers fils, en suscitant et organisant parmi vous le premier Congrès international des artistes catholiques, dont Nous sommes heureux de saluer ici les distingués représentants. On a déjà tant parlé de l’art, sujet inépuisable ! Votre présente démarche Nous invite à mettre en relief — très brièvement — la part de l’art dans l’oeuvre de la Paix.

Les agitations d’un monde ébranlé dans son fondement, les mésintelligences des esprits, les oppositions des intérêts, les ombrages d’un particularisme hypersensible, ont, malgré la multiplication des contacts et des rapprochements matériels, accentué les isolements, élargi et approfondi les distances morales. L’excès même du mal a mis petit à petit en plus vive lumière la nécessité d’unir dans une communauté d’action toutes les forces dispersées des nations et des peuples désireux de la paix. Ce n’est pas d’aujourd’hui ni d’hier que datent partout les efforts persévérants et habiles en vue de se ménager l’alliance ou la coopération des autres pays. Les événements actuels en ont souligné, non pas la vanité et l’inutilité, mais bien l’insuffisance et l’instabilité.

Alors, on s’est mis avec une louable ardeur à promouvoir, en dépit des difficultés de toutes sortes, des unions internationales d’ordre politique, économique, social. Bien vite, on a constaté qu’il était encore besoin de quelque chose de plus intime, de plus humain, et l’union — tout au moins des unions partielles — ont commencé à se former sur le terrain technique, scientifique, culturel. Dans cet ordre intellectuel, l’union des artistes catholiques qui célèbre actuellement son premier Congrès, tient une place des plus estimables.

Cela va de soi, étant donné d’abord que l’art est, à certains égards, l’expression la plus vivante, la plus synthétique de la pensée et du sentiment humain, la plus largement intelligible aussi, puisque, parlant directement aux sens, l’art ne connaît pas la diversité des langues, mais seulement la diversité extrêmement suggestive des tempéraments et des mentalités. De plus, par sa finesse, sa délicatesse, l’art, auditif ou visuel, pénètre dans l’intelligence et la sensibilité de l’auditeur à des profondeurs où la parole, soit écrite, soit parlée, avec sa précision analytique, insuffisamment nuancée, ne saurait atteindre.

Pour ces deux raisons, l’art aide les hommes, nonobstant toutes les différences de caractère, d’éducation, de civilisation, à se connaître, à se comprendre, du moins à se deviner mutuellement et, par suite, à mettre en commun leurs ressources respectives en vue de se compléter les uns par les autres. Une première condition s’impose pour que l’art puisse produire un si désirable résultat : à avoir sa valeur expressive, faute de laquelle il cesse d’être un art véritable. La remarque n’est pas superflue aujourd’hui où trop souvent, en certaines écoles, l’œuvre d’art ne suffit pas par elle-même à traduire la pensée, à extérioriser les sentiments, à révéler l’âme de son auteur. Mais dès lors qu’elle a besoin d’être expliquée en langage verbal, elle perd sa valeur de signe pour ne servir à procurer aux sens qu’une jouissance physique, qui ne dépasse pas leur niveau, ou à l’esprit celle d’un jeu vain.

Autre condition pour que l’art accomplisse avec dignité et fruit sa glorieuse mission d’entente, de concorde, de paix, c’est que, par lui, les sens, loin d’appesantir l’âme et de la clouer au sol, lui servent d’ailes au contraire, pour s’élever, des petitesses et des mesquineries passagères, vers l’éternel, vers le vrai, vers le beau, vers le seul vrai bien, vers le seul centre où se fait l’union, où se réalise l’unité, vers Dieu. N’est-ce pas ici que s’applique à la lettre le splendide manifeste de l’Apôtre : Invisibilia enim ipsius a creatura mundi per ea quse facta sunt, intellecta conspiciuntur, sempertina quoque eius virtus et divinitas. C‘est pourquoi toutes les maximes qui font déchoir l’art de son rôle sublime, le profanent et le stérilisent. « L’art pour l’art » : comme s’il pouvait être à lui-même sa propre fin, condamné à se mouvoir, à se traîner au ras des choses sensibles et matérielles ; comme si par l’art, les sens de l’homme n’obéissaient à une vocation plus haute que celle de la simple appréhension de la nature matérielle, la vocation d’éveiller dans l’esprit et dans l’âme de l’homme, grâce à la transparence de cette nature, le désir des « choses que l’oeil n’a point vues, que l’oreille n’a point entendues et qui ne sont pas montées jusqu’à son coeur. »

D’un art immoral, qui fait profession d’abaisser et asservir aux passions charnelles les puissances spirituelles de l’âme, Nous ne dirons rien ici. Du reste, « art » et « immoral » : ce sont là deux mots en criante contradiction, et votre programme ignore leur jonction.

Soyez donc félicités, Messieurs, d’avoir compris la tâche qui vous incombe, et d’avoir voulu, en face d’une « culture sans espérance », considérer l’art comme « source d’une espérance nouvelle ». Faites donc sourire sur la terre, sur l’humanité, le reflet de la beauté et de la lumière divines, et vous aurez, en aidant l’homme à aimer « tout ce qu’il y a de vrai, de pur, de juste, de saint, d’aimable », contribué grandement à l’oeuvre de la paix, et Deus pacis erit vobiscum.

Que la Vierge immaculée, miroir de la justice et de la splendeur de Dieu, Reine de la Paix et qu’on peut bien appeler Reine des arts, vous inspire et vous assiste ; qu’elle fasse descendre sur vous, dont elle est l’idéal amoureusement contemplé, les grâces de son Fils, en gage desquelles Nous vous donnons, à vous, à tout le groupe des artistes catholiques, à tous ceux qui vous sont chers, Notre Bénédiction Apostolique.

A Rome, le 5 septembre 1950 .

* * *
(lebloglaquestion.wordpress.com/2011/11/21/pie-xii-allocution-aux-artistes/)
Documents pontificaux de Sa Sainteté Pie XII (1939-1958), publiés sous la direction de Mgr Simon Delacroix par l’oeuvre Saint-Augustin à Saint-Maurice (Suisse).



  benoit-et-moi.fr, tous droits réservés