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Théologie de la libération, le retour?

Un livre en italien en dénonce la périlleuse relance.

>>> Julio Loredo - Théologie de la Libération: une bouée de sauvetage de plomb pour les pauvres - Ed. Cantagalli
www.libreriacoletti.it/libro/TEOLOGIA-DELLA-LIBERAZIONE-UN-SALVAGENTE-DI-PIOMBO-PER-I-POVERI

Rappel et préambule

Le cardinal Ratzinger et la Théologie de la Libération

En 1984, la Congrégation pour la Doctrine de la foi publiait, sous la signature du préfet, le cardinal Ratzinger, l'Instruction Libertatis Nuntius sur quelques aspects de la « Théologie de la Libération » .
Elle sera complétée en 1986 par un second document, l' Instruction Libertatis Conscientia sur la liberté chrétienne et la libération:

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Durant l'été 85, Vittorio Messori s'entretenait avec le cardinal Ratzinger à Bressanone.
Le fruit de ces entretiens est le fameux "Rapport Ratzinger", traduit en français sous le titre "Entretien sur la foi."
Le livre comporte un chapitre entier sur le sujet de la théologie de la libération (la CDF, qu'il présidait, s'apprêtait à publier une instruction).
Il est très intéressant de relire la position personnelle du théologien Joseph Ratzinger sur le sujet (pages 232-233)

« La théologie de la libération, dans ses formes qui se rattachent au marxisme, n'est absolument pas un produit autochtone, indigène, d'Amérique latine ou d'autre zones sous-développées où elle serait née et aurait grandi quasi spontanément par l'action du peuple. Il s'agit en réalité, au moins à l'origine, d'une création d'intellectuels ; et d'intellectuels nés ou formés dans l'Occident opulent : ce sont des Européens, les théologiens qui l'ont fait naître ; ce sont des Européens - ou formés dans des universités européennes -, les théologiens qui la font grandir en Amérique du Sud. Derrière l'espagnol ou le portugais de ces prédications perce en réalité l'allemand, le français, l'anglo-américain. »

Ainsi (commente Messori), selon lui, même la théologie de la libération ferait partie « de l'exportation à destination du Tiers-Monde de mythes et d'utopies élaborés dans l'Occident développé. C'est presque une tentative visant à expérimenter dans le concret des idéologies conçues en laboratoire par des théoriciens européens. D'un certain point de vue, par conséquent, c'est encore une forme d'impérialisme culturel, bien que présenté comme la création spontanée des masses déshéritées. Reste ensuite à vérifier quelle influence réelle ont en vérité sur le "peuple" ces théologiens qui disent le représenter et être leurs porte-parole. »
Poursuivant dans cette ligne, il observe:

« En Occident, le mythe marxiste a perdu de ses charmes auprès des jeunes et des travailleurs eux-mêmes ; on tente alors de l'exporter dans le Tiers-Monde, et ce, par le truchement de ces intellectuels qui vivent, eux, hors des frontières des pays dominés par le "socialisme réel". En fait, ce n'est que là où le marxisme-léninisme n'est pas au pouvoir qu'il s'en trouve encore quelques-uns pour prendre au sérieux ses illusoires "vérités scientifiques". »

La "théologie de la libération": un livre en dénonce la périlleuse relance

www.riscossacristiana.it
Guido Vignelli
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Généralement, on pense qu'après la crise des idéologies et l'effondrement du mur de Berlin, les mouvements politiques ou religieux d'inspiration socialo-communistes sont désormais révolus. En réalité, il y a des idéologies et mouvements qui réussissent à survivre aux condamnations et aux échecs, s'adaptant à la mutation des situations, se transformant et se reproposant comme s'ils étaient neufs et immaculés.

Parmi ceux-ci, il y a la «théologie de la libération» (TdL).
Après la condamantion reçue du Saint-Siège et le démenti reçu de l'histoire, ce mouvement a perdu prestige et influence. Mais la fin de l'anti-communisme et la crise économique mondiale lui ont offert une occasion de se reproposer comme alternative globale (= mondiale). Aujourd'hui la TdL, sans renier ses idées d'origine, fait une auto-critique partielle, et se repropose à l'opinion publique en changeant de paradigme, de méthode et de langage, c'est-à-dire en se recyclant selon une clé écologiste, psychanalytique et tribale. Après avoir essayé en vain de provoquer une révolution économico-politique suscitée par les mouvements de masse des classes prolétariennes, aujourd'hui la TdL tente d'animer une révolution psychologico-culturelle basée sur l'action des groupes marginalisés ou victimes de discrimination. De cette façon, il s'inscrit dans la transition historique en cours de la «troisième révolution» (socialo-communiste) à la «quatrième révolution» (écologique et anarchiste), comme le craignait il y a 30 ans, son grand adversaire: le professeur Plinio Corrêa de Oliveira.

