Epiphanie 2013
Le 6 janvier 2013, un peu plus d'un mois avant son acte de renonciation, Benoît XVI célébrait sa dernière messe solennelle d'Epiphanie, et conférait à son secrétaire l'ordination épiscopale. Homélie (7/1/2015)
Naturellement, nous voulons, comme les Apôtres, convaincre les gens et, en ce sens, en obtenir l'approbation. Naturellement, nous ne provoquons pas, mais bien au contraire, nous invitons chacun à entrer dans la joie de la vérité qui indique la route. L’approbation des opinions dominantes, toutefois, n’est pas le critère auquel nous nous soumettons. Le critère c’est Lui même: le Seigneur. Si nous défendons sa cause, nous gagnerons, grâce à Dieu, toujours de nouveau des personnes pour le chemin de l’Évangile. Mais inévitablement nous serons aussi frappés par ceux qui, avec leur vie, sont en opposition avec l’Évangile, et alors nous pouvons être reconnaissants d’être jugés dignes de participer à la Passion du Christ.
L'homélie du Saint-Père
(ma traduction d'alors)
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Chers frères et sœurs!
Pour l'Église croyante et priante, les Mages d'Orient qui, sous la direction de l'étoile, ont trouvé leur chemin vers la crèche de Bethléem ne sont que le début d'une grande procession qui se répand dans l'histoire. Pour cette raison, la liturgie lit l'Evangile qui parle du voyage des Mages avec les splendides visions prophétiques d'Isaïe 60 et du Psaume 72, qui illustrent avec des images audacieuses le pèlerinage des peuples vers Jérusalem.
Comme les bergers qui, premiers invités auprès du nouveau-né couché dans la crèche, personnifient les pauvres d'Israël et, plus généralement, les âmes humbles qui intérieurement vivent très proches de Jésus, de même les hommes venus d'Orient personnifient le monde des peuples, l'Église des Gentils - les hommes qui, à travers tous les siècles, marchent vers l'Enfant de Bethléem, l'honorent en tant que Fils de Dieu, et se prosternent devant Lui. L'Eglise appelle cette fête «Epiphanie» - l'apparition du Divin. Si nous regardons le fait que, dès ce début, des gens de toutes les provenances, de tous les continents, de toutes les cultures, et toutes les façons de penser et de vivre, ont été et sont en chemin vers le Christ, nous pouvons vraiment dire que ce pèlerinage et cette rencontre avec Dieu dans la figure de l'Enfant est une épiphanie de la bonté de Dieu et de son amour pour l'humanité (cf. Tite 3:4).
Suivant une tradition commencée par le bienheureux Pape Jean-Paul II, nous célébrons la fête de l'Epiphanie aussi comme jour de l'ordination épiscopale de quatre prêtres qui, désormais, dans des fonctions différentes, vont collaborer avec le ministère du Pape pour l'unité de l' Église de Jésus-Christ dans la pluralité des Églises particulières.
Le lien entre cette ordination épiscopale et le thème du pèlerinage des peuples vers Jésus-Christ est évident. L'évêque a le devoir non seulement de cheminer dans ce pèlerinage avec les autres, mais de précéder et d'indiquer la route.
Je voudrais toutefois, dans cette liturgie, réfléchir avec vous à nouveau sur une question plus concrète.
Selon l'histoire racontée par Matthieu, nous pouvons certainement nous faire une idée du genre d'hommes qu'avaient dû être ceux qui, suivant le signe de l'étoile, s'étaient mis en route pour trouver ce Roi qui, non seulement pour Israël, mais pour l'humanité toute entière devait fonder une nouvelle sorte de royauté. Quel genre d'hommes, donc, étaient-ils? Et nous nous demandons si, en dépit de la différence des temps et des devoirs, nous pourrions à partir d'eux entrevoir quelque chose de ce qu'est l'Évêque, et comment il doit s'acquitter de sa tâche.
Les hommes qui partirent alors vers l'inconnu étaient, de toutes façons, des hommes au coeur inquiet. Des hommes poussés par la recherche inquiète de Dieu et le salut du monde. Des hmmes en attente, qui ne se contentaient pas de leur revenu assuré et de leur position sociale peut-être considérable. Ils étaient à la recherche d'une réalité plus grande.
