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Comme une main invisible

28 février 2013: au moment même où Benoît XVI eut quitté le balcon, un coup de vent écarta la tapisserie avec les armes pontificales et dévoila la Tiare. Un texte très émouvant de Michael Hesemann traduit par une lectrice, Isabelle.

>>> Michael Hesemann est l'auteur du livre-entretien avec Georg Ratzinger "Mon frère le pape".
>>> On trouvera également une très belle interview de lui sur le même site Kath.net, à propos de la figure fascinante de Maria Ratzinger (benoit-et-moi.fr/2012-I).

L'instant qu'il évoque est visible sur cette vidéo, fugitivement, tout à fait à la fin.


Comme une main invisible

Article en allemand: www.kath.net
Traductioin Isabelle
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Castelgandolfo, 28 février 2013, 18h40 : Quand le pape Benoît XVI eut une dernière fois salué et béni les fidèles devant le palais apostolique de Castelgandolfo, un coup de vent écarta la tapisserie avec ses armes — et dévoila la Tiare, symbole de la papauté éternelle.

Après avoir participé à sa dernière audience publique, sur la place Saint-Pierre, je ne pouvais évidemment pas renoncer à accompagner le pape Benoît XVI sur ses derniers pas en tant que pape. Non seulement parce qu'il s'agissait là d'un moment historique — la première renonciation volontaire depuis 1294 — mais parce que cela marquait aussi une rupture dans ma propre vie.

Durant près de huit années, je n'ai cessé d'accompagner Joseph Ratzinger, depuis ses premiers pas timides et hésitants dans sa soutane blanche; je l'ai suivi dans ses voyages; il m'a inspiré; nous nous sommes rencontrés. Enfin, j'ai pu recueillir les souvenirs de jeunesse de son frère Georg (Mein Bruder, der Papst, München 2011; trad. française Mon frère, le Pape, Bayard 2011) et éditer et commenter les grands discours de son voyage de 2011 en Allemagne (Der Papst in Deutschland, Augsburg 2011). J'admire l'éclat de son intelligence et j'aime sa modestie.

A la crainte ressentie à l'annonce de sa renonciation succéda la tristesse, puis un profond respect et de la gratitude. Il avait peur, avec l'âge, de ne plus pouvoir satisfaire aux hautes exigences qu'il imposait lui-même au ministère pontifical. Alors que les puissants de ce monde se cramponnent à leurs sièges, cette réflexion critique et honnête sur lui-même, fortifiée dans la prière, l'a amené à agir de manière cohérente. Le pape qui, dans son discours de 2011 à Fribourg, avait exigé une "dé-mondanisation" de l'Eglise, ouvrait ainsi la voie. Il renonçait à tous les devoirs "mondains" pour, désormais, chercher Dieu dans la prière.

Avec mes collègues Michaela Koller et Martin Lohmann, l'après-midi, je me suis rendu en voiture à Castelgandolfo, la résidence d'été des papes, au-dessus du lac Albain. Ici, avions-nous appris, le pape devait passer les premiers mois qui suivaient sa renonciation. Vers 17 heures, il devait embarquer à Rome dans l'hélicoptère pontifical et survoler une dernière fois la place Saint-Pierre pour atterrir vers 17h20 dans le petit aéroport situé tout près. Dès son arrivée au palais apostolique, vers 17h30, il devait se montrer une dernière fois en public et adresser quelques mots aux fidèles rassemblés.

Quand, vers 16 heures, nous sommes arrivés à Castelgandolfo, la place devant la résidence du pape était déjà prise d'assaut et nombreux étaient ceux qui avaient préparé des banderoles et des affiches pour les adieux au pape. Nous nous frayâmes un chemin jusqu'à un petit espace devant la fontaine de la Piazza, qui était réservé à la presse. Ainsi avons-nous pu suivre, de cette position idéale, comment les deux hélicoptères accompagnant le pape survolaient la ville, comment les gardes suisses prenaient position et comment éclatait la jubilation de la foule.

A 17h36 exactement, Benoît XV apparaissait au balcon de la résidence pontificale, où l'on avait suspendu une tapisserie bordeaux avec ses armes personnelles. Une dernière fois, il salua la foule qu'il remercia pour sa sympathie, son amitié et son attachement. "Bientôt, je ne serai plus le pape, le pasteur suprême de l'Eglise catholique", expliqua-t-il avec un peu de mélancolie dans la voix. "Je suis seulement un pèlerin qui entame à présent la dernière étape de son chemin sur cette terre. Mais je voudrais encore, avec mon cœur, avec mon amour, avec ma prière, avec ma pensée, avec toutes mes forces spirituelles continuer d'œuvrer au bien de tous, au bien de l'Eglise et de l'humanité".

Je dois bien l'avouer : nous avions les larmes aux yeux. Cette fois encore, la grandeur se révélait dans l'humilité de cet homme, qui déposait la charge la plus haute sur cette terre, pour n'être plus dorénavant qu'un simple pèlerin, un priant semblable à nous tous, seulement un peu plus proche de Dieu. Il fit, une dernière fois, signe à la foule, la bénit, puis se retourna et disparut à intérieur de sa résidence.

A ce moment se produisit quelque chose qui nous étonna tous, quelque chose qui vraiment confina au miracle. Pendant tout ce temps, il n'y avait pas eu de vent à Castelgandolfo et les bannières, accrochées par les habitants sur les deux côtés de la Piazza pour célébrer ce jour historique, pendaient à leurs hampes comme des draps mouillés. Or quand le pape apparut, la tapisserie bordeaux commença à bouger lentement, de manière quasi imperceptible. Mais au moment précis où Benoit XVI eut quitté le balcon, un coup de vent se leva. Il écarta la tapisserie avec les armes pontificales et dévoila ce que celle-ci devait recouvrir : la Tiare, la couronne des papes avec les clés croisées de saint Pierre, qui fait partie des armes d'Alexandre VII (1665-1667) placées au-dessus du portail du Palais apostolique.

Un pontificat se termina; ce qui demeure, ciselé dans la pierre pour l'éternité, c'est le ministère pétrinien lui-même, la papauté, dont Jésus a dit que les puissances de l'enfer ne l'emporteront pas sur elle. Après, le vent s'apaisa de nouveau, la tapisserie aux armes pontificales ne bougea plus jusqu'à ce que les employés vinssent l'enlever.

Est-ce un hasard qu'au moment précis où Benoît XVI quittait la scène du monde, une main invisible ait écarté ses armes pour faire apparaître le signe de la papauté éternelle ? Je ne peux toujours pas le croire ...

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