Ces mutations ont permis à la TdL de se réconcilier avec le Saint-Siège, comme le démontre le soutien reçu par les cardinaux de la Curie comme Braz de Aviz, Maradiaga, Paglia et même Müller; comme le confirment les honneurs réservés au Père Gutiérrez et la récente conférence des mouvements subversifs latino-américains qui s'est tenue au Vatican. Ce qui pose un dilemme embarrassant. Le Saint-Siège a-t-il réhabilité la TdL parce que celle-ci s'est «normalisée», comme le soustiennent certains vaticanistes? Ou à l'inverse est-ce le Saint-Siège qui s'est «mis à jour» reconnaissant les exigences de la TdL, comme le prétendent certains de ses membres?

En tout cas, comment expliquer que ce mouvement réussisse à se recycler et à se relancer, dans une situation apparemment hostile? Nous ne pouvons l'expliquer qu'en le situant dans le contexte où il est né et s'est affirmé, et encore avant cela, en revenant à ses racines, qui sont plus anciennes et plus illustres que ce que l'on croit. De la même manière, c'est seulement en le frappant aux racines qu'on pourra éradiquer ces mauvaises herbes du terrain et empêcher qu'elles étouffent le bon grain. Il ne suffit pas de dénoncer les idées et les méthodes marxistes hier utilisées par la TdL; on doit la dénoncer telle qu'elle se présente aujourd'hui, en liquidant son idée-matrice, le virus qui a produit l'infection initiale.


UN ESSAI DOCUMENTÉ ET RÉVÉLATEUR
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C'est précisément ce que s'est proposé de faire un chercheur péruvien dans son livre, récemment publié dans la traduction italienne, qui aborde aux racines un problème peu connu de nous, parce que nous croyons à tort qu'il ne concerne que l'Amérique latine.

Julio Loredo, journaliste, essayiste et conférencier, vient d'une vieille famille espagnole, mais il est né au Pérou, où il a été parmi les fondateurs de l'association de la jeunesse catholique Tradición y Acción. Cette association a été parmi les premières à réagir au lancement de la TdL en Amérique latine, diffusant à Lima en 1973 un essai qui s'opposait au célèbre livre du péruvien Gustavo Gutierrez ("Théologie de la Libération", 1971). La dure réaction du gouvernement communiste contraignit ces jeunes à l'exil en Colombie et au Brésil, d'où ils ont continué à suivre la question. Depuis longtemps, Loredo s'est installé en Italie, où il défend la civilisation chrétienne en dirigeant l'association Tradizione Famiglia Proprietà et la revue éponyme.

Le livre qu'il a publié s'intitule «Teologia della Liberazione: un salvagente di piombo per i poveri» (Théologie de la Libération: une bouée de sauvetage de plomb pour les pauvres), publié par Cantagalli. Il a un caractère scientifique, car il rassemble les résultats d'études et de recherches «sur le terrain», illustrant les idées et les faits en ayant recours aux sources originales; mais il est écrit avec clarté, et se lit avec une relative facilité, bien qu'il contienne pas mal de petites erreurs de traduction en italien.

L'auteur avertit que, contrairement à la croyance populaire, le problème de la TdL réside plus dans son idéologie perverse que dans ses conséquences sociales dévastatrices; il se concentre donc sur la description et la réfutation du projet religieux et politique du mouvement.
Le livre est divisé en deux parties: la première moitié examine les origines historiques et les développements politiques de la TdL; la seconde moitié analyse ses racines et ses bases théologiques et philosophiques.

Selon Loredo, pour comprendre la TdL, il faut reparcourir «l'histoire longue et mouvementée» des mouvements politiques et sociaux catholiques tout au long des XIXe et XXe siècles. Cette histoire présuppose la grande question de la relation entre l'Eglise et le «monde moderne» et part du problème de comment réagir à la Révolution française et à la sécularisation de la société qui en découle. L'auteur part donc de loin, mais il le fait pour expliquer comment il se fait que l'engagement politique des catholiques a décliné jusqu'à disparaître, ou à se soumettre aux projets subversifs de notre temps.