Ils étaient sans doute des hommes doués, qui avaient une grande connaissance des étoiles et probablement disposaient aussi d'une éducation philosophique. Mais ils ne voulaient pas seulement connaître beaucoup de choses. Ils voulaient surtout savoir la chose essentielle. Ils voulaient savoir comment on peut réussir à être une personne humaine. Et c'est pourquoi ils voulaient savoir si Dieu existe, où et comment Il est. S'Il prend soin de nous et comment nous pouvons Le rencontrer. Ils voulaient non seulement savoir. Ils voulaient connaître la vérité sur nous, et sur Dieu et sur le monde. Leur pèlerinage extérieur était l'expression de leur 'être' intérieurement en chemin, du pèlerinage intérieur de leurs cœurs. C'étaient des hommes qui cherchaient Dieu et, en fin de compte, ils étaient en leur chemin vers Lui; ils étaient des chercheurs de Dieu
Mais de cette façon, nous arrivons à la question: comment doit être un homme à qui l'on impose les mains pour l'ordination épiscopale dans l'Église de Jésus-Christ? Nous pouvons dire: il doit être avant tout un homme dont l'intérêt est dirigé vers Dieu, car c'est seulement ainsi qu'il se soucie vraiment aussi des hommes. On pourrait le dire également inversement: un Évêque doit être un homme à qui les gens tiennent à coeur, qui est touché par les événements des hommes. Il doit être un homme pour les autres. Mais il ne peut l'être vraiment que s'il est un homme conquis par Dieu. Si pour lui l'inquiètude envers Dieu est devenue une inquiétude pour sa créature, l'homme.
Comme les Mages de l'Orient, un évêque, lui aussi, ne doit pas être seulement quelqu'un qui fait son travail et ne veut rien de plus. Non, il doit être aussi saisi de l'inquiètude de Dieu pour les hommes. Il doit, pour ainsi dire, parler, et sentir avec Dieu. Ce n'est pas seulement l'homme qui doit avoir en lui l'inquiètude constitutive de Dieu, mais cette inquiètude est une participation à l'inquiètude de Dieu pour nous. Parce que Dieu est inquiet pour nous, il nous suit jusque dans la crèche, jusqu'à la croix. «À me chercher tu as peiné, Par ta Passion tu m’as sauvé, qu’un tel labeur ne soit pas vain !» prie l'Église dans le Dies irae.
L'inquiètude de l'homme vers Dieu et, de là, l'inquiètude de Dieu vers l'homme ne doit pas donner la paix à l'Évêque.
C'est ce que nous entendons lorsque nous disons que l'Évêque doit être avant tout un homme de foi. Parce que la foi n'est rien d'autre qu'être intérieurement touché par Dieu, une condition qui nous conduit sur le chemin de la vie. La foi nous fait entrer dans un état où nous sommes pris par l'inquiètude de Dieu, et fait de nous des pèlerins qui intérieurement sont sur leur chemin vers le vrai Roi du monde et vers sa promesse de justice, de vérité et d'amour. Dans ce pèlerinage, l'Évêque doit précéder, il doit être celui qui indique aux hommes la voie vers la foi, l'espérance et l'amour.
Le pèlerinage intérieur de la foi en Dieu se fait surtout dans la prière. Saint Augustin a dit que la prière, en dernière analyse, ne serait rien d'autre que l'actualisation et la radicalisation de notre désir de Dieu.
A la place du mot «désir» nous pourrions mettre aussi le mot «inquiètude» et dire que le prière veut nous arracher à notre faux confort, à notre enfermement dans les choses matérielles, visibles, et nous transmettre l'inquiètude vers Dieu, nous rendant justement ainsi ouverts et inquiets les uns pour les autres.
L'Évêque, en tant que pèlerin de Dieu, doit avant tout être un homme qui prie. Il doit vivre dans un permanent contact intérieur avec Dieu; son âme doit être largement ouverte à Dieu. Ses difficultés et celles des autres, ainsi que ses joies et de celles des autres , il doit les porter à Dieu, et ainsi, à sa manière, établir le contact entre Dieu et le monde, en communion avec le Christ, de sorte que la lumière du Christ brille dans le monde.
Revenons aux Mages d'Orient. Ils étaient aussi avant tout des hommes qui avaient du courage, le courage et l'humilité de la foi. Il fallait du courage pour accepter le signe de l'étoile comme un ordre de partir, pour aller - vers l'inconnu, l'incertain, par des chemins sur lesquels de nombreux dangers les guettaient. On peut imaginer que la décision de ces hommes a suscité la dérision: la moquerie des réalistes qui ne pouvaient que rire des fantasmes de ces hommes. Quelqu'un qui partait sur des promesses aussi incertaines, risquant tout, ne pouvait que paraître ridicule. Mais pour ces hommes touchés intérieurement par Dieu, le chemin selon les indications divines était plus important que l'opinion des gens. La recherche de la vérité était plus importante pour eux que d'être la risée du monde, apparemment intelligent.