LES ORIGINES HISTORICO-POLITIQUES
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Comme on le sait, au début a prévalu la position intransigeante, c'est-à-dire contre-révolutionnaire, qui voyait dans la Révolution l'ennemi à combattre pour restaurer la civilisation chrétienne; à cette position s'opposait celle catholico-démocratique, qui voyait dans la Révolution un ami avec qui s'allier pour construire la civilisation anthropocentrique; au milieu se situait la position tolérante, c'est-à-dire catholico-libérale, qui voyait dans la Révolution une chance de réformer l'Église, la libérant des contraintes du «temporalisme» (ndt: nous dirions peut-être actuellement «la mondanité») et du «cléricalisme». Au fil du temps, la position catholico-libérale, faussement médiatrice, transborda les catholiques d'abord vers le démocratisme et puis vers le socialisme, faisant en sorte que la Révolution fut acceptée non pas comme «moindre mal» à endiguer mais comme «plus grand bien» à favoriser.

Selon Loredo, la TdL n'est que la dernière et la plus grave manifestation historique de ce 'ralliement' (ndt: en français dans le texte) progressif du monde catholique à la Révolution. Ses théologiens, en effet, voyaient dans les mouvements subversifs tiermondistes les troupes qui imposeraient le «royaume de Dieu» sur terre, faisant en sorte que la 'liberté' et l''égalité' (idem) révolutionnaire s'accomplissent dans la 'fraternité', c'est-à-dire dans la solidarité postmoderne. Mais cela présuppose d'abattre toutes les «tyrannies et les superstitions» qui entravent l'auto-libération du peuple: autrement dit non seulement les institutions politiques (famille, propriété, classes, État), mais aussi religieuses (dogme, hiérarchie morale, Eglise) .

A cet effet, pour obtenir la faveur des gens simples et l'approbation des modérés, la TdL se présente comme une championne du «peuple» et surtout des «pauvres».
Mais Loredo avertit que, dans la logique de la TdL, «pauvre» est quiconque est opprimé, marginalisé ou défavorisé, c'est-à-dire victime d'une inégalité, et ne peut donc pas s'engager dans la révolte révolutionnaire; les «vrai pauvres» sont ceux qui se rebellent contre les autorités, s'organisant dans les mouvements de libération, y compris armés. Au contraires les pauvres qui restent pacifique, respectueux de l'autorité, réfractaires à la mobilisation subversive, sont seulement de pauvres ignorants, inconscients, complices des oppresseurs et donc ennemis des «vrais pauvres». Donc, ce qui compte, ce n'est pas tant les pauvres que la pauvreté, vue comme une énergie potentiellement subversive qu'il ne faut donc pas soulager mais plutôt aggraver, afin d'alimenter la révolte universelle explosive qui produira le «saut de qualité», le renversement violent de l'oppression à la libération. Cela explique pourquoi, si jamais elle arrive au pouvoir, la TdL de désintéresse des pauvres, pour faire avancer ses propres bureaucrates et sectaires.

Mais aujourd'hui que le prolétariat s'est embourgeoisé (pas tant financièrement que psychologiquement), qui sont les «nouveaux pauvres», les «classes exploitées», les «prolétaires moraux» potentiellement révolutionnaire que la TdL veut non seulement défendre mais aussi imposer au pouvoir? Dans le monde humain, ce sont victimes de discrimination, les marginalisés dans les «périphéries urbaines ou existentielle»: autrement dit les groupes ethniques, les tribus autochtones, les immigrants, les chômeurs, les femmes, les homosexuels, les fous; dans le monde animal, ce sont les espèces maltraitées ou opprimées par l'homme, et la Terre entière pollué par la technologie, la production et la consommation. Vraiment un vaste champ d'action pour l'agit-prop de la nouvelle révolution cléricale!


LA MATRICE THÉOLOGICO-PHILOSOPHIQUE
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Dans la seconde moitié de son livre, Loredo élargit le discours, passant de la racine historico-politique de la TdL à celle théologico-philosophique. Ici, le discours se fait plus ardu mais aussi plus intéressant.

Selon l'auteur, l'erreur radicale de la TdL consiste en une conception hérétique de Dieu, de la Révélation divine et de l'Église. Dieu n'est pas transcendant mais immanent, donc évolue dans le temps et l'espace; sa révélation se manifeste non pas dans une vérité immuable mais dans l'histoire humaine changeante, à partir de l'«événement» d'un Christ désacralisé et sécularisé; Son Église se réalise non pas dans une société parfaite divinement fondée mais dans le «peuple de Dieu» entendue comme une communauté fondée par des pauvres et des ignorants, animés par l'amour fraternel et solidaire et donc sans dogmes, lois ou institutions.
Selon la TdL, telle fut précisément l'Eglise des origines et avant encore la communauté humaine primitive, composée de «bons sauvages». Mais ensuite, par la faute d'un étrange «péché originel» (ndt: on en revient à ce qu'écrivait Ostellino dans le texte que j'ai traduit hier: ce péché originel n'est pas celui que nous enseigne le catéchisme), cet amour s'est affaibli et les hommes ont commencé à se sentir étrangers, à se craindre et à se défendre, à chercher certitude et sécurité, soumettant l'amour à la raison, les passions à la volonté, la spontanéité à la norme morale, la liberté à la loi juridique, l'égalité aux hiérarchies religieuses et politiques, enfin la nature à l'exploitation technologique productive. À cette fin, l'humanité a construit des structures de séparation, d'inégalité et de pouvoir: la famille patriarcale, la propriété privée, les classes, la magistrature, l'armée, l'État.

La TdL prétend avoir la mission sacrée de restaurer la communauté primitive et l'Église des origines, brisant les «structures de péché», les lois qui les ont imposées et les dogmes qui les ont justifiées. Dans ce but, les théologiens doivent libérer les classes opprimées de leurs préjugés (à la fois sociaux et religieux), leur enlevant tout frein moral à s'imposer par la violence et le mensonge. Oui, même avec le mensonge: pour ces théologiens, en effet, la vérité n'est pas une révélation objective ni une découverte subjective, mais une création arbitraire, autrement dit une prassi visant au succès, de sorte qu'est vrai ce qui favorise la subversion et faux ce qui l'entrave. Le Magistère lui-même de l'Église n'est accepté que s'il confirme les aspirations et les exigences populaires, le gouvernement de l'Eglise que s'il collabore à l'action libératrice du mouvement révolutionnaire.

En somme: dans le domaine théorique, subjectivisme philosophique, immanentisme théologique, historicisme et relativisme dogmatique, pragmatisme moral, démocratisme ecclésial; dans le domaine pratique, paupérisme économique, révolution politique et subversion ecclésiale. Il est donc clair, affirme Loredo que «l'utilisation de l'analyse marxiste est presque une "peccadille" face aux déviations théologiques et philosophiques plus graves» . Par conséquent, le fait que cette analyse [marxiste] ait été récemment abandonnée par la TdL ne suffit absolument pas pour en corriger la théorie erronée et la pratique fautive; le fait qu'à la méthode de la violence semble aujourd'hui être préférée celle du «jeu libre et joyeux», comme dit l'Espagnol Eugenio Fernández, ne suffit nullement pour éteindre les craintes d'un expédient trompeur et dangereux.

À ce stade, Loredo montre que la grossière et brutale TdL a des racines religieuses sophistiquées et prestigieuses. De la «théologie libérale» du début du XIXe siècle et du Modernisme du début du XXe siècle, on en arrive à la 'nouvelle théologie' (en français dans le texte) condamnée par Pie XII; parmi les nouveautés ecclésiales qui ont contribué à la naissance de la TdL, nous devons inclure non seulement la «théologie politique» de Chenu, Metz et Comblin et l'«ecclésiologie démocratique» de Congar et Küng, mais aussi le «tournant anthropologique» de Rahner et de la théologie l'histoire de De Lubac et Daniélou. Ce n'est pas un hasard si la quasi-totalité de ces luminaires ont toujours défendu la TdL, même après la condamnation papale, même dans ses expériences politiques désastreuses comme celle sandiniste au Nicaragua.

Ceci prouve que la TdL est un produit peu latino-américain et très européen. Pour nous, Européens, ceci doit être un motif d'autocritique et aussi de crainte: se pourrait-il que, dans une tentative de surmonter la crise du modèle lib-lab (ndt: arrangement entre les libéraux - Liberal democrats - et les socialistes - Labour party) démontré par l'échec de l'Union européenne, notre intelligentsia progressiste, y compris catholique, relance la TdL pour tromper et soulever la population préoccupée par l'avenir incertain?
Pour éviter ce danger, des livres comme celui de Loredo sont utiles à la fois comme avertissement sur le passé et encouragement pour l'avenir.

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