Comment ne pas penser, dans une telle situation, à la mission d’un évêque à notre époque? L’humilité de la foi, du fait de croire avec la foi de l’Église de tous les temps, se trouvera à maintes reprises en conflit avec l’intelligence dominante de ceux qui s’en tiennent à ce qui apparemment est sûr. Celui qui vit et annonce la foi de l’Église, sur de nombreux points n’est pas conforme aux opinions dominantes, à notre époque aussi. L’agnosticisme aujourd’hui largement dominant a ses dogmes et est extrêmement intolérant à l’égard de tout ce qui le met en question et qui met en question ses critères. C'est pourquoi le courage de contredire les orientations dominantes est aujourd’hui particulièrement pressant pour un évêque. Il doit être brave. Et cette bravoure ou cette force ne consiste pas à frapper avec violence, dans l'agressivité, mais à se laisser frapper et à tenir tête aux critères des opinions dominantes. Le courage de rester fermement avec la vérité est inévitablement demandé à ceux que le Seigneur envoie comme des agneaux au milieu des loups. « Celui qui craint le Seigneur n’a peur de rien » dit le Siracide (34, 16). La crainte de Dieu libère de la crainte des hommes. Elle rend libres!
Dans ce contexte, il me vient à l'esprit un épisode des débuts du christianisme que saint Luc narre dans les Actes des Apôtres. Après le discours de Gamaliel, qui déconseillait la violence envers la communauté naissante des croyants en Jésus, le Sanhédrin appela les Apôtres et les fit flageller. Ensuite il leur interdit de prêcher au nom de Jésus et il les remit en liberté.
Luc continue: «Eux, repartirent du Sanhédrin, tout heureux d’avoir été jugés dignes de subir des outrages pour le nom de Jésus. Et chaque jour … ils ne cessaient d’enseigner et d’annoncer que Jésus est le Christ» (Ac 5, 40ss).
Les successeurs des Apôtres aussi doivent s’attendre à être constamment frappés, à la manière moderne, s’ils ne cessent pas d’annoncer de façon audible et compréhensible l’Évangile de Jésus Christ. Et alors ils peuvent être heureux d’avoir été jugés dignes de subir des outrages pour Lui.
Naturellement, nous voulons, comme les Apôtres, convaincre les gens et, en ce sens, en obtenir l'approbation. Naturellement, nous ne provoquons pas, mais bien au contraire, nous invitons chacun à entrer dans la joie de la vérité qui indique la route.
L’approbation des opinions dominantes, toutefois, n’est pas le critère auquel nous nous soumettons. Le critère c’est Lui même: le Seigneur. Si nous défendons sa cause, nous gagnerons, grâce à Dieu, toujours de nouveau des personnes pour le chemin de l’Évangile. Mais inévitablement nous serons aussi frappés par ceux qui, avec leur vie, sont en opposition avec l’Évangile, et alors nous pouvons être reconnaissants d’être jugés dignes de participer à la Passion du Christ.
Les Mages ont suivi l’étoile, et ainsi ils sont parvenus jusqu’à Jésus, jusqu’à la grande Lumière qui éclaire chaque homme qui vient en ce monde (cf. Jn 1, 9). Comme pèlerins de la foi, les Mages sont devenus eux-mêmes des étoiles qui brillent dans le ciel de l’histoire et nous indiquent la route. Les saints sont les vraies constellations de Dieu, qui éclairent les nuits de ce monde et nous guident. Saint Paul, dans la Lettre aux Philippiens, a dit à ses fidèles qu’ils doivent resplendir comme des astres dans le monde (cf. 2, 15).
Chers amis, ceci nous regarde, nous aussi. Ceci vous cregarde surtout vous qui, en cette heure, allez être ordonnés évêques de l’Église de Jésus Christ. Si vous vivez avec le Christ, nouvellement liés à lui dans le Sacrement, alors vous aussi vous deviendrez des sages. Alors vous deviendrez des astres qui précèdent les hommes et leur indiquent le juste chemin de la vie.
En cette heure, nous tous ici nous prions pour vous, afin que le Seigneur vous remplisse de la lumière de la foi et de l’amour. Afin que cette inquiétude de Dieu pour l’homme vous touche, pour que tous expérimentent sa proximité et reçoivent sa joie en don.
Prions pour vous, afin que le Seigneur vous donne toujours le courage et l’humilité de la foi.
Prions Marie qui a montré aux Mages le nouveau Roi du monde (Mt 2, 11), afin qu’Elle, en Mère aimante, vous montre à vous aussi Jésus Christ et vous aide à être des indicateurs de la route qui mène à lui.
Amen.